Les multiples facettes d’un pays

La Suisse n’existe pas

Editorial
Édition
2021/01
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2021.10342
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2021;21(01):3

Affiliations
Président mfe, Médecins de famille et de l’enfance Suisse

Publié le 06.01.2021

En 1992, à l’occasion de l’Exposition universelle à ­Séville, l’artiste Ben Vautier avait illustré le pavillon helvétique avec le slogan «La Suisse n’existe pas». Après une première tempête d’indignation parmi tous les ­patriotes modèles et esprits bornés, il a pu expliquer ce qu’il entendait par là: il n’existe pas une Suisse, bien au contraire, il existe de multiples facettes de ce pays, et chacune d’elle contribue à ce que la Suisse soit justement cette Suisse dans laquelle nous vivons.
Des parties multiples peuvent se compléter à merveille et même former un tout, qui est bien plus que la somme des parties. L’accent est mis sur «peuvent». En effet, des parties multiples peuvent aussi avoir l’effet contraire, lorsqu’elles ont le sentiment qu’elles doivent se démarquer et poursuivre uniquement leurs propres intérêts sans tenir compte des autres parties ou du tout.
Au début de la pandémie, on avait l’impression qu’une onde de choc avait véritablement traversé le pays: les jeunes et les anciens se sont montrés solidaires et ont cherché des moyens de se soutenir mutuellement et de combattre ensemble la nouvelle menace que nous ne connaissions pas. En Italie, un clip dans lequel le virus se présente est devenu viral: «Je suis le COVID-19 et je suis venu pour vous montrer ce qui fait véritablement la substance de la vie. Je voulais vous montrer à quel point la proximité, la prévenance, la bienveillance, le souci de l’autre et le soutien mutuel sont importants. Je n’y suis pas parvenu.» A peine la première vague était passée, les égoïsmes ont refait surface, sans retenue.
La crise met à l’épreuve notre société et notre système de santé, qui en est une composante essentielle. La pandémie dévoile impitoyablement à quel point nous sommes mal organisés. Nous sommes pris au dépourvu, mais parvenons malgré tout à nous en sortir de justesse au printemps et en été grâce à l’intervention ­courageuse du Conseil fédéral. Et qu’est-ce qui se passe après? Rien. Encore rien. Toujours rien. Au lieu de se préparer à la deuxième vague, des guérillas d’intérêts sont menées, chaque branche souhaite que ses privilèges soient préservés dans une compétition des ­incompétences. En raison de «pesées des intérêts», le nombre de tests positifs en augmentation depuis ­septembre est ignoré. Les médecins de famille et de l’enfance de toute la Suisse ont été les témoins directs de cette augmentation des malades. Nous avons adapté nos concepts en conséquence, nous nous sommes préparés. Nous avons essayé, depuis le début de la pandémie, de proposer notre soutien, nous avons exigé que des concepts dans lesquels les médecins de famille et de l’enfance sont impliqués soient élaborés. Ce n’est qu’après une interview à la radio, le matin à six heures et quart, que les choses ont commencé à bouger lentement. Lentement.
Si nous extrapolons la situation de la pandémie à l’ensemble de notre système de santé et si nous gardons à l’esprit la manière dont le Parlement, l’administration et les cantons se comportent, alors nous pouvons craindre que notre population soit livrée à elle-même parce que chacun s’occupe de sa facette, ou en des termes plus simples, bidouille dans son coin. L’administration est prise au piège dans le corset légal, mais elle omet d’impliquer véritablement des experts. Au Parlement, des experts en politique de la santé font cruellement défaut et ils se comptent sur les doigts d’une main: en conséquence, les parties prenantes mènent la danse, on se dispute sur des détails et on ne discute même pas d’un concept global. Les cantons? De par leur compétence légale, ce sont eux les chefs. Mais chacun ne quémande que pour soi. L’échec durant la crise est tout bonnement le reflet de l’impuissance de la politique de la santé.
Pour 2021, je souhaite une Suisse qui existe avec toutes ses facettes. Mais avant tout, je souhaite que ces facettes se soutiennent mutuellement pour former un tout qui soit plus que la simple somme des parties. Aussi et ­surtout dans le domaine de la santé.
Sandra Hügli-Jost
Responsable communication, mfe – Médecins de
famille et de l’enfance Suisse
Secrétariat général
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