Partie 2: UEMO et HTA : qu’avons-nous fait ?
Health technologies assessment – Point de vue de l’UEMO

Partie 2: UEMO et HTA : qu’avons-nous fait ?

Reflexionen
Édition
2019/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2019.10090
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2019;19(08):260-262

Affiliations
a médecin généraliste à Lausanne, Suisse, vice-président de l’UEMO; b médecin généraliste à Angers, France, vice-président de l’UEMO; c avocate-juriste, senior policy officer UEMO

Publié le 31.07.2019

L’UEMO présidé depuis 2 ans le groupe des professionnels de santé (Health Care Professionnals Pillar) du réseau d’intérêt sur l’évaluation des technologies de la santé et participé à de nombreuses séances avec la Commission Européenne et avec le réseau EUnetHTA.

Ὁ βίος βραχὺς, ἡ δὲ τέχνη μακρὴ, ὁ δὲ καιρὸς ὀξὺς, ἡ δὲ πεῖρα σφαλερὴ, ἡ δὲ κρίσις χαλεπή. Δεῖ δὲ οὐ μόνον ἑωυτὸν παρέχειν τὰ δέοντα ποιεῦντα, ἀλλὰ καὶ τὸν νοσέοντα, καὶ τοὺς παρεόντας, καὶ τὰ ἔξωθεν.
La vie est courte, l’art est long, l’occasion est prompte [à s’échapper], l’empirisme est dangereux, le raisonnement est difficile. Il faut non seulement faire soi-même ce qui convient; mais encore [être secondé par] le malade, par ceux qui l’assistent et par les choses extérieures [1].

Introduction

Dans un premier article dans Primary and Hospital Care n° 7 nous avons présenté les enjeux de la régulation européenne sur l’évaluation des technologies de la santé et le rôle que pouvait y jouer une organisation politique européenne de médecins de famille. Rappelons que l’UEMO se veut une organisation politique alors que la Wonca est une organisation scientifique, fédérant les académies de médecine générale/de famille. L’UEMO s’appuie sur les acquis ­scientifiques de la Wonca pour défendre notre profession auprès des autorités européennes.
Nous avons donc présidé depuis 2 ans le groupe des professionnels de santé (Health Care Professionals Pillar) du réseau d’intérêt sur l’évaluation des technologies de la santé (HTA Network Stakekolder Pool) et participé à de nombreuses séances avec la Commission Européenne et avec le réseau EUnetHTA qui soutient la collaboration entre les organismes nationaux d’HTA, pour faciliter l’usage des ressources déjà existantes, échanger l’expérience et promouvoir les bonnes pratiques dans ce domaine.

Quels ont été nos moteurs d’action?

Revenir à la clinique

Dans un dossier complexe et technique, nous avons sans cesse essayé de revenir à des exemples cliniques vécus dans notre pratique où une régulation européenne pourrait s’avérer utile. Un patient qui souffre d’une douleur thoracique pendant ses vacances sera-­t-il pris en charge ailleurs que chez lui avec le même souci du respect des recommandations et d’évitement des interventions inutiles? En cas d’implantation d’un appareil (pace-maker, etc…) cela répondra-t-il aux mêmes indications que chez lui et le suivi pourra-t-il se faire au retour? Et que dire des patients qui se font opérer ailleurs que dans leur pays? Les implants sont-il évalués partout de la même façon? Un traitement ­nouveau et complexe exigeant des contrôles réguliers bénéficiera-t-il partout du même réseau ou parcours de soins permettant d’en assurer le suivi?

S’informer – comprendre

Nous avons participé aux séances régulières de suivi organisées par la Commission Européenne pour comprendre les enjeux. La Commission Européenne vise clairement l’équité de façon pragmatique. Par une régulation qui se limite à aider les Etats à rassembler l’évidence clinique, elle leur laisse le soin des dimen­sions éthiques, sociales et économiques, ce qui limite la largeur de vision dans l’évaluation des technologies. Mais malgré ce champ restreint, la Commission se heurte aux Grands pays, où le système HTA est bien structuré, ou aux visées nationalistes d’autres pays, tous reprochant à la Commission d’imposer des obligations (joint clinical assessment) là où devrait prévaloir le libre choix (voluntary assessment).
On entend beaucoup, dans les débats, les associations de patients, qui ont une vision généralement technophile: obtenir le meilleur, sans danger, des récents progrès et ceci sans délai excessif. Des discussions ont lieu entre ces associations et les industries où il semble que parfois les professionnels de santé soient exclus, au point de faire réagir l’un d’entre eux: «si vous créez une nouvelle société de transports, vous pouvez vous féliciter d’avoir des passagers mais n’oubliez pas le conducteur». Conducteur est une vision jugée paternaliste qui heurte l’idéologie de la responsabilisation (empowerment): même médiateur semble trop fort pour la volonté du marché d’un contact direct entre le producteur et le consommateur.
Les professionnels de la santé sont plus technosceptiques dans leur discours, les uns mettant en évidence les difficultés d’obtenir des preuves sans conflits d’in­térêt et les autres soulignant qu’on ne peut pas introduire une nouvelle technologie sans s’assurer du bon fonctionnement du système: ressources et parcours de soins. Curieusement le groupe des payeurs reste souvent silencieux: après tout ils peuvent se le permettre car tout dépend de leur budget au final.

Repérer les valeurs communes et les différences entre professionnels de la santé

Nous avons élaboré conjointement au sein de notre groupe de professionnels de la santé des thématiques et des valeurs communes (fig. 1): nous soulignons tous l’importance d’une évaluation selon des critères scientifiques, tenant compte des conséquences à long terme (good endpoints – quality of life) et des conflits d’in­térêt. A ce propos le manifeste [2] pour l’optimisation des traitements élaboré par l’EORTC (European Organisation for Research and Treatment in Cancer) peut servir de référence. Tous, nous visons l’intérêt du patient et le principe de non maléficience (primum non nocere) est pour nous central. Nous avons pu à ce titre faire état d’une position commune dans le BMJ [3]. Trois associations de patients se sont jointes à nous.
Nous avons compris au sein de notre groupe ce qui pouvait nous différencier. Les associations européennes d’oncologues et les cardiologues édictent des recommandations cliniques: elles ont donc souvent un rôle d’experts pour des questions spécifiques. Les autres groupements sont des associations de professionnels de santé à spectre plus large et politique qui amènent leur expérience professionnelle collective dans le processus même d’HTA. Evidence externe et expérience professionnelle sont les bases de nos acti­vités.

S’exprimer

Nous nous sommes exprimés à différentes reprises pour défendre nos points de vue. Nous sommes plus que des groupes d’intérêt (stakeholder), définis seulement par leur implication pour un problème et par leur possible contribution. Les professionnels de santé (health care professionals, HCP) sont définis par la loi ­européenne [4]. Il n’est pas toujours possible de s’ex­primer d’une seule voix en considérant la diversité des ­activités professionnelles représentées dans notre groupe. L’important est de garder à l’esprit nos valeurs communes (fig. 1).
Figure 1: Amsterdam – EunetHTA 2017: Présentation du pilier Professionnels de la santé.

Quelle plus-value pour les médecins de famille et l’UEMO?

S’il n’y avait que le fait de se faire connaître et de manifester notre existence, ce serait déjà une bonne chose sur un terrain politique où nous avons été absents. Nous pouvons maintenant proposer notre collaboration. Nous pouvons présenter notre rôle de coordinateur dans le parcours de soins. Il ne faut en effet pas simplement implémenter une nouvelle technologie dont on a montré l’efficacité mais aussi s’assurer que le parcours de soins est adéquat pour la prise en charge du patient: le médecin généraliste est-il suffisamment ­informé, connaît-il les effets secondaires, a-t-il été in­tégré avec le patient dans la décision prise par le spé­cialiste? Quelles ressources à disposition? C’est un domaine qui doit être défendu au cœur de HTA comme le fait HAS [5] en France (parcours de soins centré sur la médecine générale), même si, dans l’idée de certains, cela n’est qu’une question d’évaluation de la qualité. Le généraliste défend un modèle d’organisation horizontale [6] du parcours de soins centrée sur les soins primaires et non verticale en ­silos de spécialités. Enfin notre rôle de médiateur doit être défendu: c’est vers nous que le patient vient avec ses questions. Il nous faudra donc être bien informés sur les développements de la médecine et des nouvelles technologies pour permettre un bon partage de décision. Il faudra probablement de nouvelles méthodologies pour répondre aux défis de HTA et la ­médecine de famille a une longue expérience dans la recherche qualitative et les méthodes mixtes, qui pourraient s’avérer fructueuses dans ce ­domaine. Enfin l’opportunité de nous trouver ainsi confrontés aux autres dans les débats européens nous permet d’affiner les valeurs que nous voulons défendre.

Conclusion

La crainte de l’instrumentalisation est un thème récurrent de nos débats internes à l’UEMO. Certains pensent que nous pourrions nous compromettre par ces collaborations et servir d’alibi aux autres, alors que nous devons lutter d’abord pour affirmer bien fort notre spécialité – qui n’est d’ailleurs toujours pas reconnue au niveau européeen – et pour valoriser notre rôle de gate-keeper dans le système de santé. Ce serait, à nos yeux, une position de repli, à l’image du nationalisme, et nous ne la partageons pas. Elle va à l’encontre des valeurs européennes que nous défendons. Il serait bien plus dangereux d’être mis devant le fait accompli, sans avoir eu les possibilités de contribuer de l’intérieur au débat législatif.
De notre point de vue il ne s’agit pas de rester sur le quai de la gare en ronchonnant. C’est dans le train qui roule que nous pourrons rencontrer nos partenaires et leur expliquer qui nous sommes, ce que nous faisons et leur montrer nos compétences de spécialistes.
Dr méd. Daniel Widmer
UEMO
2 Avenue Juste-Olivier
CH-1006 Lausanne
Drwidmer[at]belgo-suisse.com
1 Hippocrate, 1er Aphorisme. Ed. Daremberg – remacle.org.
3 Letter. Why aren’t medical devices regulated like drugs? https://www.bmj.com/content/363/bmj.k5032/rr-7.
4 DIRECTIVE 2011/24/EU OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL of 9 March 2011 on the application of patients’ rights in cross-border healthcare. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/ALL/?uri=celex%3A32011L0024.
Article 3f. «Professionnel de la santé», un médecin, un infirmier responsable des soins généraux, un praticien de l’art dentaire, une sage-femme ou un pharmacien au sens de la directive 2005/36/CE, ou un autre professionnel exerçant des activités dans le secteur des soins de santé qui sont limitées à une profession réglementée telle que définie à l’article 3, paragraphe 1, point a), de la directive 2005/36/CE, ou une personne considérée comme un professionnel de la santé conformément à la législation de l’État membre de traitement.
6 De Maeseneer J, Roberts RG, Demarzo M, Heath I, Sewankambo N, Kidd MR, et al. Tackling NCDs: a different approach is needed. Lancet 2011;379:1860–1.