L’établissement des certificats d’incapacité de travail
Ce qu’on attend des médecins et ce qui pose problème aux DRH

L’établissement des certificats d’incapacité de travail

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Édition
2017/22
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01533
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(22):0

Affiliations
a Hausarztpraxis bym Brunne, Biel-Benken (bis 2010), Betriebsarzt im Nebenamt; b Psychiatrisch-psychotherapeutische Praxis Fellmann, Binningen

Publié le 21.11.2017

Lundi matin à 9 h 30, le service du personnel d’une entreprise contacte votre cabinet parce qu’un de ses employés manque de nouveau à son poste. Le directeur des ressources humaines a trouvé dans le courrier du matin le certificat d’incapacité de travail délivré lors de la consultation de samedi dernier. Il aimerait obtenir davantage d’informations auprès du médecin traitant. Que doit lui répondre l’assistante médicale?
La réponse correcte à cette requête devrait s’énoncer comme suit: «Le médecin ne peut vous donner de renseignements sans l’accord du patient. Votre employé doit libérer le médecin traitant de son devoir de discrétion, soit par écrit, soit lors de la prochaine consultation.» (Encadré 1)
Pour compléter les aspects juridiques des certificats d’incapacité de travail (CIT), nous avons effectué dans l’optique d’un séminaire de formation pour l’Ärzteverein Leimental BL/SO un sondage anonyme parmi un groupe de directeurs des ressources humaines (DRH, anciennement chefs du personnel) [1]. Les responsables du personnel nous ont rapporté qu’environ 50% des médecins refusaient comme il se doit de divulguer des informations sans avoir été à cet effet libérés de leur devoir de discrétion. À un quart des personnes interrogées, l’assistante médicale (AM) a ­affirmé que le médecin n’était pas disponible, et à un autre quart, qu’il lui était interdit de transmettre une telle requête au médecin. Dans les mêmes proportions, les DRH rapportent que le médecin n’a jamais rappelé malgré ce qui était convenu. Notre longue expérience en cabinet nous a appris qu’en général, de telles demandes de la part des DRH n’étaient pas motivées par la simple curiosité ou les intérêts de la société, mais pouvaient aussi présenter un intérêt pour le suivi et le traitement médical du patient.
Pourtant, la loi est formelle. À la question «Un médecin doit-il divulguer des informations sur la maladie d’un collaborateur?», le Préposé fédéral à la protection des données répond: «Non. Le secret médical recouvre l’obligation du médecin de tenir secrètes les informations qui lui sont données ou dont il a connaissance dans le cadre de son activité professionnelle. Les données de patients ne peuvent être communiquées à des tiers que si le patient libère le médecin de son devoir de discrétion ou que la loi le permet. Cela vaut également à l’égard de l’employeur d’une personne malade.» [2] Dans la brochure de l’ASSM/FMH sur les «Bases juridiques pour le quotidien du médecin» [3], la formulation est plus nuancée: «La communication d’informations sur la base du consentement du patient constitue le cas normal. Pour que le consentement soit valable, la patient doit savoir de façon suffisante quelles informations le médecin communiquera à des tiers. Ce consentement peut être obtenu par écrit, par oral, mais il peut aussi être tacite, voire présumé. Néanmoins, pour éviter tout malentendu, le médecin ne devrait s’appuyer sur un consentement tacite ou présumé qu’en cas d’urgence.»
L’établissement de CIT est une tâche délicate et lourde de responsabilités. Dans un sondage de l’Académie de médecine des assurances asim de l’hôpital universitaire de Bâle [5], réalisé en collaboration avec les instituts de médecine de famille des cantons BS/BL, BE, ZH, GE et VD, seuls 9% des 507 médecins de famille suisses interrogés (6% des médecins de famille suisses) déclarent avoir des problèmes avec l’établissement de CIT. En revanche, deux tiers d’entre eux répugnent à se prononcer sur une restriction de capacité de travail prolongée. Environ la moitié de ces médecins éprouve également des difficultés à gérer une situation dans laquelle le patient et le médecin sont en désaccord quant à l’établissement d’un certificat médical. Il apparaît dans ce sondage que les médecins sont très demandeurs de formations complémentaires sur ces sujets.

Encadré 1: Proposition pour le déroulement d’une ­conversation téléphonique avec l’employeur.

Instructions à destination de l’AM, conformément à la «politique du cabinet» [4]: Lors de l’appel d’un DRH ou d’un supérieur du patient, noter le nom de l’interlocuteur, son numéro de téléphone direct et ses disponibilités. Il faut mentionner expressément que le médecin sera informé de l’appel, mais qu’il ne peut donner de renseignements sans avoir été libéré par le patient de son devoir de discrétion. L’interlocuteur peut éventuellement adresser sa requête par e-mail ou par fax (par ex.: demande de «certificat d’incapacité de travail détaillé»).

Responsabilité pénale

Le code de déontologie de la FHM exige du médecin qu’il établisse les certificats «au plus près de sa conscience professionnelle et avec toute la diligence requise». En cas de manquement, le contrevenant encourt des sanctions de la FMH. L’établissement délibéré d’un certificat médical contraire à la vérité engage la responsabilité pénale du médecin, et tombe sous le coup de l’article 318 du Code pénal (faux certificat médical). Toutefois, un certificat médical ne revêt pas une valeur probante absolue devant un tribunal. Il est soumis à la «libre appréciation du juge» [6]. Il revient ainsi au juge, le cas échéant après s’être entretenu avec le médecin, de déterminer selon sa propre appréciation s’il trouve le contenu du certificat médical digne de foi. Le Dr Peter Wiedersheim a réagi dans le Bulletin des médecins suisses [7] au fameux arrêt du Tribunal fédéral du 12 juin 2014, selon lequel il n’existe pas de corrélation entre diagnostic et incapacité de travail (IT). Le président de l’Assemblée des délégués de la FMH soutient que «l’évaluation de la capacité de travail est et doit rester une compétence des médecins», pourvu qu’elle se fonde sur un examen sérieux et soit documentée avec exactitude. Dans cet article, il ne cache pas non plus qu’«une demande de certificat médical souvent exprimée par le patient sur le pas de la porte au moment de son départ» ne peut répondre à ces exigences.
Comme l’a montré notre sondage parmi les directeurs des ressources humaines, un certain nombre de prérequis qui semblent aller de soi pour l’établissement d’un CIT sont source d’incertitude pour les responsables du personnel et les poussent éventuellement à demander des précisions: il n’est pas précisé s’il s’agit d’une maladie ou d’un accident; le certificat est antidaté ou illisible; l’adresse du médecin manque. Nous avons voulu aussi savoir dans quelles situations les employés étaient convoqués pour discuter de leur CIT: c’est le cas lors d’absences répétées avec CIT, ou pour évaluer les possibilités d’aménagement du poste ou des horaires de travail. Environ un tiers des DRH convoque ses employés lorsqu’il y a soupçon de certificat de complaisance. Ces entretiens permettent en outre de discuter plus généralement de la situation sur le lieu de travail. Seul un DRH sur cinq déclare avoir cherché à contacter le médecin traitant pour discuter de la possibilité de proposer à l’employé un poste plus adapté, ou pour demander au médecin de définir plus précisément la charge de travail supportable par l’employé. Le Dr Niklas Baer, directeur de l’unité de réhabilitation des services psychiatriques cantonaux de Bâle-Campagne, a signé dans Synapse [8] un article sur la réintégration des employés atteints de longues maladies. Son titre: «Prendre contact avec l’employeur ‹avant de payer les pots cassés›». Un pas vers l’amélioration de tels contacts, et notamment pour les patients en incapacité de travail prolongée, a été franchi au plus haut niveau par les sociétés de médecine, les assureurs sociaux et les organisations professionnelles du canton de Soleure [9].
Dans sa brochure intitulée «Incapacité de travail» [10], la SIM (Swiss Insurance Medicine) établit une liste de facteurs à ne pas à prendre en compte lors de l’établissement d’un CIT (tab. 1). Pourtant, pour deux tiers des DRH interrogés, la situation familiale par exemple joue un rôle important. Environ la moitié mentionne par ailleurs un environnement de travail stressant (même sans diagnostic psychiatrique), une insatisfaction professionnelle ainsi qu’un manque de motivation. Du point de vue des responsables du personnel, la situation du marché du travail, la conjoncture économique ainsi qu’une période sans emploi sont des facteurs significatifs menant à l’établissement de CIT. Les médecins de famille se voient fréquemment demander des CIT en cas de conflit avec la hiérarchie. Le harcèlement moral est de plus en plus souvent invoqué. Dans son article cité ci-avant [8], le Dr Niklas Baer fait remarquer que les maladies psychiatriques ou les burnout sont souvent précédés par une phase problématique plus longue, qui n’est pas perçue par les personnes concernées et leur hiérarchie comme une évolution pathologique.
Tableau 1: Facteurs pour l’évaluation de l’incapacité de travail, lignes directrices de la SIM (Swiss Insurance Medicine).
Une absence du poste de travail est juridiquement infondée lorsqu’elle est justifiée par les facteurs suivants:
Faiblesse constitutionnelle
Malaises occasionnels
Évolution naturelle (grossesse, vieillissement physiologique, réaction à un deuil, humeur dépressive passagère)
Manque de motivation
Environnement de travail stressant sans diagnostic psychiatrique
Insatisfaction professionnelle
Cures ou entraînement en tant que mesures préventives
Interventions esthétiques
Les facteurs suivants étrangers à la maladie, l’accident ou l’invalidité ne doivent pas être pris en considération lors de l’évaluation de l’incapacité de travail:
Situation économique
Situation sur le marché du travail
Facteurs socioculturels
Niveau d’instruction
Langue
Ethnie
Religion
Âge
Motivation
Chômage
Relations familiales
Éxagération de symptômes
Bref, tous les facteurs qui ne sont pas de nature purement médicale, ou qui ne se rapportent pas aux circonstances concrètes des activités professionnelles ou extra-professionnelles, ne peuvent entrer en compte dans l’évaluation de ­l’incapacité de travail.
Le sujet des certificats d’incapacité de travail occupe indistinctement le corps médical, les employeurs, les assurances et les patients. Le Bulletin des médecins suisses a publié en 2010 une tribune intitulée «Certificats d’incapacité de travail: les médecins toujours plus dans la ligne de mire de la justice» [11]. En 2013 s’est tenu à Berne un congrès de deux jours sur le thème «Focus sur le certificat médical» [12]. Dans leur exposé, les professeurs Peter Tschudi et Thomas Bischoff ont formulé un Take Home Message à destination des médecins de famille: «L’appréciation de l’IT est une procédure médico-thérapeutique aux effets nombreux et potentiellement néfastes. Les questions suivantes en constituent la clé de voûte: qu’est-ce qui va encore, qu’est-ce qui ne va plus, et pour quelle durée? L’absentéisme et les IT prolongées comportent un risque élevé de chronicisation, de perte d’emploi et de déclassement social. En cas de question ou de doute (...) ne pas hésiter à contacter au plus vite les services médicaux des assurances (y compris AI) et/ou l’employeur.» Sans oublier non plus la possibilité d’un renvoi devant un assesseur certifié de capacité de travail (ACCT), sachant que la prise en charge des frais par l’assurance est à déterminer au préalable.
En cas de certificat douteux, les employeurs ont la possibilité de faire procéder à un examen par un médecin-conseil (en général via l’assureur perte de gain et aux frais de l’employeur). En octobre 2011 [13], l’Union patronale de Bâle a informé ses membres sur le thème: «Les certificats médicaux et l’examen par un médecin-conseil: Quels sont les droits de l’employeur en cas de litige?» Sont traités dans cette brochure les problèmes suivants: «Doute quant à l’IT, doute quant au certificat médical, droits de l’employeur, désaccord entre le médecin de famille et le médecin-conseil, indemnités journalières de maladie et maintien du salaire».

Check-list

Nos recommandations pour l’établissement de CIT:
– Dater, signer et tamponner le certificat. Indiquer clairement s’il s’agit d’un accident ou d’une maladie.
– Établir un diagnostic fondé, avec inscription dans le dossier médical.
– S’informer sur l’activité et la situation professionnelle du patient.
– Prendre en compte le travail le week-end, posté ou à mi-temps.
– Prévoir éventuellement un certificat détaillé comprenant une description du poste par l’employeur.
– En cas de certificat sans consultation et/ou après guérison, inscription correspondante dans le dossier médical.
– Pas de certificat «jusqu’à nouvel ordre». En cas d’affection aiguë, 1 à 2 semaines, 4 semaines maximum.
– Déterminer sérieusement la durée du certificat même si carte d’indemnités journalières.
– Évoquer très tôt avec le patient le retour progressif au travail; si possible, contacter l’employeur via le patient ou avec son accord.
– En cas de désaccord sur le CIT ou la durée du CIT, renvoi devant un ACCT.
– N’envisager le renvoi devant les «Centres de compétences» qu’avec prudence: la réintégration ne s’en trouve souvent que retardée.
– En cas de nécessité médicale du renvoi, poursuivre les consultations de suivi.
Voir aussi: eLearning Curriculum Versicherungsmedizin [14] et cours «Versicherungsmedizin» Uni Bern [15]
Dr méd. Rudolf Ott
Facharzt für
Allg. Innere Medizin
Betriebsarzt SGARM
Zert. Med. Gutachter SIM
Mühleweg 49
CH-4105 Biel-Benken
rudolf.ott[at]ebmnet.ch
 1 Rudolf Ott, Thomas Fellmann, Arbeitsunfähigkeitszeugnisse. Eine Umfrage bei HR-Fachpersonen. Auswertung mit Kommen­taren (non publié).
 2 www.edoeb.admin.ch/datenschutz/00768/00808/00831/index.html?lang=fr
 3 Bases juridiques pour le quotidien du médecin. Un guide pratique. 2e éd. complétée, ASSM/FMH, 2013, p. 102.
 4 Manuel de formation au cabinet médical, chap. 4: Éthique professionnelle, chap. 8: Répondre au téléphone, 1re éd., collection EMH Scripts, FMH/EMH, 2012.
 5 Sarah Kedzia, Regina Kunz, et al. Sickness certification in primary care: a survey on views and practices among Swiss physicians. Swiss Med Wkly. 2015;145:w14201
 6 Roland Müller. Arztzeugnisse in arbeitsrechtlichen Streitigkeiten. Pratique juridique actuelle. AJP/PJA 2/2010.
 7 Peter Wiedersheim. L’évaluation de la capacité de travail est et doit rester une compétence des médecins, Bulletin des médecins suisses, 2014;95:38.
 8 Niklas Baer. Mit dem Arbeitgeber in Kontakt treten, «bevor das Geschirr zerschlagen ist», Synapse, organe de communication officiel de la Société médicale de Bâle-Campagne et de la Société de médecine de Bâle, numéro 6, décembre 2014, p. 12–13.
 9 Serkan Isik, Pia Wälti, Schulterschluss für eine rasche Wieder­eingliederung, Bulletin des médecins suisses, 2016;97(9):321–3.
10 SIM (Swiss Insurance Medicine): Incapacité de travail. Lignes directrices pour l’évaluation de l’incapacité de travail par suite d’accident ou de maladie, juin 2013.
11 Roger Rudolph, Arbeitsunfähigkeitszeugnisse: Ärzte zunehmend im Fokus der Justiz (1re et 2e parties), Bulletin des médecins suisses, 2010;91:22–3.
12 Asim Akademie für Versicherungsmedizin, Universitätsspital Basel, Universität St. Gallen, Institut für Rechtswissenschaft und Rechtspraxis, Institut für Hausarztmedizin IHAMB, Universitäts­spital Basel et al. Brennpunkt Arztzeugnis. Problemerhebung und Lösungsansätze für Patient, Arzt, Arbeitgebende, Versicherung, 7–8 juin 2013, Centre Paul Klee, Berne (brochure à l’usage des participants).
13 Arbeitgeberverband Basel, Schwerpunkt, numéro 10, octobre 2011.
14 eLearning Curriculum Versicherungsmedizin (FMH, US Basel, SIM, SGV) (Module 3. Das Arztzeugnis). www.henet.ch/asim-basel
15 Christoph Bosshard: Cours Versicherungsmedizin 2015, (ppt) «Arbeitsfähigkeit» (via eLearning).