Cœur et stress
Etude actuelle à l’hôpital universitaire de Zurich

Cœur et stress

Aktuelles
Édition
2020/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2020.10242
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2020;20(05):157-159

Affiliations
Klinik für Konsiliarpsychiatrie und Psychosymatik, Universitätsspital Zürich

Publié le 05.05.2020

Connaissez-vous la sensation d’être totalement épuisé, de ne plus pouvoir décrocher et véritablement vous reposer après des heures de travail longues et émotionnellement éprouvantes?

Définition et conceptualisation du ­syndrome d’épuisement professionnel

Le concept de syndrome d’épuisement professionnel («burnout») a été introduit dans les années 1970 par le psychanalyste newyorkais Herbert Freudenberger [1]. Il a décrit la dégradation psychique et physique observée chez des volontaires qui travaillaient dans des établissements sociaux. Ces derniers souffraient entre autres d’épuisement, de fatigue, d’insomnies, de céphalées et de troubles digestifs et faisaient état d’une irritabilité et d’une impatience accrues, ainsi que d’une diminution de la flexibilité de la pensée.
Dans la classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-11), le syndrome d’épuisement professionnel n’est pas défini comme une maladie à part entière mais comme un état affectif négatif à risque pouvant engendrer des maladies secondaires psychiques et physiques (Z73.0).
Figure 1: Prise de position écrite de la Deutsche Gesellschaft für Psychiatrie, Psycho­therapie, Psychosomatik und Nervenheilkunde (DGPPN) sur le thème du syndrome d’épuisement professionnel (d’après [19]).
Le concept de syndrome d’épuisement professionnel le plus souvent employé dans la pratique clinique et la ­recherche comprend trois symptômes centraux. Il se caractérise par a) des sentiments d’épuisement émotionnel, b) une aliénation et une distanciation du ­travail, et c) une performance réduite au travail, et il est évalué au moyen du Maslach Burnout Inventory (MBI) [2].
Dans une prise de position écrite publiée en 2012, la Deutsche Gesellschaft für Psychiatrie und Psychotherapie, Psychosomatik und Nervenheilkunde (DGPPN) a développé un concept relatif à la transition entre charge de travail et manifestation de maladies [3]. Ce concept prend en considération les relations dynamiques entre les conditions de déclenchement liées au travail et les conditions de déclenchement individuelles, y compris les éventuelles maladies préexistantes (fig. 1). Alors qu’en cas de surmenage professionnel, les réactions de stress peuvent régresser lors de courtes phases de repos, dans le cadre d’un syndrome d’épuisement professionnel, il n’y a plus de régression de l’épuisement, des symptômes végétatifs et de la diminution de la performance. Une régénération est toutefois possible moyennant des mesures appropriées. Le syndrome d’épuisement professionnel est ici aussi défini en tant qu’état à risque pouvant engendrer le développement de ­maladies psychiques et physiques dans le contexte d’une surcharge de travail (figurant dans le domaine des ­maladies secondaires). Le domaine des maladies ­somatiques et psychiques recouvre des maladies qui peuvent s’accompagner de troubles similaires à ceux du syndrome d’épuisement professionnel, c’est-à-dire entraîner des sentiments de surmenage, d’insuffisance et d’épuisement. Ces maladies doivent être prises en compte dans le diagnostic différentiel, car elles peuvent imiter ou renforcer les symptômes du syndrome d’épuisement professionnel. Le traitement efficace d’une maladie sous-jacente s’accompagnant de ­fatigue chronique peut par exemple permettre de remédier à la problématique de syndrome d’épuisement professionnel ou de la réduire nettement.

Prévalence du syndrome d’épuisement professionnel dans la profession ­médicale

Une revue publiée récemment, ayant porté sur 109 628 médecins issus de 45 pays différents, a rapporté une prévalence du syndrome d’épuisement professionnel de 67% [4]. Une étude longitudinale menée aux États-Unis a quant à elle montré une hausse de la prévalence du syndrome d’épuisement professionnel chez les médecins, passant de 45% à 54% entre 2011 et 2014 [5]. Dans une autre étude ayant évalué 1755 médecins de Suisse, 4% d’entre eux présentaient un syndrome d’épuisement professionnel sévère (valeurs élevées pour ­l’ensemble des trois symptômes centraux), et 30% un syndrome d’épuisement professionnel modéré [6]. Dans cette étude, les facteurs suivants ont été identifiés en tant que facteurs prédictifs de la manifestation d’un syndrome d’épuisement professionnel modéré: sexe masculin, âge entre 45–55 ans, stress ressenti ­excessivement en raison d’une charge de travail élevée, et difficultés à trouver un bon équilibre entre la vie professionnelle et personnelle.

Répercussions de la prévalence élevée du syndrome d’épuisement professionnel dans la profession médicale

Chez les médecins, le syndrome d’épuisement professionnel peut avoir des répercussions négatives aussi bien sur le plan personnel que professionnel (fig. 2) [7]. Le syndrome d’épuisement professionnel est notamment associé à une augmentation des douleurs de ­l’appareil locomoteur [8], à une fertilité réduite [9], à l’alcoolisme et la toxicomanie [10, 11], à un taux accru de risque de suicide [12] et à une mortalité globale plus élevée [13]. Les résultats de nouvelles études montrent en outre que le syndrome d’épuisement professionnel entrave le professionnalisme, réduit la qualité des soins, augmente le risque d’erreurs médicales [14] et pourrait entraîner un retrait prématuré de la vie active [9]. En 2006, une revue a montré que le syndrome d’épuisement professionnel et le concept d’épuisement vital augmentent le risque de maladies cardiovasculaires et peuvent également avoir une influence sur d’autres facteurs de risque cardiovasculaire, tels que le diabète [15].
En conclusion, nous pouvons retenir que la prévalence du syndrome d’épuisement professionnel et les conséquences qui en résultent sont d’une grande pertinence pour les travaux de recherche, et ce notamment dans le domaine de la santé.
Figure 2: Répercussions personnelles et professionnelles du syndrome d’épuisement professionnel dans la profession médicale (d’après [7]).

La réactivité au stress en tant que lien potentiel entre syndrome d’épuisement professionnel et coronaropathie ­subclinique

Le stress émotionnel (et le stress psychosocial), médié par le système nerveux sympathique (SNS) et l’axe ­hypothalamo-hypophyso-surrénalien, fait partie de la réponse combat-fuite. Le stress est responsable d’une série de modifications biologiques pertinentes pour la santé cardiovasculaire, y compris d’une augmentation de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle ainsi que de l’activité inflammatoire et de coagulation [16]. Chez les personnes qui présentent des signes d’athérosclérose subclinique prématurée, tels qu’une dysfonction endothéliale vasculaire, une perfusion myocardique réduite, une épaisseur intima-media carotidienne augmentée et une calcification des artères coronaires, le risque de syndrome coronarien aigu et de décès cardiovasculaire peut être augmenté par le biais d’une réaction au stress biologique accrue [17]. Une autre étude longitudinale a montré pour la première fois que la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC) est associée à des modifications des symptômes de syndrome d’épuisement professionnel, et ce indépendamment des symptômes dépressifs [18]. Toutefois, seul le symptôme central «épuisement émotionnel» était prédictif des modifications de la VFC. Cela souligne le rôle de l’épuisement émotionnel dans la modification de la régulation du système nerveux autonome.

Objectif de l’étude

Jusqu’à présent, aucune étude n’a spécifiquement évalué les médecins avec syndrome d’épuisement professionnel au regard de leur santé cardiovasculaire. Au moyen de cette étude transversale, nous souhaitons identifier les mécanismes psychobiologiques qui se répercutent défavorablement sur le risque cardiovasculaire accru chez les personnes atteintes d’un syndrome d’épuisement professionnel. A cet effet, nous évaluons des médecins de sexe masculin avec et sans syndrome d’épuisement professionnel.
Nous voulons en premier lieu découvrir dans quelle mesure le flux sanguin diffère entre ces deux groupes. Notre hypothèse est que le flux sanguin dans le cœur est significativement plus faible dans le groupe du syndrome d’épuisement professionnel par rapport au groupe contrôle. De plus, la sclérose coronarienne est évaluée au moyen d’une tomodensitométrie (TDM) cardiaque et du score calcique. Nous voulons également analyser ou vérifier différentes variables psychosociales, comme par exemple la dépressivité, l’anxiété et le soutien social. Les biomarqueurs de l’inflammation et de la coagulation seront également évalués au moyen d’une prise de sang réalisée avant et après un test d’effort standardisé d’une durée de 15 minutes.
Les résultats peuvent livrer des indices et leviers précieux pour le développement d’interventions thérapeutiques précoces en lien avec le stress professionnel chronique.
Les médecins qui présentent un stress chronique élevé pourraient être informés précocement de leur état de santé cardiaque et être soutenus au moyen de mesures correspondantes.

Déroulement et durée de l’étude

L’étude sera réalisée à l’aide d’une tomographie par émission de positons (TEP), d’une TDM cardiaque, de prises de sang, de différents questionnaires, ainsi que d’un test d’effort.
L’ensemble des analyses et tests ont lieu à l’hôpital universitaire de Zurich: la TEP cardiaque et la TDM cardiaque à la clinique de médecine nucléaire, et le test ­d’effort avec prises de sang pour la détermination des biomarqueurs ainsi que le remplissage de plusieurs questionnaires sur la santé physique et mentale dans le laboratoire de la clinique de psychiatrie de liaison et de psychosomatique. Si vous êtes intéressé, vous re­cevrez des informations sur l’étude. Si vous êtes en principe d’accord pour participer, nous évaluerons la possibilité de votre participation à l’étude lors d’une ­interview téléphonique (environ 20 minutes). Vous recevrez ensuite toutes les informations sur le déroulement ultérieur ainsi qu’un rendez-vous pour l’examen médical. Nous recueillerons en outre votre consentement écrit.
Une sortie de l’étude est possible à tout moment. Votre participation est dédommagée par un avoir pour un déjeuner. Les trajets avec les transports en commun ou les frais de parking sont également dédommagés. ­L’investissement de temps total est d’environ 5–6 heures. Toutes les évaluations ont lieu au cours d’une demi-journée.

Participants recherchés. Qui peut ­participer?

Vous êtes médecin et vous vous sentez stressé ou épuisé par votre travail de médecin depuis au moins 6 mois. Vous êtes de sexe masculin*, âgé de 28 à 65 ans, non-fumeur et ne présentez pas de maladies cardiaques diagnostiquées ou de facteurs de risque cardiovasculaire connus.
Pour notre groupe contrôle, nous cherchons des ­médecins de sexe masculin qui ne se sentent pas stressés ou épuisés (28–65 ans, non-fumeurs, sans maladies cardiaques diagnostiquées, sans facteurs de risque cardiovasculaire connus).
* En raison de notre plan d’étude et des possibilités financières, nous ne pouvons analyser qu’un petit échantillon avec deux groupes extrêmes (syndrome d’épuisement professionnel oui/non). Malheureusement, cela ne nous permet pas de vérifier les influences hormonales du cycle féminin, raison pour laquelle nous ne pouvons inclure que des médecins de sexe masculin dans cette première étude sur le thème de la santé cardiovasculaire en cas de syndrome d’épuisement professionnel.

Inscription

Votre inscription ou vos questions relatives à l’étude sont traitées par la coordinatrice de l’étude, le Dr phil. Mary Princip +41 44 255 52 52, burnoutstudie[at]usz.ch. Veuillez noter que l’étude étant menée en allemand, seuls les volontaires parlant cette langue peuvent y ­participer.
 1 Freudenberger HJ. Staff burnout. J Soc Issues 1974;30:159–64.
 2 Maslach C, Jackson SE. The Maslach Burnout Inventory. Research Edition. Palo Alto, CA: Consulting Psychologists Press, 1981.
 3 Berger M, Linden M, Schramm E, Hillert A, Voderholzer U, & Maier W. Positionspapier der Deutschen Gesellschaft für Psychiatrie, Psychotherapie und Nervenheilkunde (DGPPN) zum Thema Burnout. Nervenarzt. 2012;4:537–43.
 4 Rotenstein LS, Torre M, Ramos MA, Rosales RC, Guille C, Sen S, & Mata DA. Prevalence of burnout among physicians: a systematic review. JAMA. 2018;320(11):1131–50.
 5 Shanefelt TD, Hasan O, Dyrbye LN, Sinsky C, Satele D, Sloan J, West CP. Changes in Burnout and Satisfaction With Work-Life Balance in Physicians and the General US Working Population Between 2011 and 2014. Mayo Clin Proc. 2015;90(12):1600–13.
 6 Goehring C, Gallacchi MB, Kunzi B, & Bovier, P. Psychosocial and professional characteristics of bournout in Swiss primary care practitioners: A cross-sectional survey. Swiss Med Wkly. 2005);135(7-8):101–108.
 7 Shanafelt TD, & Noseworthy JH. (2017, January). Executive leadership and physician well-being: nine organizational strategies to promote engagement and reduce burnout. In Mayo Clinic Proceedings (Vol. 92, No. 1, pp. 129–146). Elsevier.
 8 Armon G, Melamed S, Shirom A, Shapira I. Elevated burnout predicts the onset of musculoskeletal pain among apparently healthy employees. J Occup Health Psychol. 2010;15:399–408.
 9 Sheiner EK, Sheiner E, Carel R, Potashnik G, Shoham-Vardi I. Potential association between male infertility and occupational psychological stress. J Occup Environ Med. 2002;44:1093–9.
10 Ahola A, Honkonen T, Pirkola S, Isometsä E, Kalimo R, Nykyri E, Aromaa A, Lönnqvist J. Alcohol dependence in relation to burnout among the Finnish working population. Addiction. 2006;101(10):1438–43.
11 Hyman SA, Shotwell MS, Michaels DR, Han X, Card EB, Morse JL, Weinger MB. A Survey Evaluating Burnout, Health Status, Depression, Reported Alcohol and Substance Use, and Social Support of Anesthesiologists. Anasth Analg. 2017;125(6):2009–18.
12 Pompili M, Innamorati M, Narciso V, Kotzalidis GD, Domenici G, Talamo A, Girardi P, Lester D, Tatarelli R. Burnout, hopelessness and suicide risk in medical doctors. Clin Ter. 2010;161(6):511–4.
13 Ahola K, Väänänen A, Koskinen A, Kouvonen A, Shirom A. Burnout as a predictor of all-cause mortality among industrial employees: a 10-year prospective register-linkage study. J Psychosom Res. 2010;69:51–7.
14 Shanafelt TD, Balch CM, Bechamps G, Russell T, Dyrbye L, Satele D, Collicott P, Novotny PJ, Sloan J, Freischlag J. Burnout and medical errors among American surgeons. Ann Surg. 2010;251(6):995–1000.
15 Melamed S, Shirom A, Toker S, Berliner S, & Shapira I. Burnout and risk of cardiovascular disease: Evidence, possible causal paths, and promising research directions. Psychological bulletin. 2006;132(3):327.
16 von Känel R. Acute mental stress and hemostasis: When physiology becomes vascular harm. Thromb Res. 2015;135(Suppl 1):S52–5.
17 Pedersen SS, von Känel R, Tully PJ, Denollet J. Psychosocial perspectives in cardiovascular disease. Eur J Prev Cardiol. 2017;24(3_suppl):108–15.
18 Wekenborg MK, Hill LK, Thayer JF, Penz M, Wittling RA, & Kirschbaum C. The Longitudinal Association of Reduced Vagal Tone With Burnout. Psychosomatic medicine. 2019;81(9):791–8.
19 von Känel R. Le burnout et la résilience chez les médecins. Prim Hosp Care (fr). 2017;17(03):51–56.