Douleurs insupportables
Le traitement est composé de nombreux éléments

Douleurs insupportables

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Édition
2017/14
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01413
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(14):275-277

Affiliations
a MediZentrum, Messen, b Universitäres Zentrum für Palliative Care, Inselspital, Universitätsspital Bern

Publié le 26.07.2017

Les douleurs et l’angoisse qu’elles suscitent sont des thèmes centraux dans l’accompagnement et le traitement des patients en soins palliatifs ainsi qu’un défi de taille au cabinet de médecine familiale. Le traitement de ces douleurs ne peut pas se ­limiter à l’administration d’opioïdes.

Toujours détecter l’angoisse en cas de douleur

L’angoisse et la douleur sont indissociables. L’angoisse est un sentiment désagréable qui envahit le corps tout entier. Surviennent alors tachycardie, bourdonnement dans les oreilles, mains moites, passage aux toilettes et sentiments de détresse et d’impuissance. Les douleurs en fin de vie suscitent une angoisse existentielle. ­L’angoisse implique du stress et le stress réduit considérablement la qualité de vie. Surmonter l’angoisse et l’incertitude – le sentiment de ne plus y arriver seul – est indispensable dans le traitement de la douleur. Cela nécessite des personnes qui apportent leur aide, sont présentes, écoutent, réconfortent, font preuve de soutien et disposent de temps.

De nombreux facteurs de stress
peuvent être synonymes de «total pain»

Cicely Saunders, la pionnière du mouvement des hospices et des soins palliatifs, a défini le terme de la «douleur totale» («total pain»). Les douleurs ainsi que de nombreuses autres sensations physiques constituent un complexe d’éléments biologiques, psychiques, sociaux et existentiels (spirituels). La sensation de douleur du patient est influencée de manière durable par ces cofacteurs surtout en cas de douleurs chroniques. Les soucis financiers, l’isolement social, les conflits familiaux et la question du sens exercent une influence sur le ressenti individuel de la douleur. Un traitement médicamenteux analgésique prescrit à la hâte n’est guère susceptible d’aboutir! Les douleurs chroniques provoquent un trouble de la régulation d’un système complexe et entraînent des modifications organiques structurelles au niveau du cerveau. Le retrait social et la perte de compétences, la dysphorie, l’angoisse, la ­dépression et les troubles du sommeil en sont les conséquences.

Traitement: pas seulement des médicaments, mais tout ce qui réduit le stress

Un traitement antidouleur moderne repose sur divers éléments: le traitement médicamenteux, la psychothérapie, la physiothérapie, l’assistance sociale et surtout les procédures invasives. Selon le concept de la salutogenèse, cela s’articule autour de trois piliers essentiels: la compréhensibilité (avoir une explication aux douleurs), la gérabilité (auto-efficacité, c.àd. pouvoir devenir actif), et enfin la signification (pouvoir donner un sens à la situation globale, l’accepter). De nombreuses options très diverses de réduction du stress et d’aide à l’auto-assistance sont actuellement disponibles. Il convient d’évaluer ces sources de force avec attention. Elles englobent la thérapie musicale, des exercices de relaxation, des massages, des enveloppements ou encore le yoga et vont jusqu’à la MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction) sous forme de gestion du stress basée sur la pleine conscience. Une association s’avère souvent nécessaire: la prise d’un analgésique (par ex. dose de réserve), l’adoption d’une position assise ou couchée confortable, une relaxation ciblée dans la mesure du possible et/ou une distraction (par ex. se concentrer sur la musique).

Pas de demi-mesure: initier les opioïdes tôt, mais bien informer les patients ainsi que les proches

Les opioïdes sont indispensables dans le plan de traitement multidimensionnel. En cas d’insuffisances organiques souvent multiples (foie, cerveau, reins), la surveillance intensive de l’action et des effets indésirables s’avère absolument nécessaire puisque l’effet secondaire sédatif est susceptible de réduire la possibilité de maîtriser activement la douleur. Le potentiel et la manière dont agit un opioïde doivent faire l’objet de tests individuels. Il convient alors d’observer, surtout en début de traitement, la survenue éventuelle de nausées (qui disparaissent généralement au bout de 3–4 jours) et de constipation, mais aussi de rétention urinaire. Une fois la fenêtre thérapeutique dépassée, troubles cognitifs, somnolence, hallucinations, confusion, crampes musculaires et dépression respiratoire surviennent. Les fasciculations des muscles du bras sont des précurseurs fréquents de la dépression respiratoire.
Les patchs antidouleur à base de fentanyl ou de buprénorphine sont très appréciés des patients. Ils sont toutefois plutôt inappropriés pour les situations instables. Une augmentation de la dose ne doit être effectuée que tous les 3 jours, et 6 jours sont nécessaires pour atteindre un nouvel état d’équilibre (steady state). En plus de la dose journalière, il convient de prescrire aux patients une dose de réserve (10% de la dose journalière) pour la survenue de douleurs paroxystiques; cette dose de réserve peut être administrée jusqu’à un rythme horaire (!) en cas de besoin. Si l’utilisation du patch antidouleur doit être interrompue et un nouvel opioïde employé, seule la dose de réserve du nouvel opioïde est administrée durant les 12 premières heures, avant d’initier 50% de la dose équivalente calculée du nouvel opioïde.
La fièvre peut entraîner une résorption ou une entrée en action plus rapides et, en cas de cachexie, il existe un risque aussi bien de sous-dosage que de surdosage. En présence de cachexie, il convient de préférer des opioïdes administrés par voie orale ou sous-cutanée (en continu à l’aide d’une pompe à seringue). En cas de rotation des opioïdes oraux, éventuellement nécessaire du fait d’une mauvaise tolérance ou d’une inefficacité, il convient de réduire la dose de 20–30% en ­raison d’une tolérance croisée possible avec la dose équivalente calculée pour le nouvel opioïde.

SENS: Tentative d’un système palliatif d’enregistrement et d’évaluation

Les soins palliatifs s’orientent sur le modèle médical bio-psycho-social-spirituel et traitent souvent des individus souffrant de maladies largement avancées et de symptômes complexes. Le modèle SENS s’appuie sur le Gold Standards Framework (GSF) (4), mais s’oriente encore plus strictement sur les besoins du patient. Les domaines/tâches de prise en charge du patient suivants sont enregistrés: gestion des symptômes, prise de décision, organisation du réseau et soutien. Le plan d’accompagnement sert de planification anticipée /mise en œuvre des 4 «S» en soins palliatifs:
Selbsthilfe: auto-assistance
Selbstbestimmung: autodétermination
Sicherheit: sécurité
Support: soutien
Ces objectifs dépendent des besoins fondamentaux de l’individu en autonomie et sécurité. Ce plan d’accompagnement élaboré avec le patient et les proches peut constituer la base d’une collaboration interprofessionnelle réussie.

Fixer des objectifs réalisables

En soins palliatifs également, des plans thérapeutiques multimodaux sont par conséquent souvent utilisés. Les points suivants sont alors utiles:
1. Planification progressive en collaboration avec le patient et ses proches;
2. La clarification des attentes du patient en ce qui concerne chaque mesure, y compris les médicaments (par ex. «quelle est l’action d’Oxynorm») selon le concept du «Calman gap». D’après Calman, le degré de souffrance et la possibilité d’une qualité de vie bonne voire acceptable dépendent du niveau de concordance entre les attentes et les expériences ­réalistes. Une «réduction bienveillante» de l’état souhaité s’avère alors souvent nécessaire, car la ­situation actuelle ne peut être que difficilement améliorée;
3. Le renforcement des compétences et de l’efficacité personnelles du patient est utile pour surmonter l’angoisse: le patient ne doit pas se considérer comme une victime, mais, malgré une maladie grave, comme «capitaine» ou du moins «copilote» et percevoir le thérapeute en tant que «coach».
4. Un entraînement mental et un «recadrage» sont utiles: Comment puis-je gérer la douleur en tant que patient? «Je ne peux pas modifier la douleur, mais je peux changer ce que je pense et éprouve à son égard»;
5. Décomposer la douleur en parties réalisables: formuler des objectifs par étapes progressives, viser de petites améliorations et les célébrer. dignement.

Résumé: La lutte contre l’angoisse joue un rôle central

– Donner aux patients les moyens de ne pas se sentir impuissants – et discuter de leurs attentes;
– Reprendre son avenir en main;
– Décomposer la situation complexe et angoissante en parties «réalisables»;
– Adresser le potentiel de la personne concernée: pas uniquement les problèmes et les déficits, mais aussi les éléments bénéfiques et les points forts;
– Bien connaître les options pharmacologiques, demander de l’aide, discuter en détail, également avec les proches, afin que l’angoisse reste le mieux possible sous contrôle.
Dr med. Christoph Cina
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