Opportunités et risques des lignes directrices
Instructions claires ou restrictions?

Opportunités et risques des lignes directrices

Editorial
Édition
2018/15
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2018.01798
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2018;18(15):259

Affiliations
Rédacteur en chef; responsable Chronic Care, Institut für Hausarztmedizin, Zurich; Médecin de famille à Zoug

Publié le 15.08.2018

Les lignes directrices divisent: Certains les apprécient car elles donnent des instructions claires sur la marche à suivre dans la pratique et se basent sur des preuves scientifiques, tandis que d’autres les critiquent farouchement car ils les perçoivent comme restrictives et trop contraignantes. Pour le formuler de façon positive, les lignes directrices entendent fournir des propositions rationnelles différenciées sur la prise en charge des patients dans des situations cliniques définies. L’objectif est d’atteindre une qualité des soins qui soit à la fois bonne et efficiente en termes de coûts. Par définition, les lignes directrices ne sont pas des directives et elles ne contraignent donc pas à une certaine façon de procéder. Malgré ces bonnes intentions, il est fréquent que les lignes directrices ne soient pas «suivies» de façon assidue par nous, les médecins de famille, car elles éveillent souvent la méfiance et la crainte. La littérature connait des centaines (!) de raisons pour lesquelles les médecins de famille rejettent les lignes directrices. Quelques-unes sont de nature fondamentale: Qui souhaiterait tomber sous le coup d’une (sur-)réglementation et renoncer à la liberté thérapeutique qui lui est si chère?
Il existe d’autres arguments en faveur d’une attitude sceptique: Même si les émetteurs de lignes directrices sont considérés comme des sources fiables, il est avéré que leurs auteurs ont presque toujours des conflits d’intérêts et des liens avec l’industrie. Cela devient particulièrement frappant lorsque les valeurs seuil pour un traitement (médicamenteux) sont abaissées et que, d’un coup, tout un tas de sujets sains se retrouvent au rang de patients. C’est là que l’industrie pharmaceutique se réjouit! La situation devient délicate lorsque l’adhésion aux lignes directrices doit refléter la qualité d’un médecin ou d’un réseau et que le résultat est corrélé à un bonus/malus financier. En effet, de nombreux praticiens critiquent à juste titre le fait que les lignes directrices ne sont adaptées ni à la population de patients ni aux patients individuels: de nombreux patients âgés et multimorbides qui sont pris en charge au cabinet du médecin de famille ne sont pas pris en compte dans les études qui servent de fondement aux lignes directrices. Il est donc raisonnable de ne pas appliquer les lignes directrices à ces patients! En outre, les préférences et particularités de chaque patient ne sont pas représentées dans les lignes directrices, alors qu’il est essentiel de les prendre en compte dans la pratique quotidienne.
Pour sauver l’honneur du mouvement des lignes directrices, il convient ici de souligner que leur application peut entraîner une standardisation mesurable (moins de variations entre les médecins) et une amélioration des critères d’évaluation qui sont pertinents pour les soins et la santé des patients. Cette preuve d’efficacité est toutefois difficile à apporter et elle ne fait pas l’unanimité dès lors que les lignes directrices étudiées sont des recommandations non contraignantes. Il est plus simple de mettre en évidence des bénéfices lorsque les lignes directrices sont étendues au programme structuré de disease management.
Les lignes directrices se basent sur les preuves. Un des fondateurs de la médecine basée sur les preuves (evidence-based medicine, EBM), David Sackett, avait établi il y a plus de 20 ans déjà avec clairvoyance que les preuves à elles seules ne suffisent pas pour une bonne prise en charge: «... any external guideline must be integrated with individual clinical expertise in deciding whether and how it matches the patient’s clinical state, predicament and preferences and thus whether it should be applied» [1]. John Gabbay avait alors créé le terme Mindlines [2]: les lignes directrices doivent être déterminées avec les collègues et le patient, discutées et appliquées individuellement, pour ainsi dire en tant qu’approche commune. Dans cette même optique, des petits groupes, par ex. des réseaux de médecins, adaptent des lignes directrices internationales et nationales à leurs besoins (et populations de patients).
Dans ce numéro, vous trouverez deux articles relatifs aux lignes directrices: de nouvelles lignes directrices ­internationales sur l’hypertension et un travail montrant comment des recommandations moins rigides conduisent à plus d’adéquation dans le traitement. Dans un des prochains numéros, vous trouverez un exemple de lignes directrices ayant été adaptées régionalement.
Que l’on soit sceptique ou non, l’essentiel est de savoir que vous pouvez vous écarter des lignes directrices, et même que vous le devez dans certains cas justifiés, afin d’exercer avec mesure une médecine proche du patient. En fin de compte, il vous appartient de choisir si les lignes directrices sont un fardeau ou si vous les mettez à profit et les filtrez avec votre propre expérience clinique et les souhaits de vos patients.
Dr. med. Stefan Neuner-Jehle
MPH, Institut für ­Hausarztmedizin
Pestalozzistrasse 24
CH-8091 Zürich
sneuner[at]bluewin.ch
1 Sackett DL, Rosenberg WM, Gray JA, Haynes RB, Richardson WS. Evidence based medicine: what it is and what it isn’t. BMJ. 1996;312(7023):71–2.
2 Gabbay J, le May A. Evidence based guidelines or collectively constructed «mindlines?» Ethnographic study of knowledge management in primary care. BMJ. 2004;329(7473):1013.