Les troubles physiques fonctionnels font partie du quotidien
Des symptômes réels sans signe biomorphologique

Les troubles physiques fonctionnels font partie du quotidien

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Édition
2018/22
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2018.01855
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2018;18(22):396-398

Affiliations
a Kompetenzbereich für Psychosomatische Medizin, Universitätsklinik für Neurologie, Universitätsspital Inselspital, Bern; b Institut für ­Psychologie, ­Universität Bern, Bern

Publié le 20.11.2018

A la fois chez le médecin de premier recours et chez le spécialiste, les troubles physiques fonctionnels représentent un motif de consultation très fréquent.

Fréquence et apparition des symptômes fonctionnels

Dans le domaine de la médecine de premier recours, environ un patient sur deux à un patient sur cinq souffre de troubles fonctionnels de la santé [1]. Le terme fonctionnel est souvent utilisé comme synonyme de somatoforme ou psychosomatique. La signification de ces termes se recoupe en grande partie, mais ils impliquent différents concepts pathologiques en ce qui concerne le rôle de facteurs psychologiques dans la genèse et le maintien de la maladie. La compréhension physiologique des symptômes des troubles fonctionnels ne se trouve pas au niveau structurel de la pathologie organique, mais dans les processus de commande et de perception des organes par l’organisme. Dans les deux ­directions du flux d’informations entre la périphérie de l’organe et la perception au niveau du cerveau, il existe une multitude de possibilités neuro-immunologiques, neurovégétatives et neuroendocriniennes contribuant à l’apparition de troubles physiques fonctionnels. Ces processus modifiés de commande et de perception sont pour leur part généralement liés aux expériences physiques antérieures ainsi qu’à des influences psychobiographiques, en particulier celles d’une exposition excessive au stress.

Situation diagnostique initiale délicate

Sur le plan phénoménologique, les symptômes de nombreux troubles physiques fonctionnels se recoupent avec ceux de maladies somatiques, ce qui rend le diagnostic différentiel délicat (tab. 1).
Tableau 1: Symptômes physiques pouvant typiquement être également d’origine fonctionnelle.
Au vu des pathologies organiques classiques, il s’avère que la phénoménologie des troubles fonctionnels se recoupe en grande partie avec les principaux symptômes de pathologies organiques classiques (par ex. maladies allergiques ou auto-immunes) qui peuvent également être soumises à une forte modulation psychophysiologique. La liste suivante des symptômes fonctionnels typiques n’est en aucun cas exhaustive et ne remplace pas un diagnostic différentiel sérieux au cas par cas.
Organes de la tête et du couVertiges, torpeur, troubles visuels, acouphène, fatigue, insomnie, troubles de la concentration, céphalées de tension, douleurs atypiques du visage, crises non épileptiques, besoin de se racler la gorge, toux fonctionnelle, syndrome de boule dans la gorge
MembresTroubles somatosensoriels et moteurs, troubles locomoteurs, tremblement fonctionnel, douleurs locales, régionales ou généralisées des tissus mous
PeauPrurit, allodynie, hyperhidrose, dermographisme associé au stress, érythrophobie
Système cardio-vasculairePrécordialgies, douleurs thoraciques atypiques, tachycardies sinusales, palpitations, crises hypertensives, syncopes vasovagales
Organes respiratoiresTachypnée, hyperventilation, crises de type asthmatique (le plus souvent dans le cadre de crises de panique)
Système digestifTroubles de la déglutition, intolérances alimentaires non allergiques et non enzymatiques, troubles alimentaires, dyspepsie fonctionnelle, ballonnements, constipation, diarrhée, syndrome de l’intestin irritable, douleurs abdominales fonctionnelles, anisme
Région urogénitaleDouleurs pelviennes ou génitales chroniques, troubles mictionnels, dysurie, troubles sexuels
La caractéristique détaillée, le schéma de répartition anatomique, les facteurs de modulation, la combinaison avec d’autres symptômes végétatifs ou hyperperceptifs, la dynamique et le contexte biopsychosocial permettent toutefois généralement de poser le diagnostic d’un trouble fonctionnel avec une forte probabilité. Il convient ici de noter que les symptômes structurels et fonctionnels ne s’excluent pas, mais se conditionnent même souvent mutuellement. De nombreuses maladies douloureuses présentent par exemple un événement somatique déclencheur ou une part somatique essentielle. Les problèmes secondaires d’ordre fonctionnel sont alors la raison pour laquelle un traitement de la douleur uniquement orienté sur la lésion primaire agit de manière insuffisante.

Vignette clinique

A la suite d’un accident de travail avec lésion des tissus mous au niveau de l’épaule droite, un employé d’usine âgé de 35 ans souffre d’une irradiation douloureuse dans tout le quadrant supérieur droit. Le schéma de la douleur tel que décrit par le patient indique d’abord un modèle de répartition myofasciale impliquant le muscle trapèze, le muscle sterno-cléido-mastoïdien et le muscle occipito-frontal. L’examen clinique révèle un patient globalement très tendu présentant d’importantes myogéloses nucales ainsi qu’un dermographisme rouge prononcé. Des troubles du sommeil, problèmes de concentration, perte d’appétit et troubles digestifs indiquent également une réaction accrue au stress. Les AINS, dans un premier temps efficaces, avaient largement perdu leur effet. Les symptômes et signes actuels ne peuvent plus s’expliquer par la lésion primaire, mais indiquent une dysrégulation du système de la douleur.

Hyperperception

Composé d’une partie périphérique, centrale et autonome, le système nerveux constitue la base anatomique des troubles fonctionnels. De ce fait, d’anciennes terminologies utilisaient aussi les termes de souffrance nerveuse ou névroses d’organe. Contrairement aux maladies neurologiques classiques, les nerfs sont, dans le cas de troubles fonctionnels, intacts du point de vue cytomorphologique. Les altérations touchent ainsi uniquement la fonctionnalité des nerfs, ce qui s’accompagne d’une physiologie altérée au niveau des récepteurs et des synapses. Ainsi, les seuils de sensibilité à la pression et à la douleur sont souvent abaissés en présence de douleurs physiques fonctionnelles [2]. Cet aspect de l’hypersensibilité a été décrit de manière précise par le terme de «Central Sensitivity Syndromes» [3]. Maladies préexistantes, stress durable ou traumatismes peuvent favoriser la sensibilisation du système de perception de la douleur, ce qui a donné lieu au terme de travail essentiel d’hyperalgésie induite par le stress [4].

Vignette clinique

L’épouse de l’employé d’usine âgé de 35 ans trouve que son mari est devenu beaucoup plus sensible et irritable ces derniers temps. Sur le plan clinique, les douleurs des tissus mous s’accompagnent en effet d’une hypersensibilité douloureuse à la pression (allodynie). L’examen algométrique indique également une sensibilité accrue à la douleur (hyperalgésie). Le patient mentionne en outre une hypersensibilité au bruit et à la lumière, comme il en avait auparavant fait l’expérience lors de crises migraineuses. De même, il rapporte que l’acouphène préexistant est devenu nettement plus bruyant. L’épouse remarque que le patient avait déjà quelque peu changé avant l’accident, principalement depuis qu’il travaillait de nuit. Au sujet du travail nocturne de son mari, l’épouse explique que cela lui permettait ainsi de travailler l’après-midi comme technicienne d’entretien pendant que son mari s’occupait des enfants et de la belle-mère malade.

Modulation cognitivo-affective du ­ressenti des symptômes

De désagréables sensations physiques déclenchent toujours une réaction affective et cognitive. Ainsi, la douleur entraîne généralement peur et inquiétude. La nature de cette évaluation cognitivo-affective module fortement l’étendue de la souffrance subjective et représente donc un point de départ à part entière pour des interventions thérapeutiques.
Les états comorbides d’anxiété et de dépression sont fréquents chez les patients souffrant de troubles fonctionnels persistants. Lorsqu’un patient se trouve de manière générale dans un état dysphorique, angoissé ou offensé, la dimension aversive de la souffrance physique fonctionnelle est alors souvent renforcée. La CIM11 fournit désormais un diagnostic à part entière pour l’aspect de la réaction excessive et préoccupée, sous le nom de troubles à symptomatologie somatique. La CIM10 abordait auparavant la voie en sens inverse, de manière quasiment «centrifuge»: une problématique psychique entraîne des symptômes physiques par le biais de processus de somatisation. Dans la pratique clinique, ces deux voies se présentent aussi bien seules qu’en combinaison. Le fait est que les patients présentant des troubles symptomatiques fonctionnels graves souffrent souvent de co-symptômes psychiques. Le rapport de causalité au symptôme physique fonctionnel est toutefois complexe et guère unidirectionnel. Ainsi, une ancienne expérience éducative incertaine peut par exemple être la cause d’une physiologie du stress durablement modifiée, entraîner des problèmes de comportement et avoir des conséquences psychiques qui se répercutent à leur tour sur la perception et la régulation des fonctions corporelles.

Vignette clinique

Le patient suppose que, lors de la blessure de l’épaule, quelque chose a été «abîmé». Il souhaiterait faire «réparer» son épaule afin de pouvoir reprendre le travail. C’est pourquoi il a déjà consulté trois spécialistes. L’orthopédiste lui a diagnostiqué une dépression et non pas une maladie de l’épaule. Il craint que s’il n’est pas pris au sérieux, il pourrait effectivement développer en plus une dépression. Il déclare savoir ce qu’est une dépression et explique qu’aussi loin qu’il se souvienne, sa mère a toujours eu des dépressions. Il espère que cela n’a pas déteint sur lui. En raison de la maladie de sa mère, il a principalement grandi chez ses grands-parents.

Réaction dissociative aux symptômes

Lorsque les symptômes physiques ou les tensions émotionnelles dépassent le niveau «vivable», les mécanismes de dissociation et de conversion entrent de ­surcroît en jeu. La dissociation se réfère à des processus neuronaux qui entraînent une séparation ou une ­coupure de certains contenus de la conscience ou des perceptions physiques. En ce qui concerne les symptômes physiques, cela mène parfois à une sorte ­d’auto-anesthésie accompagnée d’une diminution ou d’une perte de sensibilité, pouvant aller jusqu’à une sorte d’auto-narcose avec altération passagère de la conscience. Ce type de défaillances neurofonctionnelles est généralement observé chez des patients ayant subi un traumatisme sévère; des formes plus légères de tels troubles neurofonctionnels dissociatifs se retrouvent toutefois également dans des constellations moins ­dramatiques.

Vignette clinique

Interrogé sur l’accident de travail, le patient déclare y penser encore souvent aujourd’hui. Lors d’un service de nuit, un morceau de métal du pont suspendu s’était détaché et abattu sur lui. Durant les premières semaines après l’accident, il en avait souvent rêvé. Aujourd’hui encore, il a beaucoup de mal à se rendre dans le hangar de travail, car il imagine toujours qu’un événement similaire pourrait se répéter. Le plus dur a été le fait qu’il s’est d’abord retrouvé allongé au sol en sang et que personne ne l’a remarqué. Il a probablement perdu conscience à plusieurs reprises. Aujourd’hui encore, lorsqu’il souffre de fortes douleurs, son bras droit s’engourdit et l’arrière de sa tête semble perdre sa sensibilité.

Aides pour la pratique

Bien que les troubles symptomatiques physiques fonctionnels soient très fréquents, la médecine n’a pas ­encore pu démontrer quelle prise encharge peut être recommandée en routine clinique. A la lumière d’études approfondies sur les troubles fonctionnels, il devient de plus en plus clair que ceux-ci ne constituent pas simplement des diagnostics d’exclusion, mais présentent leurs propres caractéristiques positives. Les signes d’une ­dysrégulation végétative, d’une hyperperception somatosensorielle, d’une préoccupation cognitivo-émotionnelle ainsi que d’une disposition biographique au stress doivent systématiquement être explorés. L’Académie Suisse pour la Médecine Psychosomatique et Psychosociale (ASMPP) a, en collaboration avec la Société Suisse pour l’Etude de la Douleur (SSED), établi une liste d’indicateurs positifs de pathologies fonctionnelles (douloureuses), qui sert également à évaluer ces troubles [5]. Les directives S3 relatives aux troubles physiques fonctionnels régulièrement révisées par la Arbeitsgemeinschaft der Wissenschaftlichen Medizinischen Fachgesellschaften (AWMF) allemande contiennent des orientations thérapeutiques concrètes. Dans le cadre d’une genèse multicausale des symptômes, l’approche thérapeutique doit également être planifiée de manière multimodale [6].
Lors de la communication du diagnostic, le langage médical initial doit être choisi avec soin (tab. 2). Comme dans toute situation pathologique complexe, une relation solide et de confiance entre le médecin et le patient constitue ici aussi un facteur important pour le déroulement optimal du traitement.
Tableau 2: Informations de base pour les patients présentant des troubles fonctionnels.
1. Les symptômes sans lésion physique pouvant être mise en évidence sont très fréquents. Chacun connaît de tels symptômes. En principe, ils peuvent toucher tout système d’organes.
2. Ces symptômes ne sont pas le fruit de votre imagination, mais sont bien réels.
3. Les symptômes fonctionnels se caractérisent par des processus de commande physiques (tout d’abord végétatifs) et/ou une transmission accrue des stimuli dans le système nerveux (par ex. intestin irritable, estomac irritable, vessie irritable).
4. Les symptômes sont souvent en rapport avec les répercussions d’événements préalables de santé ou de stress. Le stress agit toujours sur l’ensemble de l’organisme.
5. Pour une symptomatique englobant plusieurs facteurs conditionnels, il est recommandé d’avoir recours à une approche thérapeutique holistique qui inclut souvent des mesures médicamenteuses, physiothérapeutiques et destinées à réduire le stress.
6. En principe, les symptômes fonctionnels sont bénins.

Vignette clinique

Le présent exemple de cas illustre de multiples mécanismes physiopathologiques susceptibles d’entraîner des troubles fonctionnels. Afin que le patient puisse accepter un concept thérapeutique multimodal, il doit avoir la certitude que les médecins traitants comprennent sa souffrance et ne «rateraient» rien. A l’inverse, il est également nécessaire pour les médecins traitants de comprendre la maladie dans une certaine mesure. Les clips vidéo d’éducation à la douleur qui suivent ont permis d’accéder à la compréhension des douleurs associées à des traumatismes: www.hklearning.net/CLIP/Trauma.pdf. Cela a ainsi établi les conditions préalables nécessaires pour que le patient puisse s’engager dans un traitement physiothérapeutique d’activation, comportemental et médicamenteux, ainsi que dans un traitement psychologique de soutien. L’objectif commun était le retour au poste de travail, à l’avenir toutefois avec une réduction du service de nuit.
PD Dr méd. Niklaus Egloff
Leiter Psychosomatische Medizin, Universitätsklinik für Neurologie,
Inselspital
Freiburgstrasse
CH-3010 Bern
niklaus.egloff[at]insel.ch
1 Haller H, Cramer H, Lauche R, Dobos G. Somatoforme Störungen und medizinisch unerklärbare Symptome in der Primärversorgung. Dtsch Arztebl Int. 2015;112(16): 279–87.
2 Egloff N, Cámara RJ, von Känel R, Klingler N, Marti E, Ferrari ML: Hypersensitivity and hyperalgesia in somatoform pain disorders. General Hospital Psychiatry. 2014;36:284–90.
3 Yunus MB. Fibromyalgia and overlapping disorders: the unifying concept of central sensitivity syndromes. Semin Arthritis Rheum. 2007;36:339–56.
4 Jennings EM, Okine BN, Roche M, Finn DP. Stress-induced hyperalgesia. Prog Neurobiol. 2014;121:1–18.