C’est psychosomatique...
Non pas «soit l’un soit l’autre», mais «l’un tout autant que l’autre»

C’est psychosomatique...

Editorial
Édition
2018/22
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2018.01857
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2018;18(22):391

Affiliations
Spécialiste FMH en médecine interne générale, médecine psychosomatique et psychosociale ASMPP, président de l’Académie Suisse de Médecine Psychosomatique et Psychosociale, Rothrist

Publié le 20.11.2018

En tant que président de l’ASMPP, c’est pour moi une joie et un honneur de vous inviter à lire ce dossier thématique de Primary and Hospital Care.
«C’est psychosomatique...»: une affirmation que le patient aux douleurs inexpliquées ou fonctionnelles s’entend souvent dire par le personnel soignant, ou dans son environnement privé. Et pourtant ces mots, ou plutôt ce soi-disant «diagnostic», semblent dans un premier temps bien peu utiles au patient. Et ne le soignent pas. Il peuvent même avoir un effet contreproductif.
Prenons par exemple le cas d’une patiente comme nous en connaissons tous. Elle se plaint de douleurs au bas-ventre, d’origine inconnue. Entre les mains des personnels de santé les plus divers, elle a subi tous les diagnostics non invasifs imaginables. Les plus grandes sommités n’ont rien trouvé. Un confrère chirurgien s’en est mêlé, et, en une héroïque intervention, a même enlevé un kyste – qui n’était pas responsable des douleurs. Comme il fallait s’y attendre, l’intervention a généré des complications supplémentaires. La patiente, toujours en proie à ses douleurs, apprend que toutes les options thérapeutiques ont été épuisées. Dernier recours: des médicaments ­encore plus forts contre la douleur. Mais comme souvent, notre patiente interrompt le traitement, lesdits médicaments générant de forts effets ­secondaires. La voilà dans l’inconnu, seule avec sa souffrance. Elle continue à consulter confrère après confrère, pour s’entendre répondre: «Ce n’est rien... C’est psychosomatique.»
Ces trois mots, «c’est psychosomatique», ne sont malheureusement pas dénués d’un dénigrement implicite et inutile de la douleur, voire du patient. En raison de la difficulté technique à prouver la souffrance, le symptôme est remis en question. Et c’est le patient lui-même, avec ses douleurs, qui se retrouve ainsi remis en question. Là où nous ne voyons «rien», il n’y a «rien». Le patient, complètement désorienté, finit par douter de lui-même. Confronté à la possibilité de sa propre insuffisance, le médecin se braque contre sa mauvaise conscience. Ce réflexe joue ici un grand rôle, tout comme, face au développement de la maladie, l’impatience et le manque supposé d’options thérapeutiques. Tout comme aussi le refus du sentiment d’impuissance face à l’impossibilité (supposée) de «rien» proposer au patient. D’où le diagnostic: «Ce n’est rien...»
«Ce sont des troubles imaginaires, et donc psychosomatiques»: cet argument revient fréquemment lorsque nous autres médecins ne trouvons «rien». Cela donne à croire que ce qui est «psychosomatique» n’est «rien». Ce n’est fort heureusement pas le cas!
Nous souhaitons, avec ce numéro de PHC, éveiller votre intérêt pour ce sujet en vous donnant, au moyen d’intéressantes contributions, un aperçu de la médecine psychosomatique et psychosociale. Une sous-spécialité médicale à laquelle se consacrent plus de 800 médecins en Suisse. Une formation en cours d’emploi de deux ans, reconnue par l’Institut Suisse pour la ­Formation Médicale postgraduée et continue (ISFM), à ­destination de tous les médecins, quelle que soit leur spécialité, et accessible en complément d’un titre de spécialiste reconnu après une formation de cinq ans. Un outil précieux dans le traitement des douleurs fonctionnelles – comme illustré plus haut. Une spécialité enseignée et pratiquée au plus haut niveau dans de nombreux hôpitaux universitaires suisses de renom. Et qui réserve beaucoup de joie dans le quotidien clinique.
La psychosomatique est une discipline qui se consacre dans leur ensemble aux souffrances chroniques et difficilement traitables. Elle n’envisage pas «soit l’un (la psyché) soit l’autre (le soma)», mais «l’un tout autant que l’autre», et traite la souffrance corporelle et psychique comme un tout. Une discipline qui ne recule pas devant le «rien». Je vous invite de tout cœur à vous intéresser davantage à notre thématique...
C’est psychosomatique! Avec ces mots, je vous souhaite une lecture passionnante.
Dr. med. Alexander Minzer
Facharzt FMH für ­Allgemeine Innere Medizin,
Psychosomatische und Psychosoziale Medizin SAPPM,
Präsident ­Schweizerische Akademie für Psychosomatische und Psychosoziale Medizin
Breitenstrasse 15
CH-4852 Rothrist
Alexander.Minzer[at]hin.ch