Unisanté, le nouveau centre ­universitaire de médecine ­générale et santé publique
Un nouvel acteur dans le champ médical universitaire suisse

Unisanté, le nouveau centre ­universitaire de médecine ­générale et santé publique

Arbeitsalltag
Édition
2020/04
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2020.10188
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2020;20(04):145-148

Affiliations
Centre universitaire de médecine générale et santé publique, Unisanté, Lausanne

Publié le 31.03.2020

Depuis le 1er janvier 2019, un nouvel acteur est apparu dans le champ médical universitaire suisse: Unisanté, le Centre universitaire de médecine générale et santé publique de Lausanne (www.unisante.ch).

La création du centre Unisanté répond aux défis des systèmes de santé, qui sont nombreux pour la médecine générale, la santé publique et la prévention [1, 2]. Le centre de gravité des systèmes de soins est en effet en train de se déplacer de l’hôpital vers la première ligne (médecins généralistes, pharmaciens, personnel infirmier, assistantes médicales) en raison notamment de la saturation du système hospitalier et de l’importance des maladies chroniques. Le médecin généraliste est l’un des pivots du système de soins: deux tiers des habitants consultent un médecin généraliste dans ­l’année écoulée! Et parmi ceux qui ont consulté un spécialiste, de plus en plus le font après avoir consulté un ­généraliste, le modèle d’assurance classique avec libre accès aux spécialistes n’intéressant plus qu’une minorité de résidents suisses [3].
Le renforcement de cette 1e ligne de soins est mis en exergue dans les objectifs de politiques sanitaires des autorités cantonales et fédérales. Dans cette perspective, il est apparu important d’innover sur le plan ­organisationnel et de donner à la 1e ligne un centre universitaire avec une responsabilité affirmée pour l’enseignement, la formation et la recherche. Cela s’inscrit dans la revalorisation de la médecine de famille initiée au début du siècle avec la création d’Instituts de médecine de famille dans les facultés de médecine en Suisse, le renforcement des policliniques dans leur rôle ­d’acteurs de la médecine communautaire, ainsi que ­l’importance de la santé publique universitaire dans l’identification et le suivi des politiques publiques en promotion de la santé et prévention ainsi qu’en organisation et financement des systèmes de soins.

Dimension multifactorielle de la santé

La santé n’est pas majoritairement déterminée par les services de soins, comme le rappelle judicieusement l’Académie suisse des sciences médicales (www.assm.ch). Elle est déterminée par des facteurs structurels, ­socio-économiques, psychosociaux, politiques, pro­fessionnels, comportementaux et environnementaux. Dans tous les pays, y compris la Suisse, la santé et la maladie suivent un gradient social: plus la condition socio-économique est basse, moins la santé est bonne [4].
Sur la base des modèles démographiques actuels, il est estimé que les hommes et les femmes nés en 2017 pourraient bénéficier d’une espérance de vie à 65 ans de 28 et 30 ans [5]. Par comparaison, un homme et une femme nés en 1917 avaient une espérance de vie à 65 ans de 16 et 20 ans, respectivement. Cette évolution démographique, combinée à l’amélioration des traitements, a pour conséquence d’augmenter le nombre de patients avec maladies chroniques. Dans ce contexte, il est impératif de mettre plus de poids sur la prévention et la promotion de la santé afin que cette augmentation de l’espérance de vie soit vécue le plus longtemps possible en bonne santé. Les politiques publiques de santé devront donc combiner des interventions sur les déterminants structurels et comportementaux de la santé, tout en intégrant les enjeux environnementaux. Des interventions multisectorielles sont donc nécessaires afin de développer des environnements propices au vieillissement en bonne santé, notamment en favorisant le maintien à domicile [6].

Création d’Unisanté – Lausanne

Fort de ces constats, les autorités politiques et universitaires du canton de Vaud, avec l’appui du Conseil de la Policlinique médicale universitaire (PMU) et de la direction du CHUV, ont lancé en 2017 le Projet Alliance santé. Ce projet a eu pour objectif la création en janvier 2019 d’un nouveau centre universitaire réunissant la PMU, l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive (IUMSP), l’Institut universitaire romand de santé au travail (IST), l’Institut universitaire de médecine de famille (IUMF) et l’association Promotion Santé Vaud (ProSV). Ce centre, appelé Unisanté, est un établissement de droit public, muni de sa personnalité juridique, doté de sa propre gouvernance et dont la base légale est le décret vaudois de la PMU, adapté en mars 2018. Ce centre universitaire n’est donc ni un service de l’Etat, ni une fondation. Son budget, de l’ordre de 130 millions, est subventionné à hauteur d’environ un tiers par l’Université de Lausanne et le département de la santé et de l’action sociale du canton de Vaud. Depuis le 1er janvier 2020, Unisanté a intégré les activités de la Fondation vaudoise des dépistages du cancer.
Unisanté compte actuellement environ 850 colla­borateurs et collaboratrices, dont 220 médecins, 150 infirmiers.ères et soignants.es, 45 pharmaciens ou pharmaciens assistants, 90 chercheurs/scientifiques, 60 personnes travaillant en promotion de la santé, une quinzaine de doctorants et 200 personnes engagées dans le soutien logistique et administratif l’opérationnel.
Si cette innovation organisationnelle est unique en Suisse, elle s’appuie sur des exemples d’autres univer­sités, notamment aux Pays-Bas (Maastricht) et en Grande-Bretagne (Londres, Cardiff).
Les missions d’Unisanté regroupent les activités suivantes:
1 Les activités de la première ligne de soins, en particulier la médecine générale et de famille, les soins infirmiers et le conseil pharmaceutique, ainsi que l’accès aux soins et l’orientation au sein du système de santé.
2 Les activités en lien avec des populations et patients en situation de vulnérabilité ou à besoins particuliers.
3 Les interventions de promotion de la santé, prévention primaire et dépistage.
4 Les expertises et recherches en santé publique, en particulier sur l’organisation et le financement des systèmes de santé, ainsi que la surveillance populationnelle, notamment pour mieux correspondre aux besoins de santé de la population.
5 Les expertises et les prestations en lien avec la médecine et santé au travail.
6 Des activités académiques de recherche et d’enseignement en médecine générale et communautaire, en santé publique et en santé au travail.
Les activités et prestations d’Unisanté sont réalisées par sept départements (fig. 1).
Figure 1: Structure organisationnelle d’Unisanté, le Centre universitaire de médecine générale et santé publique de Lausanne.

Convergence de la médecine générale et de la santé publique

Ce centre s’inscrit dans la réalité de la médecine ambulatoire. En effet, la majorité des médecins généralistes pratiquent une ou plusieurs activités hors de leur cabinet, dans des structures communautaires, telles que les Centres médico-sociaux (CMS), les établissement médico-sociaux (EMS), la médecine scolaire, la médecine-conseil, les expertises et l’enseignement au cabinet. Cette implication des généralistes en médecine communautaire confirme leur rôle comme acteurs de médecine communautaire et de santé publique [7], ce qui renforce leur position dans le système de soins.
Unisanté soutient le développement d’une vision populationnelle (fig. 2) en médecine ambulatoire [8–10]. Cette perspective doit permettre de mieux caractériser les groupes de patients suivis dans les cabinets de ­médecine générale et d’être proactif dans la mise en œuvre d’interventions mieux ciblées, notamment dans les domaines de la prévention et des soins équitables. Cela devrait également favoriser une meilleure coordination des soins pour des patients avec plusieurs maladies chroniques, par exemple en identifiant mieux celles et ceux devant bénéficier d’un soutien spécifique (case management, social, etc..). En termes d’organisation du cabinet, cela pourrait permettre de mieux identifier les ressources nécessaires en personnel et l’adoption de modèles de financement innovants. Cette vision suscite cependant des défis, notamment en lien avec la préservation de l’autonomie des patients et de la confidentialité, la standardisation des soins et la préservation du «care» en médecine générale. Par ailleurs, cela nécessite un changement structurel d’importance dans le contexte sanitaire suisse avec l’adoption de nouveaux modèles de soins et la ­nécessité d’instaurer l’inscription de patients. En effet, afin de permettre le développement d’une vision populationnelle, il est nécessaire que chaque cabinet sache qui est sa «population de patients» inscrite. Contrairement à certaines idées reçues, cela n’entrave pas le libre choix du médecin (chaque patient est libre de se désinscrire d’un cabinet pour aller dans un autre) et ne représente en rien une étatisation de la médecine, chaque cabinet étant autonome dans la gestion de la liste.
Figure 2: Modèle de responsabilité et d’aspiration du médecin au sujet des influences sur la santé.
Par influences socio-économiques directes, on entend par exemple les politiques ­publiques favorables à la santé, telles que les lois sur le port obligatoire de la ceinture de sécurité, le tabagisme passif dans les lieux publics et la taxation des produits sucrés.
Par influences socio-économiques au sens large, on entend par exemple la gratuité du système éducationnel et l’incitation à réaliser des aménagements construits et urbains favorables au mouvement. Par influences globales sur la santé, on entend par exemple l’impact du revenu financier et du réchauffement climatique.
Unisanté vise à aider les décideurs des politiques publiques à ne pas augmenter les inégalités en santé, idéalement à les diminuer, voire à les combler, en tenant mieux compte des déterminants socio-économiques de la santé et de certaines spécificités (patients avec faibles compétences en littératie en santé). L’objectif est de s’appuyer notamment sur les nouvelles technologies de la révolution numérique. En associant étroitement la recherche en 1ère ligne de soins avec la recherche en systèmes et services de santé, y compris dans ses aspects d’économie de la santé, Unisanté ­dispose d’une palette d’expertise très précieuse dans un contexte où les coûts du système de santé représentent une part toujours plus élevée dans le budget des ménages. Ce dispositif permet également d’affronter d’autres défis, tels que ceux liés à la migration. Avec son expertise en économie de la santé, Unisanté pourra servir de laboratoire pour tester de nouvelles pistes de financement.
Par ailleurs, l’évolution de la santé au travail suggère de favoriser les interfaces avec la médecine générale et la santé publique. En raison de la difficulté à établir des liens clairs de causalité, les maladies dites liées au ­travail sont actuellement prises en charge par les assurances privées, ce qui limite la reconnaissance des ­maladies professionnelles et conduit à une probable sous-estimation de l’impact réel des conditions de travail sur l’état de santé et les coûts de la santé. La proximité des champs de la santé environnementale et de la santé au travail nécessite enfin de réunir les expertises de ces deux domaines, en particulier pour appréhender l’impact des polluants présents dans l’environnement de travail.
Dans la perspective de l’utilisation efficiente des ressources, il est important de donner aux médecins ­généralistes et aux autres professionnels de la 1e ligne de soins, notamment les pharmaciens et les infirmières, les moyens de traiter certains problèmes aigus de santé et de maintenir les citoyens dans leur lieu de vie le plus longtemps possible, en évitant un passage par les urgences hospitalières et des séjours d’hospitalisation, qui peuvent contribuer à déconditionner les patients, en particulier les plus âgés.
Ce développement fait également écho au nouveau ­catalogue fédéral de l’enseignement prégradué des études de médecine (www.profilesmed.ch) dans lequel la médecine communautaire est clairement identifiée comme une des priorités de la formation des futurs médecins. En fin de compte, ne faut-il pas se préparer au changement, en concordance avec la conclusion d’un «Perspective paper» du New England Journal of Medicine: «In many respects, our medical systems are best suited to diseases of the past, not those of the present or future» [11].
Prof. Dr méd. Jacques Cornuz
Directeur, médecin chef Unisanté
Rue du Bugnon 44
CH-1011 Lausanne
Jacques.Cornuz[at]chuv.ch
 1 Frieden TR. The future of Public Health. N Engl J Med. 2015;373(18):1748–54.
 2 Orkin A et al. Clinical Population Medicine: integrating clinical medicine and population health in practice. Ann Fam Med. 2017;15(5):405–9.
 3 Senn N., Ebert ST, Cohidon, C. La médecine de famille en Suisse. Analyse et perspectives sur la base des indicateurs du programme SPAM. Obsan Dossier 55. Neuchâtel: Observatoire suisse de la santé. 2016.
 4 Bulletin de l’office fédéral de la santé publique, Spectra 119; janvier 2018.
 5 OFS. Tables de mortalité pour la Suisse 2008/2013; Office fédéral de la statistique, Neuchâtel 2017.
 6 Bonk M. Policies on Ageing and Health. A selection of innovative models. Multisectoral action for a life course approach to healthy ageing. Bern, December 2016, disponible sur www.bag.admin.ch/ageing
 7 Jakob J, et al. Participation in medical activities beyond standard consultations by Swiss general practitioners. BMC Family Practice. 2018;19:52.
 8 Levesque J, et al. The Interaction of Public Health and Primary Care: Functional Roles and Organizational Models that Bridge Individual and Population Perspectives. Public Health Reviews. 2013;35:21–7.
 9 Cohidon C, Cornuz J, Senn N. Primary care in Switzerland: evolution of physicians’ profile and activities in twenty years (1993–2012). BMC Family Practice. 2015;16:107 doi:10.1186/s12875-015-0321-y.
10 Cornuz J, Bodenmann P. Senn N. Staeger Ph. Médecine générale et santé communautaire: des intérêts communs. Rev Med Suisse. 2018;625:1923–4.
11 Jones DS, Podolsky SH, Greene JA. The Burden of Disease and the Changing Task of Medicine. N Engl J Med. 2012;366:2333–8.