Enseigner et apprendre dans le contexte interprofessionnel
Compte rendu/rapport de consensus du groupe «éducation» de la SAFMED

Enseigner et apprendre dans le contexte interprofessionnel

Lehre
Édition
2019/10
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2019.10131
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2019;19(10):310-314

Affiliations
a Universitäres Zentrum für Hausarztmedizin beider Basel; b Institut für Hausarztmedizin der Universität Zürich; c Zentrum für Hausarztmedizin, Kantonsspital St. Gallen; d Unité des Internistes Généralistes et Pédiatres, Faculté de Médecine Genève; e Berner Institut für Hausarztmedizin, Universität Bern

Publié le 02.10.2019

SAFMED (Swiss Academy of Family Medicine): cet acronyme est peut-être encore inconnu à l’un ou l’autre de nos lecteurs; il désigne pourtant l’organisation faîtière des différents instituts suisses de médecine de famille. À l’occasion des rencontres semestrielles de SAFMED, les représentants en charge de l’enseignement universitaire dans le domaine de la médecine de famille ont décidé de publier dans Primary and Hospital Care, tous les six mois, un compte rendu ou rapport de consensus sur un sujet d’importance pour l’éducation des étudiants. Lors du meeting SAFMED du 30 avril 2019, l’intérêt s’est porté sur l’enseignement dans le contexte interprofes­sionnel.

Introduction

Même s’il n’est pas si simple d’établir scientifiquement l’utilité immédiate de la collaboration interprofessionnelle dans la médecine [1], le fait qu’une collaboration interprofessionnelle de qualité est indispensable dans des systèmes de santé toujours plus fragmentés fait l’objet d’un consensus international. Elle contribue non seulement à l’amélioration des prestations pour le bien des patients, mais aussi à une plus grande satisfaction au travail. En outre, elle favorise le respect mutuel des différents corps de métier, ce qui, dans des struc­tures de soin fortement hiérarchisées, fait notamment contrepoids à la domination des médecins, et a un effet positif sur l’image de soi des autres professions [2].

Les formes de collaboration ­interprofessionnelle

Sur la base de 25 entretiens réalisés avec des spécia­listes de santé venant des horizons les plus divers, Gina Atzeni, Christof Schmitz et Peter Berchthold sont parvenus, à la demande de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM), à dégager trois formes différentes de collaboration interprofessionnelle [3]:
– Concentration coordonnée;
Collaboration basée sur une répartition claire des rôles, dans laquelle les compétences propres à chaque profession sont décisives. Les fonctions de direction reviennent traditionnellement aux mé­decins.
– Concentration co-créative;
Succession et juxtaposition de différentes compétences professionnelles et individuelles, ainsi qu’on l’observe par exemple dans un dispositif de prise en charge palliative, par essence multidimensionnel.
– Concentration par projets;
Il s’agit là d’une collaboration en vue d’un projet, pour un temps souvent très réduit, dans laquelle la répartition des rôles doit être définie à court terme en raison de l’urgence des questions posées, comme cela peut se produire par exemple dans un centre médico-social quand un cas fait l’objet d’une discussion éthique.

La formation interprofessionnelle: ­indispensable à une bonne collaboration

Il ne fait aucun doute qu’une collaboration efficace pour le bien des patients ne peut se concevoir à long terme que si les différentes professions bénéficient de formations prégraduées et postgraduées en équipe [4].
Par «éducation interprofessionnelle» (EIP), on entend de manière générale des interventions lors desquelles des apprenants d’au moins deux disciplines des sciences médico-sociales apprennent ensemble, de manière interactive, dans le but d’améliorer la colla­boration interprofessionnelle et/ou le bien-être des ­patients [5].
À de rares exceptions près, aucune étude n’a pu démontrer scientifiquement l’effet positif d’une formation interprofessionnelle (prégraduée, postgraduée ou continue), que ce soit sur la santé des patients (outcome) ou sur le respect des directives par le personnel de santé, la satisfaction des patients, le type de collaboration, la fréquence des erreur ou la compétence individuelle des personnels de santé. Cela dit, il est de toute façon délicat de démontrer l’effet immédiat sur la santé des individus, ou même de toute une population, d’une intervention dans le champ de la formation prégraduée, postgraduée et continue.

La formation interprofessionnelle dans la médecine de famille: panorama des universités suisses

Depuis quelques années déjà, les responsables de la médecine de famille universitaire de toutes les facultés suisses considèrent de leur devoir d’apprendre aux ­étudiants à penser et agir de manière interprofessionnelle. À l’occasion du meeting SAFMED du 30 avril 2019, les représentants des facultés de médecine des universités de Bâle, Zurich, Saint-Gall, Berne et Genève ont présenté des exemples de formation interprofessionnelle.

Université de Bâle

À l’université de Bâle, dans le cadre de l’accréditation des facultés de médecine suisses, un groupe d’évaluation a conclu à l’automne 2018: «L’offre éducative contenue dans les programmes ne suffit pas à transmettre aux étudiants les capacités requises pour collaborer de manière interprofessionnelle.» Différents formats éducatifs sont actuellement en développement. Depuis deux ans, un modèle d’apprentissage interprofessionnel regroupant les étudiants en pharmacie et en médecine est appliqué avec succès: dans cet enseignement, on veille non seulement à ce que les étudiants en première année de master viennent de deux disciplines différentes, mais aussi à ce que l’équipe enseignante soit composée à parts égales de professeurs en pharmacie et d’enseignants du Centre universitaire de ­médecine de premier recours des deux Bâle. Puisqu’il a été démontré, et ce à de nombreuses reprises, qu’une gestion interprofessionnelle de la médication chez les patients multimorbides était parfaitement à même d’optimiser la qualité du traitement médicamenteux (mesurable grâce au Medication Appropriateness Index, MAI), de réduire le nombre des problèmes liés aux ­médicaments, et d’améliorer de manière générale la sûreté des médicaments [6], il a été décidé à Bâle de mettre en place un enseignement commun avec les pharmaciens. Au préalable, les professeurs en phar­macie et ceux du Centre universitaire de médecine de premier recours ont préparé des vignettes cliniques présentant chacune le cas d’une patiente suivie depuis longtemps par son médecin de famille et conseillée par sa pharmacienne de quartier. Sont évoqués dans un premier temps les avantages et les risques de l’auto­médication, puis le rôle essentiel que jouent la documentation et l’échange entre la pharmacienne et le médecin. Une polymédication croissante et la prescription de médicaments par différents spécialistes confrontent les étudiants à la problématique des effets secondaires, des interactions et du dosage des médicaments, jusqu’à une diminution croissante de la fonction rénale. L’enseignement se déroule en petits groupes, selon le principe du TSCR (teaching of scientific and clinical reasoning), format d’apprentissage employé avec succès depuis plusieurs années à la faculté de médecine de Bâle. À ce jour, les réactions des étudiants sont toutes positives – est ressenti comme particulièrement stimulant le fait d’apprendre avec des étudiants d’une autre faculté et de recevoir à la fois l’enseignement de représentants de la pharmacie et du Centre universitaire de médecine de premier recours [7]. Dans leur grande majorité, les étudiants en médecine ainsi qu’en pharmacie considèrent que cet enseignement leur permet non seulement d’acquérir de nouveaux savoirs, mais aussi de comprendre les compétences de l’autre profession, de découvrir leur propre rôle dans une équipe, et d’apprendre à investir leurs propres compétences dans une équipe interprofessionnelle.

Université de Zurich

À l’université de Zurich, après une phase pilote couronnée de succès, une station de formation interprofessionnelle (ZIPAS) sera établie à compter de l’automne 2019 dans la Clinique et la Polyclinique de médecine ­interne, ainsi que dans la Clinique de traumatologie. Pendant un mois, chaque patient sera pris en charge de manière autonome par des étudiants en soins infirmiers, médecine, physiothérapie et ergothérapie, ainsi que par des professionnels de santé en formation. S’ensuivra une supervision par des personnels de soin expérimentés, des médecins cadres et des thérapeutes (appelés facilitators). Il est prévu d’étendre le concept des ZIPAS à d’autres spécialités médicales, hôpitaux ou groupes professionnels.
Dans les prochaines années, une évaluation scientifique complémentaire déterminera dans quelle mesure les ZIPAS ont des effets positifs sur les apprenants et étudiants, sur les patients, mais aussi sur les paramètres économiques et cliniques garantissant la qualité.

Université de Saint-Gall

À Saint-Gall, l’interprofessionnalité tient une place importante dans le nouveau cursus médical Joint ­Medical Master (JMM), encore en développement, dont elle constitue l’un des trois sujets d’approfondissement: Médecine de premier recours, Interprofessionnalité, Management et Gouvernance. En deuxième et troisième année de baccalauréat universitaire, trois modules obligatoires de trois jours consécutifs chacun sont spécifiquement consacrés à la médecine de famille et à l’interprofessionnalité. Le Centre de médecine de premier recours est responsable des objectifs et des contenus pédagogiques de la médecine de famille, et a développé ces modules conjointement avec des représentants de la pédiatrie et de la gériatrie, ainsi qu’avec des professeurs du département Santé de la Fachhochschule FHS. Après une phase pilote avec des étudiants en médecine, l’enseignement se poursuivra à l’automne 2019 avec des étudiants en soins infirmiers. D’autres sessions de formation interprofessionnelle, organisées en blocs thématiques, sont prévues au cours du master. Dans la collabo­ration interprofessionnelle, les étudiants des disciplines clés que sont la médecine et les soins infirmiers acquièrent les savoirs nécessaires à une prise en charge conjointe des patients, que ce soit au sein d’une équipe soignante ou dans d’autres disciplines, par exemple le Community Health Care, le Case Ma­nagement ou les soins intégrés. Cela exige de comprendre les manières de penser et les cultures spécifiques aux différentes professions, d’agir de manière coopérative pour le bien des patients, de faire preuve d’empathie, et d’être capable d’apprendre de ses erreurs.

Université de Berne

À Berne, les sessions de formation interprofessionnelle font partie intégrante du programme obligatoire pendant les deux premières années du baccalauréat universitaire. En première année, les étudiants passent ainsi l’une des huit demi-journées du stage au cabinet du médecin de famille chez un spécialiste d’un autre groupe professionnel collaborant avec l’équipe enseignante. La même année, dans un atelier de l’Institut de médecine de premier recours, les étudiants en médecine, conjointement avec des étudiants en soins infirmiers, en diabétologie, en diététique, en physiothérapie ainsi qu’avec des sages-femmes, abordent via des études de cas des problèmes typiques du secret professionnel. En outre, un cours pratique de ponction veineuse est proposé à la fois aux étudiants en médecine et aux étudiants en soins infirmiers. Un atelier sur le thème des affections musculosquelettiques est en cours de développement pour 2020. Lors des derniers semestres de leur cursus, des étudiants en médecine et en physiothérapie, pendant une demi-journée en ­cabinet de premier recours et une demi-journée en ­cabinet de physiothérapie, se pencheront à cette occasion sur les approches diagnostiques et thérapeutiques de chaque profession, via des cas concrets de patients souffrant par exemple de douleurs articulaires ou dorsales.

Université de Genève

À Genève, dans le cadre du cours introductif, la mé­decine de famille est présentée dès la première année d’étude comme un domaine de spécialisation autonome. Pour souligner l’importance du travail interprofessionnel dans la médecine de famille, des situations cliniques aisément compréhensibles sont abordées par des médecins de famille, des personnels de soin et des physiothérapeutes [8]. En deuxième année de baccalauréat universitaire, des étudiants en médecine humaine et des personnels de soin en formation suivent ensemble un cours d’une semaine sur le suivi médical interprofessionnel à proximité du domicile, sur l’éthique médicale appliquée, ainsi que sur la sécurité et/ou la qualité de la prise en charge. En première et troisième année de master, les étudiants en médecine humaine doivent être capables, dans le cadre de si­mulations et conjointement avec des représentants d’autres groupes professionnels, d’établir un tableau clinique aigu ou chronique et d’élaborer ensemble des solutions.
Toujours en troisième année de master, un véritable échange a eu lieu pour la première fois l’an passé: les étudiants en médecine effectuant leur tutorat en cabinet ont pu accompagner toute une journée un in­firmier à domicile dans sa tournée, et à l’inverse, des personnels de soin en formation ont pu passer une journée dans un cabinet de premier recours.

L’enseignement interprofessionnel – un défi permanent

Sachant que la collaboration interprofessionnelle jouit d’une grande considération dans la médecine de famille et que toutes les formes de collaboration décrites dans l’étude évoquée ci-avant [3] sont familières aux médecins, qui les éprouvent dans l’exercice quotidien de leur profession, les collègues regroupés au sein de l’organisation faîtière SAFMED considèrent de leur ­devoir de contribuer substantiellement à la formation interprofessionnelle au sein des diverses facultés de médecine. Il s’agit avant tout, outre les modules décrits plus hauts, souvent spécifiques aux différentes fa­cultés, de mettre l’interprofessionnalité au cœur de l’enseignement, dans le cadre de ce qu’on appelle les ­tutorats individuels, mais aussi en petits groupes, de sorte que les étudiants puissent prendre pleinement connaissance du rôle et de la fonction des différents spécialistes de santé, et ce dans des configurations diverses. Il faut en outre développer la collaboration interprofessionnelle en formant ensemble des spécialistes de différentes professions de santé, qui trouvent ainsi l’occasion de travailler ensemble, d’apprendre à se connaître et de s’enrichir les uns les autres. Même s’il ne sera guère possible dans la formation universitaire de rendre compte de l’effet immédiat de cette formation sur le bien des patients, il reste en revanche possible de déterminer, en se basant sur le modèle de Kirkpatrick [9], si les étudiants considèrent que cet ­enseignement leur est profitable, si leurs compétences dans les domaines du savoir, des aptitudes et du comportement se voient améliorées, et si, grâce à la formation interprofessionnelle, ils parviennent à durablement modifier leur attitude vis-à-vis avant tout de la collaboration. Sur le modèle de Daniel Büche [10], la formation des étudiants se concentrera sur les points suivants:
– Compétence communicationnelle, empathie
– Prise de décision participative
– Coopération
– Valeurs fondamentales de respect, d’estime et de ­tolérance
– Professionnalisme
– Conscience de son propre rôle
– Esprit d’équipe
– Confiance dans le sérieux et les compétences des autres professions
Il appartient maintenant aux responsables éducatifs de chaque institut d’imaginer des moyens d’intégrer davantage l’apprentissage interprofessionnel dans les programmes existants.

Un accompagnement scientifique ­indispensable

Il reviendra à toutes les facultés de médecine de notre pays, et particulièrement bien sûr aux instituts de médecine de premier recours, de développer différents modules d’enseignement interprofessionnels, et, dans la mesure du possible, de les accompagner scientifiquement. Il ne suffira toutefois pas de distribuer des questionnaires et de mener des études qualitatives auprès des étudiants. Il faudra aussi prévoir des études comparatives permettant de mettre en regard une for­mation uniprofessionnelle avec une formation interprofessionnelle ou multiprofessionnelle. Les examens OSCE sont parfaitement à même de rendre compte de l’effet d’une formation interprofessionnelle. Sachant que ces formations sont par nature très personnalisées, il sera inévitable d’étayer scientifiquement l’efficacité de ces modèles de formation.
PD Dr. med. Klaus Bally
Facharzt für Allgemeine Medizin FMH
Universitäres Zentrum für Hausarztmedizin beider Basel | uniham-bb
Kantonsspital Baselland
Rheinstrasse 26
CH-4410 Liestal
klaus.bally[at]unibas.ch
 1 Zwarenstein M, Glodmann J, Reeves S. Interprofessional collaboration: effects of practice-based interventions on professional practice and healthcare outcomes. Cochrane Database Syst Rev. 2009 Jul 8;(3).
 2 Haddara W, Lingard L. Are we all on the same page? A discourse analysis of interprofessional collaboration. Acad Med. 2013 Oct;88(10):1509–15.
 3 Atzeni G, Schmitz C, Berchtold P. Die Praxis gelingender interprofesioneller Zusammenarbeit – Studie im Auftrag der SAMW. Swiss Academies Reports, Vol. 12. Nr 2, 2017.
 4 Framework for Action on Interprofessional Education & Collaborative Practice (WHO/HRH/HPN/10.3), Organisation mondiale de la Santé, 2010.
 5 Reeves S, Perrier L, Goldman J, Freeth D, Zwarenstein M. Interprofessional education: effects on professional practice and healthcare outcomes (mise à jour). Cochrane Database of Systematic Reviews 2013, Issue 3.
 6 Köberlein-Neu J, Mennemann H, Hamacher S, Waltering I, Jaehde U, Schaffert C, Rose O. Interprofessional medication management in patients with multiple morbidities – a cluster-randomized trial (the WestGem study). Dtsch Arztebl Int 2016; 113: 741–8.
 7 Böni F, Bally K, Zeller A, Hersberger KE. «Interprofessional Education» in Medizin und Pharmazie an der Universität Basel. Synapse Octobre 2018.
 8 Van Gessel E, Picchiottino P, Doureradjam R, Nendaz M, Meche P. Interprofessional training: Start with the youngest! A program for undergraduate healthcare students in Geneva, Switzerland. Med Teach 2018;40(6):595–99.
 9 Kirkpatrick DL. Evaluating training programs: the four levels. San Francisco: Berrett-Koehler 1996.
10 Büche D. Interprofessionalität; in Neuenschwander H, Cina C. Handbuch der Palliativmedizin. Huber Verlag 2015.