Une nouvelle mythologie pour demain

Revisiter notre métier avec les sciences humaines

Editorial
Édition
2017/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01492
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(05):85

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Membre de la rédaction

Publié le 08.03.2017

L’article dans ce numéro d’Anne-Laure Pittet et d’Anne-Françoise Chevalley – basé sur le travail de doctorat en Sciences de la Vie riche en contenu d’Anne-Laure Pittet [1] – nous montre que les médecins de famille font preuve d’un recul critique face aux sources d’information. Certaines affaires les ont rendus prudents: ces médicaments aux effets mirifiques annoncés avec tambours et trompettes par des visiteurs médicaux ­accompagnés d’opinion leaders – et bientôt retirés du marché.
Mais il ne s’agit pas que de médicaments, il s’agit aussi de nos certitudes. C’est notre savoir et notre savoir-faire qui sont en question. Le mouvement «Less is more» nous le rappelle. L’évidence d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui et l’on rira demain de ce que l’on a fait en 2017. Est-ce le retour du scepticisme médical qui fleurissait au 16e siècle avec Francisco Sanchez [2] qui croyait à l’impossibilité de toute science (quod nihil scitur)?
Faut-il être plus radical et appeler de nos voeux une nouvelle épistémologie après l’effondrement du modèle médical hégémonique? C’est le terme employé par Ricardo la Valle [3], un collègue argentin, médecin de famille, rencontré à Rio au congrès WONCA 2016, dans le groupe de travail sur la prévention quaternaire. Il décrit comment notre médecine contemporaine articule les intérêts de l’Université – avec sa vision positiviste basée sur la biologie (modèle flexnerien des USA) – et ceux du capitalisme (transformation du droit à la santé en bien de consommation). «Less is more» n’est à ses yeux qu’une vision pasteurisée (sic) et il est urgent de faire autrement. Mais comment?
Et que dire de ce qui s’annonce? Les NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) [4] qui fondent une nouvelle mythologie pour demain. On y investit beaucoup d’argent et certains créent des passerelles pour que des ingénieurs – missionnaires – viennent convertir la médecine. Que deviendra le médecin de famille? C’est une préoccupation de l’UEMO qui se penche actuellement sur un code de conduite dans les relations avec l’industrie en général, qui tienne compte de ces changements. C’est un travail en cours qui devrait être présenté en mai à l’Assemblée générale. Pour l’instant nous travaillons sur des principes de base: indépendance, qualité, intégrité, responsabilité (accountability), transparence et professionnalisme.
Dans tous ces changements, les recherches qualitatives comme celle de Madame Pittet sont bienvenues. Elles nous montrent le médecin de famille aux prises avec les mouvements de la société et comment il fait face à tout cela dans son quotidien. Je pourrais aussi mentionner la passionnante étude anthropologique de Norman [5] qui décrit les réactions du médecin anglais face aux QOF (Quality and Outcomes Framework; système de payement à la performance), comme modèle d’une approche à la fois pragmatique (comment fait le médecin dans la réalité) et critique (il démontre dans son étude le passage de la relation médecin-patient à la marchandisation). Appelons de nos vœux plus de recherches de ce type qui pourront nous aider à faire autrement.
Daniel Widmer
IUMG
av. Juste-Olivier 2
CH-1006 Lausanne
drwidmer[at]
belgo-suisse.com
1 Pittet A.L. https://news.unil.ch/display/1447679659626097
2 Quod nihil scitur ed 1581. Paris: Hachette Livre-Bnf; 2012.
3 La Valle R. Sobre la forma actual de ser medico. Revista del Hospital Italiano de Buenos Aires. 2013;33(2).
4 Ferry L. La révolution transhumaniste: comment la technomédecine et l’uberisation du monde vont bouleverser nos vies.
Paris: Plon; 2016. 274 p.
5 Norman AH, Russell AJ, Merli C. The Quality and Outcomes Framework: Body commodification in UK general practice.
Soc Sci Med. 2016;170:77–86.