Initiative populaire fédérale « Assurance-maladie. Pour une liberté d’organisation des cantons »
Entretien avec Monsieur le Conseiller d’Etat genevois Mauro Poggia en charge du département de la santé

Initiative populaire fédérale « Assurance-maladie. Pour une liberté d’organisation des cantons »

Aktuelles
Édition
2019/01
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2019.10016
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2019;0(01):10-12

Affiliations
Responsable politique de santé, interprofessionnalité, mfe Médecins de famille et de l’enfance Suisse, Berne

Publié le 02.01.2019

Les délégué-e-s de mfe soutiennent l’initiative populaire fédérale «Assurance-maladie. Pour une liberté d’organisation des cantons» portée par des associations et des personnalités offusquées par la gestion fédérale du système d’assurance maladie. Le Conseiller d’Etat Mauro Poggia, en charge du département de la santé du canton de Genève, nous explique pourquoi il est essentiel de soutenir ce projet pour in fine proposer un nouveau système de santé de qualité, accessible à tous et à un coût abordable.    

Monsieur le Conseiller d’Etat, pouvez-vous nous présenter cette initiative?
Nous constatons aujourd’hui que la gestion fédérale du système d’assurance-maladie par le Parlement est inacceptable, avec le maintien d’un pouvoir excessif attribué aux assureurs, une absence de maîtrise des coûts et une paupérisation de la population, laquelle doit faire face à une augmentation des primes sans commune mesure avec l’augmentation des salaires et du coût de la vie. Il est donc nécessaire que les cantons qui le souhaitent puissent prendre les commandes dans l’intérêt de leurs populations, en s’assurant de l’utilisation appropriée de toute somme versée au titre de l’assurance-maladie sociale.
Monsieur le Conseiller d’Etat genevois Mauro Poggia en charge du département de la santé.
Quelle est votre motivation de lancer/soutenir si fortement un tel projet en tant que Conseiller d’Etat?
Devant le refus, en septembre 2014, d’une majorité de la population suisse, de l’initiative pour une caisse publique, et cela malgré l’acceptation d’une majorité de cantons romands, il est apparu nécessaire de trouver une alternative raisonnable qui respecte aussi bien l’avis de la majorité des cantons, qui semble être satisfaite du système actuel, tout en permettant aux cantons qui ont été minorisés dans cette votation, d’aller dans le sens exprimé par une majorité de leurs populations d’offrir une meilleure maîtrise du système tout en maintenant la pluralité d’assureurs qui sont aujourd’hui actifs dans ce secteur. En tant que responsable de la santé à Genève et ayant été actif depuis très longtemps à la tête de l’association suisse des assurés, je ne pouvais ignorer que ma présence au sein du gouvernement genevois était aussi l’expression d’une volonté des Genevoises et des Genevois, d’apporter une solution à ce qui est désormais leur préoccupation principale, à savoir une hausse constante et non maîtrisée des primes de l’assurance-maladie sociale.
Quels sont les avantages d’un tel système?
Il faut d’abord préciser que ce système n’impose pas l’obligation pour les cantons qui ne souhaiteraient pas changer de système. Au contraire, ceux qui le désirent, et Genève en fait indiscutablement partie, pourraient fixer et percevoir les primes par l’intermédiaire d’une institution cantonale type «caisse de compensation», laquelle serait chargée de rembourser les prestataires de soins et les assurés. Ainsi, une seule et même prime serait fixée pour les assurés du canton, selon le modèle d’assurance et la franchise choisie, en supprimant l’effet pervers de la «chasse aux bons risques».
Les assureurs, pour leur part, continueraient à effectuer le travail administratif actuel qui est celui du contrôle des factures présentées par les prestataires de soins. Les réserves seraient par ailleurs mutualisées au lieu d’être gérées par chaque assureur individuellement et leurs montants pourraient être considérablement réduits. Les frais de courtage et de publicité pourraient disparaître.
Le système actuel de compensation des risques serait alors remplacé par celui plus juste et conforme à la réalité de la compensation des coûts réels, puisque l’institution cantonale assumerait les coûts des soins générés par les assurés, sans qu’un assureur ait à subir les conséquences de la lourdeur d’un cas. Par ailleurs, l’institution cantonale pourrait enfin investir les moyens nécessaires pour la prévention et la promotion de la santé.
Quels problèmes identifiez-vous dans la situation actuelle?
Actuellement, chaque assureur constitue ses réserves qui doivent couvrir environ 20% des dépenses annuelle. Lorsqu’un assuré quitte sa caisse pour aller vers une caisse meilleure marché, ses réserves restent derrière lui et doivent être reconstituées auprès d’un nouvel assureur. Aujourd’hui les réserves accumulées au-delà de ce qui est imposé par la loi, frisent les quatre milliards ! Quant aux primes, celles-ci varient d’un assureur à l’autre, malgré un modèle d’assurance et une franchise identiques, en fonction de critères qui n’ont rien à voir avec les prestations, qui sont imposées par la loi. Ce système est induit par le fait que certains assureurs doivent assumer des cas plus lourds, avec une compensation des risques insuffisante. C’est ainsi qu’un assureur a tout intérêt aujourd’hui à rechercher des bons risques qui entrent malgré tout dans la catégorie des assurés potentiellement à risques, ce qui lui permet à la fois de recevoir une compensation financière sans avoir à assumer des coûts supplémentaires. C’est précisément la différence entre la compensation des risques en vigueur ­actuellement et la compensation des coûts qui serait instaurée par le système proposé.
Si le projet passe, quels problèmes concrets pourraient être résolus dans le canton de Genève?
Encore une fois, il ne s’agit pas de faire de promesses ­excessives. Cependant, le fait de savoir que chaque franc versé sera contrôlé jusqu’à son utilisation et que si les ­efforts demandés à une population aboutissent à un contrôle des coûts, les sommes économisées seront restituées soit physiquement, soit par une compensation avec une hausse ultérieure liée, par exemple, au vieillissement de la population, est déjà un avantage évident.
Par ailleurs, le fait de pouvoir réduire le montant des ­réserves nécessaires, d’en contrôler le placement en ­évitant des spéculations boursières, est également un avantage indéniable. Cela ne changerait rien pour les fournisseurs de soins, lesquels continueraient à voir leurs prestations prises en charge conformément à la LAMal après contrôle de leurs factures par les assureurs, auxquels un mandat serait alors confié spécifiquement par l’institution cantonale.
En quoi ce projet est-il différent de l’initiative populaire «Pour une caisse maladie unique et sociale» rejetée par le peuple en 2007?
L’initiative refusée en 2007 avait pour but d’imposer une caisse unique sur le plan national avec, de surcroît, des primes en fonction du revenu. Le système actuel n’impose pas de caisse unique, mais permet aux cantons qui le souhaitent, après que ceux-ci aient consulté leur population, de mettre en place une caisse de compensation, laquelle fixera et encaissera les primes et ­garantira la prise en charge du coût des soins après contrôle des factures par les assureurs actuellement ­actifs sur le marché.
Quel est le contre-argument le plus courant et comment le contrez-vous?
Je ne vois aucune objection valable si celui qui l’exprime connaît ce qui est proposé et agit de bonne foi. Souvent, cependant, on nous oppose le fait que cette caisse de compensation serait «un gros machin» étatique, qui ne serait pas soumis à un contrôle efficace. Cela est évidemment faux puisque cette caisse de compensation serait dirigée par des représentants de l’Etat, mais aussi par des prestataires de soins et des représentants des assurés, dans une totale transparence, qui garantirait un contrôle démocratique indissociable d’une assurance sociale, contrôle qui fait aujourd’hui défaut.
Comment les médecins de famille et de l’enfance et les internistes peuvent-ils vous soutenir?
Les coûts de la santé ne cessent d’augmenter avec une absence totale de mesures efficaces de contrôle. Les primes augmentent et ne sont déjà plus supportables pour un nombre croissant de ménages.
C’est tellement vrai que certains demandent que l’assurance-maladie ne soit plus obligatoire, avec les conséquences dramatiques que l’on peut imaginer en termes de politique sanitaire et de solidarité. De manière récurrente on nous propose sur le plan fédéral de réduire une assurance de base aux prestations minimales, dans le but inavoué d’offrir à ceux qui pourront se les payer des assurances complémentaires qui couvriront des prestations optimales. Certains assureurs demandent également, avec un écho de plus en plus grand au Parlement, que l’obligation de contracter soit supprimée et que chaque assureur puisse choisir les médecins qu’il entend rembourser, dans le but d’écarter des médecins qui seraient en nombre excessif dans certaines régions. C’est donc la liberté de choix du médecin qui est directement en cause et qui va faire l’objet d’attaques récurrentes dans les prochaines années si aucun autre ­système n’est proposé. Celui qui fait l’objet de cette initiative est clairement une parade à cette tendance, car la liberté de choix est précisément garantie, seul rempart contre une sélection arbitraire des médecins par des assureurs. Il est donc impératif que tout le Corps médical comprenne l’urgence à se mobiliser pour redonner à la population le moyen de diriger un système qui va droit vers le chaos.
Soutenez ce projet en signant cette initiative et/ou en vous engageant! Toutes les informations se trouvent sur www.primesplusjustes.ch.

Le plus important en bref

• Liberté pour chaque canton de créer ou non une institution cantonale d’assurance-maladie.
• Cette institution fixe, perçoit les primes et rembourse les prestataires de soins et les assurés.
• Une seule prime pour les assurés d’une région selon le modèle d’assurance et la franchise choisie.
• Suppression de la chasse aux bons risques.
• Les assureurs continuent à effectuer le travail ­administratif.
• Mutualisation des réserves: les primes seront modérées et n’augmenteront pas plus que les coûts.
• Investissement dans la promotion de la santé et la prévention.
Sandra Hügli-Jost
Responsable communication, mfe – Médecins de famille et de l’enfance ­Suisse
Secrétariat général
Effingerstrasse 2
CH-3011 Berne
sandra.huegli[at]medecinsdefamille.ch