Enseigner et rechercher

Une formation continue pour tout le monde?

Premiers secours: Le modèle des chauffeurs professionnels

DOI: https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01597
Date de publication: 11.10.2017

Pierre Barras, Vincent Daverio, Cédric Frochaux, Patrick Jeltsch, Bastien Valding

Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne

Module d’immersion communautaire de la Faculté de Biologie et de Médecine de l’UNIL

Sous la direction de Jean-Bernard Daeppen (responsable), Jacques Gaume ­(coordinateur), Aliciane Ischi (logistique), Patrick Bodenmann, Bernard Burnand, Aude Fauvel, Sophie Paroz, Daniel Widmer et ­Madeleine Baumann

Pendant 4 semaines les étudiants en médecine de 3e année de l’UNIL mènent une recherche dans la communauté sur le sujet de leur choix. L’objectif de ce module est de faire découvrir aux futurs médecins les déterminants non-biomédicaux de la santé, de la maladie et de l’exercice de la médecine: les styles de vie, les facteurs psychosociaux et culturels, l’environnement, les décisions politiques, les contraintes économiques, les questions éthiques, etc. Par groupes de 5, les étudiant(e)s commencent par définir une question de recherche originale et en explorent la littérature scientifique. Leur travail de recherche les amène à entrer en contact avec le réseau d’acteurs de la communauté concernés, professionnels ou associations de patients dont ils analysent les rôles et influences respectives. Chaque groupe est accompagné par un tuteur ou une tutrice enseignant(e) de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne (UNIL). Les étudiant(e)s présentent la synthèse de leurs travaux pendant un congrès de deux jours à la fin de module. Six travaux sont des travaux interprofessionnels avec la présence d’étudiant(e)s infirmier(e)s de la Haute Ecole de la Santé la Source, dont deux voient aussi la collaboration d étudiants en anthropologie de la Faculté des Sciences Sociales et Politiques, avec le soutien financier de la Direction générale de l’enseignement supérieur du Canton de Vaud. Trois travaux parmi les plus remarquables sont choisis pour être publiés dans Primary and Hospital Care.

Introduction

Lors d’un accident, les premiers gestes sont capitaux pour le blessé. Les témoins de l’accident sont les premiers intervenants potentiels de la chaîne des premiers secours; leurs premiers gestes peuvent cependant être mal exécutés, voire non effectués, souvent par manque de connaissances [1].

Les détenteurs d’un permis de conduire non professionnel ne suivent qu’un seul cours de premiers secours. Des études démontrent que les connaissances acquises durant cette formation diminuent avec le temps [2] et qu’un cours de rappel est efficace pour maintenir ces acquis et peut augmenter les chances de survie des victimes [3].

En Suisse, les conducteurs professionnels doivent suivre une formation continue contenant un cours de rappel Basic Life Support (BLS). L’extension de ce modèle à tous les conducteurs permettrait l’accès à un rappel BLS à une grande partie de la population (fig. 1), ce qui pourrait améliorer la chaîne des premiers secours. Dans ce contexte, il est pertinent de se demander quels seraient les barrières et facilitateurs à une telle extension.

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Figure 1: Estimation de la population touchée par les cours de rappel de premiers ­secours.

Méthodes

Après une revue de la littérature et des textes de loi en vigueur, nous avons conduit 12 entretiens semi-structurés, en binômes, avec des:

– Intervenants de la chaîne de premiers secours (2 ambulanciers, un médecin SMUR, 4 policiers et un pompiers)

– Acteurs des pouvoirs législatif et judiciaire (un conseiller national et un juriste)

– Acteurs concernés par l’ordonnance réglant l’admission des chauffeurs professionnels (OACP) (un chauffeur professionnel, un instructeur OACP).

Résultats

La Loi fédérale sur la circulation routière (LCR) exige des conducteurs professionnels d’effectuer une formation continue. Cette dernière comprend 35h de cours sur 5 ans, et inclut un rappel BLS, des bases de sécurité routière et des cours spécifiques à la profession de chauffeur. Pour les chauffeurs non-professionnels, la LCR demande aux candidats au permis de conduire de suivre une formation de premiers secours [4]. Étendre le modèle professionnel aux chauffeurs non-professionnels impliquerait de modifier la LCR. L’Assemblée fédérale (par une motion) et le peuple (par une initiative populaire) sont en mesure de demander sa modification. La motion semble toutefois l’option la plus réalisable.

Les personnes interrogées étaient unanimes sur le manque de connaissances du public, et sur l’utilité d’un cours de rappel de premiers secours.

Par ailleurs, tandis que le chauffeur poids-lourd pensait être mieux formé grâce à sa formation continue, l’instructeur OACP confirmait l’efficacité des cours et précisait qu’un chauffeur ayant suivi plusieurs cours de rappel avait tendance à se comporter en leader lorsqu’il était confronté à une situation d’urgence.

En ce qui concerne les aspects logistiques, les locaux et le nombre d’enseignants seraient suffisants si tous les conducteurs devaient suivre un cours de rappel, selon l’instructeur OACP.

Les ambulanciers ont rappelé que le 144 transmettait des consignes efficaces aux donneurs de premiers secours (PAGS). Ils pensaient toutefois qu’un rappel BLS, bien qu’utile, se heurterait à la faible motivation d’un public peu sensibilisé à l’importance des premiers secours. Pour motiver le public, il conviendrait de rendre les cours plus attractifs.

Les policiers signalaient par ailleurs l’existence du modèle des «First Responders», prévenus par le 144 et pouvant arriver sur les lieux rapidement.

Discussion

Nos résultats mettent en évidence la pertinence d’un rappel de cours de premiers secours pour les conducteurs non-professionnels, bien que l’extension du modèle des chauffeurs professionnels, aux non professionnels, soit jugée difficilement réalisable. Tandis que les barrières principales évoquées étaient les coûts engendrés, l’introduction d’une nouvelle loi et la motivation du public, les facilitateurs cités étaient la possibilité de mener une campagne publicitaire d’information sur la nécessité d’un rappel ainsi que des ressources suffisantes pour absorber l’augmentation du nombre de cours. L’instauration de rappels ne représente toutefois pas l’unique solution. Des systèmes efficaces tels que les «First Responders» et les «PAGS» pourraient être considérés. Une autre piste serait d’introduire l’apprentissage des gestes de premiers secours dès l’école primaire, comme cela se fait déjà aux États-Unis.

Abréviations
LCRLoi fédérale sur la circulation routièreImpose un cours de premier secours pour les canditats au permis, ainsi qu’une formation continue aux professionnels.
OACOrdonnance réglant l’Admission à la Circulation routièrePrécise la formation que doivent suivre les candidats aux permis, dont le cours de premier secours.
OACPOrdonnance réglant l’Admission des ChauffeursPrécise la formation continue des chauffeurs professionnels. Ils doivent suivre 35h de cours sur 5 ans, parmis lesquels un rappels de cours des premiers secours.
BLSBasic Life SupportMesure d’urgences enseingées au cours de premiers soins.
PAGSProcédure d’Aide aux Gestes des SecoursInstructions données par téléphone, par le 144, aux témoins d’accidents. Permettent une meilleure prise en charge avant l’arrivée des secours.

Adresse de correspondance

Dr. phil. Jacques Gaume
Responsable de recherche
Coordinateur du module B3.6 – Immersion ­communautaire
Département universitaire de médecine et santé communautaires CHUV
Avenue de Beaumont 21 bis, Bâtiment P2
CH-1011 Lausanne
Jacques.Gaume[at]chuv.ch

Références

1 Rajapakse R, Noč M, Kersnik J. Public knowledge of cardiopulmonary resuscitation in Republic of Slovenia. Wien Klin Wochenschr. 2010;122(23–24):667–72.

2 Eisenburger P, Safar P. Life supporting first aid training of the public – review and recommendations. Resuscitation. 1999;41(1):3–18.

3 Palese A, Trenti G, Sbrojavacca R. Effectiveness of retraining after basic cardiopulmonary resuscitation courses: a literature review. Assist Inferm Ric. 2003;22(2):68–75.

4 Confédération Suisse, Droit fédéral: https://www.admin.ch/gov/de/start.html

5 OFS n° de référence: je-e 01.02.03.02; su-f-11.04.03-MZ-2010-G02.2.11

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