Hépatites virales chroniques
Des traitements hautement efficaces disponibles

Hépatites virales chroniques

Fortbildung
Édition
2019/03
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2019.10029
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2019;19(03):77-81

Affiliations
a Gastroenterologie, Claraspital, Basel; b Hepatologie, Inselspital Bern

Publié le 06.03.2019

Les hépatites B, C et D peuvent avoir une évolution chronique, et ainsi conduire à une cirrhose hépatique potentiellement accompagnée de complications. Alors que l’hépatite B n’est toujours pas curable, de nouveaux médicaments ont révolutionné le traitement de l’hépatite C.

Introduction

A travers le monde, environ 325 millions de personnes sont atteintes d’une hépatite virale chronique, et chaque année, 1,34 million de personnes décèdent des suites d’une hépatite virale. La propagation des infections par les virus de l’hépatite B (VHB) et C (VHC) varie fortement selon les régions.
L’hépatite B d’évolution chronique n’est toujours pas curable. L’hépatite D ne survient quant à elle que concomitamment à une hépatite B, dont elle influence l’évolution de façon décisive.
De nouveaux médicaments ont révolutionné le traitement de l’hépatite C. Les antiviraux à action directe (AAD), ou direct acting antivirals en anglais, conduisent à la guérison chez plus de 95% des patients (indépendamment du génotype).

Hépatite B (et D)

Epidémiologie / dépistage / diagnostic

L’infection par le VHB évolue la plupart du temps de ­façon asymptomatique. Elle ne survient en tant que maladie aiguë que dans env. 10% des cas (avec ictère, ­fatigue, nausées/vomissements ou douleurs abdominales), et rarement sous forme d’insuffisance hépatique [1].
En cas d’infection durant l’adolescence ou à l’âge adulte, une immunité apparaît dans plus de 90% des cas; les évolutions chroniques sont rares. Les infections congénitales ou transmissions verticales ont une évolution chronique dans plus de 95% des cas.
En principe, tous les patients présentant un risque d’exposition accru devraient être dépistés pour l’hépatite B (tab. 1). Le test de dépistage comprend la mesure de l’anticorps anti-HBc (un contact avec le virus a-t-il eu lieu?) et celle de l’anticorps anti-HBs (immunité?) (tab. 2). S’il n’y a pas d’immunité faisant suite à une vaccination (anti-HBs positif, anti-HBc négatif) ou à une infection passée (anti-HBs positif, anti-HBc positif), l’antigène (Ag) HBs, l’ADN du VHB, l’Ag HBe et l’anticorps anti-HBe doivent également être mesurés chez les patients avec anticorps anti-HBc positifs.
Tableau 1: Qui doit être dépisté pour le VHB et le VHC?
Apparentés au premier degré et partenaires sexuels d’une personne infectée (VHB)
Patients avec infection par le VIH
Patients avec une anamnèse de consommation de drogues i.v.
Immigrés en provenance de pays avec une prévalence ­élevée/ modérée
Patients hémodialysés
Personnes travaillant dans le secteur de la santé
Femmes enceintes
Comportement sexuel à risque (promiscuité, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes [MSM], et pour le VHC MSM avec une co-infection au VIH)
Population carcérale
Avant une immunosuppression planifiée (seulement pour le VHB)
Patients ayant reçu des produits sanguins en Suisse avant 1992 (seulement pour le VHC)
Dépistage de cohortes: année de naissance de 1950 à 1985 (seulement pour le VHC)
Tableau 2: Résultats du dépistage du VHB.
 Anti-HBc nég.Anti-HBc pos.
Anti-HBs nég.Pas d’exposition ­auparavant → envisager la vaccinationInfection par VHB possible → examens supplémentaires
Anti-HBs pos.Patient vaccinéHépatite B passée
Si le diagnostic d’hépatite B chronique est posé, le patient doit également être testé pour le virus de l’hépatite D (VHD) et être adressé au moins une fois à un spécialiste disposant d’une expérience dans le domaine des hépatites virales.

Evolution

L’infection chronique par le VHB évolue en plusieurs stades (tab. 3), qui reflètent l’interaction entre le virus et le système immunitaire. La stadification a été modifiée récemment; l’attention est désormais en priorité accordée à la présence ou à l’absence d’une hépatite. Tous les patients atteints d’une infection chronique par le VHB ne souffrent pas forcément d’une hépatite chronique.
Tableau 3: Evolution d’une hépatite B.
 Ag HBe positifAg HBe négatif
 Infection chronique Hépatite chroniqueInfection chroniqueHépatite chronique
Ag HBsélevéélevé/intermédiairefaibleintermédiaire
ADN du VHB>107 UI/ml104–107 UI/ml<2000 UI/ml>2000 UI/ml
ALTnormaleélevéenormaleélevée
Activité inflammatoireaucune/minimalemodérée/sévèreaucunemodérée/sévère
Ancienne désignationimmunotolérantimmunoréactifporteur inactifhépatite chronique Ag HBe-négative

Facteurs de progression

Le risque de cirrhose et de développement ultérieur potentiel d’un carcinome hépatocellulaire (CHC) dépend de différents facteurs: inflammation chronique, âge, sexe masculin, origine africaine, consommation d’alcool, consommation de nicotine, co-infections par le VHD/VHC/virus de l’immunodéficience humaine (VIH), diabète, syndrome métabolique, anamnèse familiale positive pour le CHC, charge virale élevée. Un CHC peut toutefois également survenir dans le cadre d’une hépatite B sans qu’une cirrhose soit présente, raison pour ­laquelle un dépistage du CHC est recommandé chez les hommes d’origine asiatique ou africaine (peau de ­couleur noire) de plus de 40 ans, les femmes d’origine asiatique de plus de 50 ans, les personnes ayant des ­apparentés au premier degré atteints d’un CHC et les personnes atteintes d’une infection par le VHD.

Traitement

En principe, un traitement est indiqué lorsqu’au moins un des critères suivants est rempli: charge virale élevée (>2000 UI/ml), élévation des valeurs hépatiques (ALT>limite supérieure de la normale) et inflammation ou fibrose au moins modérée à l’histologie [2]. Une biopsie du foie n’est plus demandée de façon systématique, car d’autres méthodes telles que le FibroScan ou le calcul du score FIB-4 peuvent en partie la remplacer. En ­revanche, les patients cirrhotiques sont également traités en cas de transaminases normales.
De façon générale, des traitements par interféron pégylé d’une durée d’1 an ou des traitements par puissants analogues nucléosidiques ou nucléotidiques (AN) d’une durée illimitée sont disponibles. Le choix dépend notamment des comorbidités, des valeurs de laboratoire et de l’acceptation des patients. Depuis peu, le ténofovir alafénamide est autorisé en Suisse pour le traitement des maladies hépatiques compensées. Ce médicament peut également être utilisé à une dose inchangée en cas de fonction rénale fortement réduite. Par rapport au ténofovir disoproxil, il présente une toxicité rénale légèrement plus faible et a une influence moindre sur la densité osseuse. Le ténofovir alafénamide a toutefois un impact négatif sur les valeurs lipidiques sanguines. L’entécavir a une action équivalente, bien que certaines résistances aient été décrites. La lamivudine, moins coûteuse, peut également être administrée dans certaines situations spécifiques, mais des résistances sont susceptibles de se développer plus fréquemment. Certains génériques de ces médicaments sont également disponibles depuis peu. De nouveaux médicaments, tels que la vaccination thérapeutique ou les inhibiteurs de capside, sont actuellement testés dans des études cliniques.

Réactivation en cas d’immunosuppression

Avant une immunosuppression planifiée (y compris corticothérapie!), les patients devraient être testés quant à une potentielle infection chronique afin de prévenir une réactivation.
Selon le profil de risque (dépend de la substance administrée et du stade de l’infection), il convient de mettre en œuvre un traitement préventif avant le début de l’immunosuppression et de le poursuivre durant au moins 6 mois après la fin de l’immunosuppression (tab. 4). Le choix du médicament dépend notamment de la durée de l’immunosuppression et de la charge virale (lamivudine, entécavir ou ténofovir).
Les patients co-infectés par le VHD doivent être traités en raison du risque de progression de la fibrose. Actuellement, seul l’interféron pégylé, dont les taux de réponse sont très mauvais, est disponible. Des études cliniques évaluent actuellement certains médicaments, notamment le Myrcludex B (inhibiteur d’entrée, «entry inhibitor»), en association avec l’interféron pégylé et/ou les AN pour le traitement de l’hépatite D. Dès lors que cela est possible, les patients devraient être inclus dans ce type d’études.

Hépatite C

Epidémiologie /dépistage / diagnostic

Le virus de l’hépatite non-A non-B a été décrit et isolé pour la première fois en tant que virus de l’hépatite C en 1989. Entre-temps, six génotypes différents ont pu être identifiés; la prévalence des différents génotypes est très disparate sur le plan géographique. En Suisse, la plupart des patients sont infectés par le génotype 1 [3, 4].
Le mode de transmission est presque exclusivement parentéral, via le sang et les produits sanguins. Une transmission lors des rapports sexuels sans comportement à risque (par ex. rapports anaux) est très rare.
Les patients avec un risque d’exposition accru (tab. 2) devraient être dépistés par détermination des anticorps anti-VHC. Si ces derniers sont positifs, le virus est mis en évidence par réaction en chaîne par polymérase (PCR), suivie d’un génotypage.
De la même façon que pour l’hépatite B, des co-infections doivent être recherchées systématiquement.

Evolution

La primo-infection par le VHC présente rarement une évolution symptomatique. Suite à la primo-infection, la maladie se chronicise dans plus de 85% des cas. De ­façon générale, il convient de partir du principe que l’infection ne confère pas une immunité protectrice suffisante.
Jusqu’à 30% des patients atteints d’hépatite C chronique développent une cirrhose hépatique en l’espace de plusieurs décennies. Chez les personnes atteintes de cirrhose hépatique, le risque de CHC est de 2 à 4%/an.
Outre l’affection hépatique, l’hépatite C peut également se traduire par des manifestations extra-hépatiques (>30% des patients; cela est bien plus rare dans le cadre de l’hépatite B). Parmi ces manifestations ­figurent notamment: cryoglobulinémie, porphyrie ­cutanée tardive, lichen plan, arthrites, syndrome de Sjögren/syndrome sicca, glomérulonéphrite membranoproliférative, vasculites, hypothyroïdie, fatigue, dépression et induction d’un diabète de type 2. Ces manifestations sont en partie causées par des mécanismes cytotoxiques ou des phénomènes immunologiques ou métaboliques associés au virus.

Traitement

En principe, un traitement doit être évalué chez tous les patients atteints d’hépatite C chronique. En cas de fibrose/cirrhose significative ou de manifestations ­extra-hépatiques, le traitement doit être initié rapidement. Les patients transplantés hépatiques sont ­également traités. De même, les patients présentant un risque de transmission élevé (consommation active de drogues, femmes en âge de procréer [le risque de transmission de la mère à l’enfant est de 5%], patients dialysés, etc.) doivent être traités.
Pendant de nombreuses années, seuls l’interféron (pégylé) et la ribavirine, dont les taux de réponse sont mauvais, étaient disponibles pour le traitement. Depuis 2014, des médicaments sans interférons très bien tolérés et hautement efficaces sont sur le marché. Ces médicaments sont nommés «antiviraux à action directe» (AAD) et permettent d’obtenir une guérison chez plus de 95% des patients traités. En règle générale, les manifestations extra-hépatiques répondent également au traitement, du moins partiellement.
Les AAD peuvent être classés en trois catégories sur la base de leur profil d’action. La plupart du temps, plusieurs AAD sont prescrits en association (rarement avec la ribavirine) pour une durée de 8 à 12 semaines (rarement plus). Certains AAD sont spécifiques à un génotype, alors que la dernière génération est pangénotypique [5].
Sont considérés comme guéris de l’infection virale les patients chez lesquels l’ARN du virus est indétectable 12 semaines après la fin du traitement (RVS 12; réponse virologique soutenue). Malgré l’élimination du virus, les patients atteints d’une fibrose ou cirrhose avancée ou d’une autre affection hépatique concomitante non virale doivent continuer à être suivis!
Les patients atteints d’hépatite C chronique devraient en conséquence être adressés à un spécialiste disposant d’une expérience dans le domaine des hépatites virales pour la pose du diagnostic et l’évaluation du traitement. Le traitement ne peut être conduit que par des hépatologues, gastroentérologues, infectiologues, ainsi que quelques autres médecins expérimentés à cet égard. Les limitations et les recommandations thérapeutiques changent constamment. Un aperçu actuel est disponible sur le site internet de la SASL (Swiss Association for the Study of the Liver): https://sasl.unibas.ch/6SASLguidelines.php.

Après le traitement

Si une cirrhose ou une fibrose sévère était présente avant l’initiation du traitement, un dépistage du CHC devrait jusqu’à nouvel ordre être réalisé (échographie abdominale et éventuellement dosage de l’alpha-fœtoprotéine tous les 6 mois) même après un succès thérapeutique. Une régression de la fibrose et une réduction du risque de CHC après RVS ont été documentées à plusieurs reprises [6]. Il est en outre essentiel de garder à l’esprit que les maladies hépatiques non virales préexistantes persistent suite au traitement antiviral et leur traitement doit en conséquence être poursuivi: cela vaut tout particulièrement pour les stéatoses hépatiques alcooliques et non alcooliques.
Honoraires de conférencier et membre de comité consultatif de ­Gilead, Abbvie et MSD.
Prof. Andrea De Gottardi
MD PhD
Leitender Arzt,
Bereich Hepatologie
Klinik für Viszerale
Chirurgie und Medizin
Inselspital
Hauptgebäude
D 141
CH-3010 Bern
andrea.degottardi[at]insel.ch
1 Terrault NA, Lok ASF, McMahon BJ, Chang K-M, Hwang JP, Jonas MM, et al. Update on prevention, diagnosis, and treatment of chronic hepatitis B: AASLD 2018 hepatitis B guidance. Hepatology 2018;67:1560–99. doi:10.1002/hep.29800.
2 European Association for the Study of the Liver. Electronic address: easloffice[at]easloffice.eu, European Association for the Study of the Liver. EASL 2017 Clinical Practice Guidelines on the management of hepatitis B virus infection. J Hepatol 2017;67:370–98. doi:10.1016/j.jhep.2017.03.021.
3 AASLD/IDSA HCV Guidance Panel. Hepatitis C guidance: AASLD-IDSA recommendations for testing, managing, and treating adults infected with hepatitis C virus. Hepatol Baltim Md 2015;62:932–54. doi:10.1002/hep.27950.
4 European Association for the Study of the Liver. Electronic address: easloffice[at]easloffice.eu, European Association for the Study of the Liver. EASL Recommendations on Treatment of Hepatitis C 2018. J Hepatol 2018;69:461–511. doi:10.1016/j.jhep.2018.03.026.
5 Moradpour D, Fehr J, Semela D, Rauch A, Müllhaupt B. Treatment of Chronic Hepatitis C - August 2018 Update SASL-SSI Expert Opinion Statement n.d.:8.
6 Jacobson IM, Lim JK, Fried MW. American Gastroenterological Association Institute Clinical Practice Update-Expert Review: Care of Patients Who Have Achieved a Sustained Virologic Response After Antiviral Therapy for Chronic Hepatitis C Infection. Gastroenterology 2017;152:1578–87. doi:10.1053/j.gastro.2017.03.018.