La formulation constructive
Skill Training 9

La formulation constructive

Arbeitsalltag
Édition
2020/10
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2020.10229
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2020;20(10):318-319

Affiliations
Spécialiste en médecine interne générale FMH, spéc. Médecine psychosomatique SAPPM, rédacteur en chef PHC

Publié le 06.10.2020

Les notions négatives sur la maladie, le fait de de se faire du mal, le désespoir, les doutes sur soi-même, sur le thérapeute, sur le cours d’une maladie font partie des pires renforçateurs de la maladie.

L’intervention

«Vu le mauvais état de mes coronaires, je vais mourir avant mon mari…». A quoi je réponds: «Ceci ne me ­paraît pas une formulation optimale. Essayez de le formuler de cette façon: Vu l’état de mes coronaires, il est désormais important de s’entraîner régulièrement, de faire attention à mon régime et de me protéger du stress. Dites-le avec vos mots et essayez de sentir la ­différence».
La patiente répète la phrase à plusieurs ­reprises, en étant un peu réticente au début, mais, au fur et à mesure, elle finit par trouver une formulation qui exprime ce dont je parle (et en fait, elle aussi) et par me confirmer que cette affirmation est désormais beaucoup plus positive et constructive. Voici un bon départ pour aborder quelque chose de nouveau!

L’indication

Chaque fois que cela nous fait mal de devoir entendre combien un patient se sent mal jugé, se plaint ou se sent rabaissé, cela vaut la peine de l’interrompre et de lui refléter à quel point il se fait du mal à lui-même. Très souvent, il ne s’en rend pas du tout compte, il s’y est déjà tellement habitué, s’est adapté à son processus de pensée négative qu’il a accepté comme une vérité absolue. Avec notre méthode, nous avons un outil utile à lui offrir. Nous allons d’abord demander à notre pat­iente si elle est intéressée par une observation que nous avons faite. Si nous nous mettons d’accord, nous sommes libres d’utiliser notre intervention.

La théorie

Les notions négatives sur la maladie, le fait de de se faire du mal, le désespoir, les doutes sur soi-même, sur le thérapeute, sur le cours d’une maladie font partie des pires renforçateurs de la maladie et des saboteurs de guérison. Inversement, une espérance positive et constructive est généralement le moteur de vie «salutogène» le plus important. Ceux qui voient toujours un sens à leur vie supportent bien mieux des conditions même épouvantables que ceux qui s’affaiblissent et perdent le dernier espoir. Selon le psychiatre Viktor Frankl (1905–1997) – qui a survécu à l’Holocauste – le sens propre que l’on a de sa vie est le moteur essentiel de l’homme. Les personnes qui considèrent leur existence comme insignifiante se trouvent donc dans un vide existentiel. Cela les empêche d’organiser leur vie en fonction de leurs propres valeurs. Frankl a évoqué l’hypothèse que la plupart des gens se retrouvent au moins par phases dans un tel vide: «À quoi bon?». Sa ­logothérapie commence là. Elle veut aider à lutter contre la perte de sens et la dépression qui en résulte et aide les gens à trouver leur propre sens à la vie [1].

L’histoire

Une patiente de 66 ans doit subir une angiographie ­coronaire en raison d’une nouvelle détérioration cardio-pulmonaire. Tout se passe sans aucun problème, un deuxième stent est placé, les autres vaisseaux sont examinés en détail. Lors de la dernière consultation, le cardiologue, qui avait déjà effectué la première intervention il y a trois ans, déclare que l’état des artères s’est malheureusement aggravé entre-temps. Le résultat est cependant à nouveau satisfaisant et la patiente peut quitter l’hôpital le lendemain. Elle reçoit les ­médicaments habituels: de l’acide acétylsalicylique, un autre inhibiteur de l’agrégation plaquettaire pour six mois et un réducteur des lipides. Mais la patiente qui vient pour des consultations régulières est particulièrement inquiète concernant la détérioration de ses vaisseaux coronaires. Combien de temps cela va-t-il durer, combien de stents de plus peuvent-ils être posés et si tous les vaisseaux étaient «fermés», combien de temps pourrais-je survivre? Dans cet exemple, la puissance des images redevient évidente. Elle a vu de ses propres yeux – et peut le revoir sur le DVD fourni – à quel point l’état de ses coronaires est mauvais. De même que nous pouvons en tant que médecins aider de manière constructive grâce aux images ou illustrations, nos descriptions des résultats de la tomodensitométrie, de l’IRM ou de la coronarographie peuvent avoir un effet négatif évident. Pour l’instant, il importe – sans banaliser les résultats – de développer un comportement positif afin d’améliorer les chances de guérison et de permettre une poursuite constructive de la vie. Une formulation positive possible se trouve au ­début du texte ci-dessus. Une autre possibilité ­serait, par exemple: «avec les médicaments, les promenades ­quotidiennes et un mode de vie généralement sain, je peux mener une vie satisfaisante». Travaillez avec vos ­patients pour mettre au point une formulation qui les ­aidera et leur permettra d’aller de l’avant.

L’exercice

L’exploration précise de la vision du patient est considérée comme l’un des instruments les plus performants du spécialiste en psychosomatique. C’est seulement lorsque l’on comprend vraiment comment le patient s’explique son dysfonctionnement, quel type de modèle il a de sa maladie et de sa cause (la culpabilité!) que nous pouvons travailler sur ces concepts. Que ce soit en corrigeant ses hypothèses au moyen de notre compréhension physiologique, ou en établissant des corrélations qui nous paraissent évidentes à partir de ce que nous savons de sa biographie. En écoutant activement [2] et en explorant de manière toujours plus précise la narration de notre vis-à-vis, l’on atteint généralement un niveau d’interaction qui rend les consultations beaucoup plus passionnantes qu’au moyen de spéculations sauvages ou de conseils théoriques hors contexte. Essayez. Notre outil si efficace est la formulation constructive que notre patient emporte avec lui, s’approprie et adapte jusqu’à ce que la phrase ait bon goût pour lui et laisse une lueur d’espoir à l’horizon. Prenez ce temps, il sera vite rentabilisé!

Skill Training

Avec la série Skill Training de Primary and Hospital Care, nous souhaitons présenter des aides à la ­communication simples, destinées au quotidien, sur lesquelles peut s’appuyer tout médecin de famille pour suivre de plus près l’axe psychosomatique-­psychosocial pendant la consultation. Vous êtes ­invités à laisser vos réactions et vos questions dans la fonction commentaire, située sous le texte, de la version en ligne de l’article, à l’adresse primary-­hospital-care.ch.
Une première série Skill Training a déjà été publiée en 2014. Vous pouvez la retrouver dans nos archives (primary-hospital-care.ch/fr/archives) en tapant le nom complet de l’auteur, Pierre Loeb et «skill», dans la barre de recherche.
Nous remercions Anne-Françoise Allaz pour la traduction de cet ­article en français.
Dr. med. Pierre Loeb
Facharzt fur Allgemein­medizin
FMH, Psychosomatische
Medizin SAPPM
Winkelriedplatz 4
CH-4053 Basel
loeb[at]hin.ch
1 Viktor E. Frankl. Retrouver le sens de la vie, InterEditions, 2017 (ISBN 978-2-7296-1678-6). Anthologie réunie et présentée par Alexander Batthyany. Traduction, avant-propos et notes par Georges-Elia Sarfati.
2 «Aktives Zuhören» dans «L’entretien motivationnel: aider la personne à engager le changement» par Miller, William R. Rollnick, Stephen.