Options thérapeutiques pour les patients ayant une consommation d’alcool problématique
Le moins vaut le mieux – réduction de la consommation d’alcool chez les patients au cabinet

Options thérapeutiques pour les patients ayant une consommation d’alcool problématique

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Édition
2017/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01473
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(08):162-164

Affiliations
Psychiatrische Praxis Zürich und Baden (AG);
Klinik und Poliklinik für Psychiatrie und Psychotherapie der Universität Regensburg

Publié le 26.04.2017

Malgré l’heure matinale, le symposium petit-déjeuner a bénéficié d’une forte participation, avec la présence de nombreux médecins installés en cabinet. Mettre en relation l’expérience et le savoir-faire tirés de l’activité pratique, d’une part, et des connaissances spécialisées, d’autre part, a de toute évidence suscité un vif intérêt. Au cours de trois exposés, les méthodes de conduite d’entretien, les options thérapeutiques médicamenteuses et des cas tirés de la pratique ont été présentés et discutés. Cet article se concentre tout particulièrement sur le traitement médicamenteux des patients ayant une consommation d’alcool problématique.

Alcool: «poids du problème» et rôle du médecin de famille

Bien qu’elle ne soit pas représentative, la très récente Global Drug Survey de 2016, à laquelle ont tout de même participé plus de 8000 citoyens suisses, a révélé que la consommation d’alcool occupait la première place des drogues consommées au cours des 12 derniers mois. La consommation par habitant reste certes stable, s’élevant à env. 8 litres d’alcool pur par an, mais elle est grevée d’un important fardeau avec env. 250 000 personnes dépendantes et 1600 décès liés à l’alcool en Suisse [1]. En outre, environ un demi-million de personnes ont un proche ayant une consommation d’alcool problématique et env. 100 000 enfants vivent dans des systèmes accablés par l’alcool. Les mesures législatives à visée préventive incluent par ex. les restrictions au niveau de la vente d’alcool et de la publicité. Les augmentations de prix permettent elles aussi d’exercer un certain contrôle pour les jeunes consommateurs et pour les forts consommateurs. Outre les mesures répressives, le soutien des activités favorables à la santé, au sens d’un mode de vie équilibré, joue un rôle tout à fait déterminant dans la réduction du fardeau lié à l’alcool. Il ne s’agit pas là d’interdire la consommation de boissons alcoolisées, mais d’encourager une consommation responsable. D’une part, l’alcool est indissociable de notre société et, d’autre part, la frontière avec une consommation problématique est mince et souvent insidieuse. Si une dépendance s’est déjà installée, il convient de minimiser les dommages sur la santé et les répercussions négatives sur l’environnement social des personnes touchées et la société. En dépit d’offres de soins en partie plus exhaustives, env. 80% des personnes touchées échappent au système de prise en charge des dépendances [2], ce qui est lié à la stigmatisation toujours très répandue en cas de dépendance à l’alcool, mais aussi à l’obstacle important que représente le maintien d’une abstinence durable comme objectif de vie [3]. Avec le rapport «Santé2020» adopté par le Conseil fédéral en janvier 2013, la politique de santé suisse aspire, outre la prévention et la détection précoce des maladies, à garantir et renforcer la qualité des soins, avec une transparence élevée et un ancrage international. Pour la consommation d’alcool à risque, cela signifie qu’il faut minimiser de manière conséquente les dommages sur la santé et améliorer l’accès au système de prise en charge des dépendances. Etant donné qu’une grande partie des personnes touchées sont suivies par un médecin de famille, des modèles par paliers se concentrent sur l’optimisation de la prise en charge de premier recours. Des améliorations de la prise en charge peuvent être espérées lorsqu’un travail conséquent de détection et d’explication est assuré au sens d’un dépistage et d’une intervention brève lors de consommation d’alcool à risque [4]. En particulier les formes légères et modérées du trouble de l’usage de l’alcool (alcohol use disorder), tel qu’il est désormais désigné dans le DSM-5, profitent de telles formes d’intervention [5]. Les mesures médicamenteuses visant à réduire la consommation d’alcool peuvent également contribuer à une déstigmatisation et à l’allègement des frais qui pèsent sur le système de santé. Précisément lorsque l’on commence à s’atteler à la consommation problématique d’alcool, les patients ont souvent plus de mal à imager une abstinence totale qu’une réduction de la consommation d’alcool. Les médecins de famille se tiennent aux côtés des patients et endossent le rôle de partenaires compétents qui, dans le cadre d’une prise en charge globale, surveillent la consommation d’alcool, traitent les comorbidités et les troubles résultant de la consommation d’alcool et établissent le contact avec des spécialistes en médecine de l›addiction en cas d›alcoolisme sévère [6].

Rôle des médicaments dans le traitement de la dépendance à l’alcool

Bien que les médicaments se soient avérés efficaces dans le traitement de la dépendance à l’alcool pour abaisser la charge de morbidité et les coûts associés, seule env. une personne touchée sur 10 reçoit une pharmacothérapie. Actuellement, quatre substances sont autorisées pour le traitement de soutien en cas d’alcoolisme: la naltrexone et le nalméfène, qui sont tous deux des antagonistes opioïdes, ainsi que l’acamprosate et le disulfirame.
Dans une revue systématique de 167 études conduites entre 1970 et 2013, des preuves élevées d’efficacité ont été observées pour l’acamprosate et la naltrexone en termes de réduction de la quantité d’alcool consommée et de durée d’abstinence, avec des valeurs de number-needed-to-treat (NNT) de respectivement 12 et 20 [7]; la naltrexone s’est en outre avérée réduire le nombre de jours avec consommation élevée d’alcool [8].
Le mécanisme d’action exact de l’acamprosate n’est pas encore totalement élucidé à ce jour. Il est présumé qu’en tant qu’antagoniste du glutamate, il entraîne un équilibre entre les systèmes excitateurs et inhibiteurs dans le cerveau, ce qui contribue à atténuer les symptômes de sevrage alcoolique [9]. La prise d’acamprosate devrait tout particulièrement profiter aux buveurs de type relief drinkers [10], qui consomment de l’alcool avant tout pour soulager des symptômes négatifs, par ex. dans le cadre du sevrage.
En tant qu’antagoniste des récepteurs opioïdes µ, la ­naltrexone contribue à l’affaiblissement des effets de l’alcool, ce qui est particulièrement profitable au sous-groupe des buveurs de type reward drinkers chez lesquels les effets de récompense induits par l’alcool occupent l’avant-plan[10]. De premiers résultats indiquent également que les porteurs du variant G du gène codant pour les récepteurs opioïdes µ profitent tout particulièrement de l’efficacité de la naltrexone [11].
Dans la mesure où à la fois l’acamprosate et la naltrexone contribuent à réduire le désir incoercible ­d’alcool, ils sont classifiés parmi les médicaments anti-­craving.
Il en va tout autrement pour le disulfirame qui, en raison de l’intolérance qu’il provoque en cas de consommation concomitante d’alcool, est considéré comme un traitement aversif. Il agit par blocage de l’enzyme acétaldéhyde déshydrogénase, ce qui accroît la concentration de la substance toxique acétaldéhyde suite à la consommation d’alcool. Pour le disulfirame, le niveau de preuve concernant le maintien de l’abstinence a été globalement jugé comme modéré, ce qui s’explique avant tout par le fait que les études en aveugle ayant évalué le disulfirame ne sont pas parvenues à démontrer des effets d›efficacité significatifs [12]. En revanche, les études ouvertes ont révélé des effets significatifs sur la durée d’abstinence et le nombre de jours avec consommation d’alcool, ce qui a été attribué aux attentes d’efficacité en cas de prise de disulfirame [13]. Ainsi, les recommandations actuellement en vigueur préconisent une prescription individualisée du disulfirame lorsque les patients s’attendent à ce que la prise de ce médicament soit bénéfique et lorsqu’ils ont bien été informés de ses effets et effets indésirables [14, 15].
Bien que le paradigme de l’abstinence reste toujours valable, l’aspect de la réduction des dommages passe au premier plan, en particulier chez les personnes que le système de prise en charge des dépendances ne parvient que difficilement, voire pas du tout, à atteindre ou chez les personnes qui refusent un traitement stationnaire de leur dépendance [16]. Il faut également garder à l’esprit que l’initiation à bas seuil d’exigence du traitement de la dépendance à l’alcool permet de motiver plus facilement les patients à suivre d’autres traitements [17]. Concernant le traitement médicamenteux de la dépendance à l’alcool, il a ainsi été possible d’évaluer l’efficacité d’un médicament non seulement en termes de maintien de l’abstinence, mais également en termes de réduction des jours avec consommation d’alcool et des quantités d’alcool consommées. Dans ce contexte, la substance nalméfène a gagné une importance croissante au cours des dernières années. Le nalméfène est un modulateur du système opioïde qui est autorisé depuis 2014 pour le traitement de la dépendance à l’alcool. Dans des études de phase III randomisées et contrôlées contre placebo d’une durée de 6 et 12 mois, la substance, qui est très semblable à la ­naltrexone, a entraîné des réductions significatives de la quantité d’alcool consommée et des jours avec consommation élevée d’alcool [18]. L’accompagnement psychosocial a été identifié comme un aspect essentiel pour l’efficacité de la substance, ce qui a amené à recommander le nalméfène uniquement en association avec des interventions thérapeutiques [16]. Les preuves en faveur du nalméfène ne peuvent pas encore être ­appréciées de manière définitive, étant donné que son efficacité par rapport à la naltrexone a pour l’instant uniquement été attestée dans une méta-analyse indirecte [19] et que des paramètres essentiels pour l’appréciation de son effet en termes de minimisation des dommages, tels que la qualité de vie, l’amélioration de la santé physique ou les accidents, n’ont pas été évalués de manière cohérente [20]. Il est cependant notoire que la réduction des quantités d’alcool consommées est associée à la fois à une amélioration de la qualité de vie [21] et à une diminution du risque de comorbidités et complications physiques et d’accidents [22]. Un bénéfice cliniquement pertinent a été constaté pour le traitement par nalméfène chez une cohorte de 100 000 patients dans le cadre d’une microsimulation prédictive [23]. L’utilisation d’un médicament «as needed» constitue une nouveauté dans le traitement de la dépendance à l’alcool, ce qui, en complément d’interventions psychosociales, met au défi et élargit les possibilités d’un traitement global complexe au sens d’une responsabilisation élevée du patient vis-à-vis de la consommation d’alcool [24].

Résumé pour la pratique

Les traitements modernes de l’alcoolisme tablent sur un abaissement du seuil d’accès au système de prise en charge des dépendances. A cet égard, ce sont avant tout les médecins installés en cabinet qui sont invités à réaliser un dépistage conséquent et à mettre en œuvre des interventions brèves. Bien souvent, il est impossible de convaincre les personnes touchées de suivre directement un programme d’abstinence. Dans le cadre d’une stratégie globale, la substance nalméfène est autorisée depuis 2014 pour la réduction de la consommation d’alcool en association avec un soutien psychosocial. A ce jour, il n’est pas encore déterminé si cette stratégie procure des avantages par rapport aux substances anti-craving acamprosate ou naltrexone ou par rapport au traitement aversif par disulfirame ou si elle permet de réduire le fardeau lié à l’alcoolisme au sens d’une diminution des dommages pour la santé, car l’expérience clinique disponible pour cette substance n’est pas encore suffisante.
Subventions pour la participation en qualité d’experts à des comités consultatifs et congrès et honoraires d’orateur de la part de Lundbeck, Vifor Pharma, Astra Zenecca, Opopharma, Lilly et Shire.
PD Dr. med.
Monika Ridinger
FÄ Psychiatrie und ­Psychotherapie, FMH
Chefärztin und Geschäftsführerin
BTSA GmbH
Praxis Baden
Bäderstrasse 21
CH-5400 Baden AG
praxis.ridinger[at]gmx.ch