L’angoisse du coronavirus au téléphone
Skill-Training 5

L’angoisse du coronavirus au téléphone

Arbeitsalltag
Édition
2020/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2020.10240
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2020;20(05):180-182

Affiliations
Spécialiste en Médecine interne générale FMH, spécialiste en Médecine Psychosomatique SAPPM, Senior Editor PHC

Publié le 05.05.2020

«Bonjour, M. Huber. Vous avez appelé parce que vous êtes actuellement anxieux à cause de la crise de coronavirus, c’est exact?»

L’intervention

«Bonjour, M. Huber. Vous avez appelé parce que vous êtes actuellement anxieux à cause de la crise de coronavirus, c’est exact?» S’il n’y a pas de réponse, je continue en demandant: «Etes-vous en état de parler de votre anxiété maintenant, ou êtes-vous trop bouleversé ou paniqué en ce moment?» «Bien, vous pensez que c’est possible maintenant, alors prenez une grande respiration et dès que vous le souhaitez, dites-moi exactement ce qui vous tracasse. Quel genre de peur ressentez-vous?».

L’indication

Nous devons maintenant explorer exactement ce dont notre patient a peur. A-t-il peur d’être lui-même infecté ou plutôt d’infecter quelqu’un, ou a-t-il peur de suffoquer, de l’unité de soins intensifs avec ses tubes et ventilateurs, ou en général de l’avenir, d’être seul quand il mourra ou de ce qui l’attend de «l’autre côté», ou de laisser les enfants et les proches seuls, d’être lui-même laissé seul, ou est-ce une préoccupation économique qui ne le laisse pas dormir? Nous devons écouter attentivement le patient et lui laisser suffisamment d’espace pour exprimer son besoin. La simple formulation de ses pensées et le fait que quelqu’un l’écoute attentivement apportent un soulagement. Avant de proposer nos propres rationalisations, explications ou même suggestions ou conseils – avec lesquels nous essayons de nous calmer nous-mêmes en premier lieu – nous devons écouter, suivre avec empathie les constructions mentales dans lesquelles les patients nous emmènent. Pas de consolation prématurée.
Cependant, si le patient commence à hyperventiler pendant la conversation, à paniquer, nous essaierons d’interrompre et de canaliser ses pensées: «Pouvez-vous sentir vos pieds sur le sol? Levez-vous brièvement, mettez-vous sur la pointe des pieds et laissez-vous retomber sur vos talons», ou «Appuyez très fortement sur le combiné du téléphone et comptez jusqu’à cinq à voix haute. Vous m’entendez? Pouvez-vous maintenant inspirer très lentement par le nez et expirer par la bouche en émettant un son?».
«Talkdown». Ramenons le patient sur terre. Nous nous assurons que le patient est prêt à parler et à penser clairement. Nous pourrions également interrompre la conversation et attendre que la personne se soit calmée, ait bu un thé ou pris une benzodiazépine et poursuivre notre conversation une demi-heure plus tard. Mais cela est rarement nécessaire. Si l’on donne aux gens l’espace nécessaire pour exprimer leurs véritables craintes, ils se calment dès que la conversation devient concrète et cohérente. Les émotions sont bienvenues et agissent souvent comme une catharsis.

Skill Training

Avec la série Skill Training de Primary and Hospital Care, nous souhaitons présenter des aides à la ­communication simples, destinées au quotidien, sur lesquelles peut s’appuyer tout médecin de famille pour suivre de plus près l’axe psychosomatique-­psychosocial pendant la consultation. Vous êtes ­invités à laisser vos réactions et vos questions dans la fonction commentaire, située sous le texte, de la version en ligne de l’article, à l’adresse primary-­hospital-care.ch.
Une première série Skill Training a déjà été publiée en 2014. Vous pouvez la retrouver dans nos archives (primary-hospital-care.ch/fr/archives) en tapant le nom complet de l’auteur, Pierre Loeb et «skill», dans la barre de recherche.

La théorie

Oui, la peur est là. Les perspectives sont en effet sombres, les gens meurent, souffrent, et nous sommes préoccupés par les nouvelles, les rapports sur la situation et nos propres expériences. Il ne s’agit pas de ne pas avoir peur. La crainte est justifiée. Beaucoup sont déjà soulagés lorsqu’ils comprennent que la peur est une réaction physiologique qui nous aide à être prudents, à nous préparer à une situation extraordinaire. Et parfois, il faut avoir de la gratitude envers la peur. Pour ainsi dire, elle a maintenant rempli sa tâche: je suis devenu vigilant et je suis conscient qu’il s’agit d’une situation d’urgence, la peur peut maintenant s’en aller ou s’estomper et moi, je reprends le contrôle.
L’étape thérapeutique suivante, après une certaine catharsis contrôlée, consiste à distinguer les peurs réelles et irrationnelles. Il n’est pas facile de tracer cette ligne, car les risques d’infection, de perte financière ou de détérioration imminente de la situation générale ne sont, avec la meilleure volonté du monde, pas facilement prévisibles aujourd’hui. C’est probablement ce qui explique la crise actuelle; nous tous – médecins, patients, scientifiques, entrepreneurs, politiciens – sommes exposés à un nouveau virus, à de nouveaux défis pour lesquels il n’y a pas encore d’expérience, et chacun doit improviser. Le coronavirus souligne notre propre finitude, il nous affecte donc tous profondément dans notre être. D’une part, cela permet de comprendre que la peur est parfaitement saine et appropriée dans cette situation, d’autre part, elle doit nous armer et non nous saboter. Pourtant, c’est exactement ce qui se passe quand la peur devient incontrôlable, quand la peur elle-même déclenche à nouveau la peur et que nous perdons notre emprise sur le terrain.
L’objectif de la consultation médicale est par conséquent: retomber sur le sol. Il faut prendre en main les choses que nous pouvons influencer et rester aussi calmes que possible face à celles que nous ne contrôlons pas. C’est tout ce que nous pouvons faire. Mais cela suffit pour se concentrer sur des activités «tangibles», concrètes.
Le point suivant est de comprendre que nos fantasmes et nos scénarios-catastrophe sont bien pires que la réalité. J’explique généralement cela avec une expérience personnelle: comme médecin de famille récemment diplômé, j’avais participé au service d’urgence de la ville et mes idées et fantaisies concernant ce qui ­m’attendait étaient bien pires que la situation réelle que je trouvais sur place. Que le problème soit de faire face à une situation de toute évidence désastreuse où la seule chose qu’il me restait à faire était d’appeler les ­secours et de pratiquer la RCP jusqu’à leur arrivée, ou celui d’une escalade familiale ayant conduit à une hyperventilation, j’ai toujours fait ce que j’ai pu, j’étais ­occupé et je n’avais pas le temps d’imaginer ce qui ­aurait pu se passer d’autre.
Nous essaierons donc d’explorer autant que possible les craintes de notre patient et de les porter ensemble. Les individualiser et les rendre moins catastrophiques. Qu’est-ce que cela signifie pour lui de se trouver dans une unité de soins intensifs? Qu’est-ce qu’il imagine exactement? Et que fera le personnel infirmier dévoué? A-t-il opté dans ses directives anticipées pour la respiration artificielle ou pour un traitement palliatif? Sa famille est-elle prise en charge? Que sait-il de sa future situation professionnelle, et dans quelle mesure s’agit-il de présupposés ou de craintes?
Le médecin et animateur Eckhart von Hirschhausen parle d’«acceptation radicale» dans la Basler Zeitung du 03.04.2020: «Plus nous gaspillons d’énergie mentale en accusant la réalité car nous avions imaginé les choses différemment, plus cela devient pénible. Et moins il reste d’énergie pour une vision constructive de cette situation exceptionnelle. Cette image vous aidera peut-être: je reste à la maison maintenant – non pas parce que j’y suis obligé, mais parce que je pense que c’est logique et que je protège les autres. Et j’essaie d’en tirer le meilleur parti. Nous pouvons le faire pour aider les médecins, les infirmières et bien d’autres personnes qui s’efforcent de faire tourner les choses au maximum de leurs capacités à ne pas se retrouver dans une surcharge totale. Et nous donnons aux scientifiques le temps de développer des médicaments et des vaccins. La distance sociale n’est pas agréable, mais c’est la meilleure chose que nous puissions faire pour l’instant». [1].

L’histoire

En tant que médecins, nous pouvons nous efforcer de corriger le concept du patient en remplaçant les idées inadéquates par des informations concrètes. Par exemple, indiquer que les difficultés respiratoires peuvent être largement atténuées dans la plupart des cas par l’oxygène et la morphine. La description détaillée dans l’interview du chef du service de soins intensifs de l’hôpital universitaire de Bâle, le professeur Dr. med. Hans Pargger, dans «Rendez-vous» de Radio SRF 1 [2] du 03.04.2020 est utile. «Ce qui est étonnant, c’est que les patients n’ont pas un essoufflement aussi massif qu’on pourrait le craindre». Et si la respiration artificielle s’avère nécessaire, il poursuit: «Un poumon infecté par le coronavirus présente une grave inflammation et cela endommage les ­alvéoles à partir desquelles l’oxygène passe des poumons au sang. Il peut y avoir une sécrétion de liquide dans ces alvéoles, les membranes peuvent se rompre, de petits saignements peuvent se produire [...] Si l’essoufflement devient trop important, il faut mettre le patient sous respirateur. Pour ce faire, on lui donne de l’oxygène pur à travers un masque pendant quelques minutes au début, puis on l’endort et on lui ­administre un remède qui détend les muscles. Le médecin insère alors un tube par la bouche et les cordes vocales dans la trachée [...] Une astuce simple est également extrêmement efficace: mettre le patient plusieurs fois sur le ventre, pendant plusieurs heures. Cela met en mouvement le liquide inflammatoire dans les poumons et libère ainsi les alvéoles pulmonaires [...] La majorité des patients entre 50 et 70 ans qui n’ont pas eu de maladies graves auparavant devraient pouvoir rentrer chez eux. Lorsque les fonctions pulmonaires se rétablissent chez un patient ventilé et anesthésié, les médecins réduisent lentement l’activité de la machine, le patient respire de plus en plus par lui-même et entraîne ses muscles respiratoires affaiblis. Quand tout cela est dans la «zone verte» et que le patient est prêt, on le laisse se réveiller et on retire le tube».
De la même manière, nous faisons face à toutes les peurs concrètes qui pèsent sur nos patients. Il ne s’agit pas de banaliser la souffrance, mais les fantasmes d’horreur excessifs sont remplacés autant que possible par des informations réelles et rationnelles. Cela concentre la réflexion et ramène la conversation sur terre.

L’exercice

Il est à craindre que dans les semaines et les mois à venir, les craintes économiques existentielles, les tragédies familiales dues aux conditions de quarantaine [3], la dépression et les tendances suicidaires remplacent la peur de l’infection. Vous aurez donc largement l’occasion de discuter des nombreuses questions et préoccupations de vos patients. Demandez-leur explicitement quels rituels ou techniques fonctionnent ou ont fonctionné pour eux et prescrivez-les! Par exemple: «Faites votre promenade deux fois par jour – et par tous les temps». Renforcez la responsabilité personnelle de vos patients. Portez attention aux exercices physiques, aux exercices «d’ancrage», qui canalisent le corps, la respiration et les pensées. Tout le monde a sa propre «boite à outils» – le médecin et le patient. Cela inclut également les médicaments, les gouttes homéopathiques ou les tisanes, la musique – tout ce qui peut aider. En revanche, pour la majorité de ceux qui ne les utilisent pas régulièrement, la méditation, le training autogène ou la réduction du stress basée sur la pleine conscience (Mindfulness) sont trop exigeants dans un état aigu et peuvent réactiver des ruminations inutiles.
Il est par conséquent important de s’occuper de la situation de manière ciblée puis ensuite de l’éviter de manière tout aussi ciblée. Il faut donc fixer un temps ­limité pour les nouvelles – mais également pour se plaindre. Si cela ne fonctionne pas et que la peur conduit régulièrement à un trouble panique avec ­hyperventilation, palpitations et autres symptômes adrénergiques typiques, il faut envisager de consulter un spécialiste.
Dr. med. Pierre Loeb
Facharzt für Allgemeine Innere Medizin FMH,
spez. Psycho­somatische Medizin SAPPM
Winkelriedplatz 4
CH-4053 Basel
loeb[at]hin.ch
1 «Auch mal einen Baum umarmen», Interview avec Eckhart von Hirschhausen dans la Basler Zeitung du 03.04.2020, p 14.
2 L’intégralité de I’interview avec le Prof. Hans Pargger des Soins intensifs, Hôpital Universitaire de Bâle sur «Rendez-vous» de la Radio SRF 1 du 03.04.2020 https://www.srf.ch/play/radio/rendez-vous/audio/immer-mehr-menschen-muessen-kuenstlich-beatmet-werden?id=5efe0598-f8d3-428f-b82f-ff222e1ecdaa
3 The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence. Samantha K Brooks et al. ­Lancet. 2020 ;395:912–20.