L’autonomie de l’orange entière
Skill Training 7

L’autonomie de l’orange entière

Arbeitsalltag
Édition
2020/0708
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2020.10174
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2020;20(0708):247-248

Affiliations
Spécialiste médecine générale FMH et médecine psychosomatique ASMPP, Senior Editor PHC

Publié le 29.07.2020

«Se peut-il que vous soyez prisonnier d’un rôle qui obéirait à un vieux schéma? Accepteriez-vous que je remette ce rôle en question?»

L’intervention

«Se peut-il que vous soyez prisonnier d’un rôle qui obéirait à un vieux schéma? Accepteriez-vous que je remette ce rôle en question?» «Très bien. À vous entendre parler de vous, je conclus que vous vous sentez médiocre, insuffisant, inférieur, et en outre insatisfait. Cela correspond à l’image d’une orange coupée en deux, qui menace de se dessécher et pense avoir besoin de l’autre moitié (la «meilleure») pour être complète ou entière, rouler, ou tout simplement fonctionner dans la vie.»
À ce concept de la moitié d’orange vulnérable, j’adjoins une nouvelle image, un nouveau concept, qui change souvent très vite beaucoup de choses: «Imaginez que vous êtes, avec toutes vos forces et faiblesses, une orange entière (autonome). Vous rencontrez une autre orange entière, aux côtés de laquelle vous pouvez ­rouler. Vos chemins se rapprochent, s’éloignent, se séparent, puis vous faites de nouveau un bout de route ensemble... Comparez ces deux états: celui de l’orange coupée en deux, vulnérable, et celui de l’orange entière. Vous voyez comme on se sent plus libre quand on s’occupe de soi-même et qu’on roule l’un à côté de l’autre? Comme on se sent plus mobile, plus autonome, plus intéressant que lorsqu’on dépend sans cesse d’une deuxième orange (personne)?»

Skill Training

Avec la série Skill Training de Primary and Hospital Care, nous souhaitons présenter des aides à la ­communication simples, destinées au quotidien, sur lesquelles peut s’appuyer tout médecin de famille pour suivre de plus près l’axe psychosomatique-­psychosocial pendant la consultation. Vous êtes invités à laisser vos réactions et vos questions dans la fonction commentaire, située sous le texte, de la version en ligne de l’article, à l’adresse primary-hospital-care.ch.
Une première série Skill Training a déjà été publiée en 2014. Vous pouvez la retrouver dans nos archives (primary-hospital-care.ch/fr/archives) en tapant le nom complet de l’auteur, Pierre Loeb et «skill», dans la barre de recherche.

L’indication

Les patients qui manquent de confiance en eux au ­début de l’âge adulte, mais aussi ceux qui souffrent de ne pas avoir de relation (stable), ou qui au contraire ­entretiennent une relation symbiotique ou de dépendance, accueillent avec beaucoup de reconnaissance un soutien empathique à l’égard de leur situation. ­Sachant que nous nous sentons vite impuissants, que nous avons tendance à verser trop tôt dans la consolation, ou encore que nous ignorons souvent des appels à l’aide allusifs en ignorant tel ou tel propos, voici quelque chose qui peut nous être utile: l’image toute simple de deux moitiés d’orange symbiotiques, dépendant l’une de l’autre versus celle de deux oranges entières, autonomes, permet d’engager très rapidement une discussion empathique et étayante, et le recours à cette métaphore facilite une compréhension concrète du quotidien. Les patients réalisent notre implication – peut-être pas tout de suite, mais ils y reviennent volontiers plus tard. Ils nous ont entendus.

La théorie

Quand je repense aux états d’esprit, aux biographies ou aux difficultés personnelles qui sous-tendent les troubles psychosomatiques, je tombe de plus en plus fréquemment sur un manque de confiance en soi ou d’autonomie du patient. Cet arrière-fond s’exprime par des symptômes dépressifs, des troubles du sommeil, une apathie, une lassitude, des problèmes au travail et du surmenage. Et ces troubles psychiques ou ­psychosociaux s’expriment volontiers corporellement, en affectant le maillon faible de la chaîne des organes. Selon le type de personne, ils peuvent se ­traduire par des troubles ­cardiaques ou digestifs, des maux de tête ou de dos, une faiblesse du système immunitaire, des troubles sexuels ou une perte de libido, ou encore des problèmes de couple ou ­familiaux.

L’histoire

Un musicien de 43 ans est marié à une Chinoise un peu plus jeune. D’une timidité viscérale, tous deux n’ont eu que très peu de (bons) contacts sociaux et d’expériences avec leurs pairs. Ils n’ont pu se réaliser que dans le monde de la musique, et se sont rencontrés au conservatoire. Très renfermés et timides, chacun à sa manière, ils se sont trouvés. Chacun supportait le caractère difficile de l’autre, elle avec sa fermeture au monde, lui avec son anxiété. Il avait terriblement besoin d’elle quand ses angoisses se multipliaient. Cette tâche lui a donné un but dans sa vie, jusqu’à ce que ces pensées incessantes de scenarios catastrophes l’accablent à tel point qu’elle finisse pas en tomber malade. Fait intéressant, elle a développé des acouphènes. Lui s’est barricadé dans la culpabilité, voyant sa femme souffrir et se sentant responsable.
L’image de l’orange a permis d’éclairer d’un coup la problématique de couple d’une lumière nouvelle. Chacun a dû apprendre le difficile chemin d’une autonomie accrue, et payer du prix d’une douloureuse séparation la fierté et la confiance en soi ainsi gagnées. Mais ce fut pour tous deux un processus gratifiant et prometteur, avec pour objectif d’arriver à une relation praticable avec des partenaires autonomes et, dans la mesure du possible, de même valeur.

L’exercice

L’emploi de métaphores, images, de symboles, de paraboles, mais aussi de proverbes, s’avère souvent d’un impact éclatant et étonnamment durable.
Il ne s’agit pas d’attendre qu’un patient vous demande de l’aider à sortir d’une relation de couple symbiotique pour employer la parabole de l’orange. Cela peut évidemment arriver, mais il est bien plus prometteur d’expérimenter puis d’entamer le travail avec des images et des comparaisons qui vous viennent spontanément. Les occasions se présenteront plus souvent que vous ne le pensez.
Dr. med. Pierre Loeb
Facharzt für Allgemeine Innere Medizin FMH,
spez. Psycho­somatische Medizin SAPPM
Winkelriedplatz 4
CH-4053 Basel
loeb[at]hin.ch
Jürg Willi: Die Zweierbeziehung: Das unbewusste Zusammenspiel von Partnern als Kollusion. Rowohlt 1979. Éd. augmentée et révisée en 2012.