Présentation d’un outil pratique – le BITS

Dépistage de la suicidalité à l'adolescence

Lehre
Édition
2021/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2021.10368
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2021;21(07):221-222

Affiliations
a Médecin interniste généraliste FMH, Responsable de la recherche, Institut Universitaire de Médecine de Famille et de l’Enfance (IuMFE), Faculté de Médecine, Université de Genève; b Médecin interniste généraliste FMH, Chargée d’Enseignement, Institut Universitaire de Médecine de Famille et de l’Enfance (IuMFE), Faculté de Médecine, Université de Genève; c Médecin généraliste, Directeur du Département de Médecine Générale, Université de Poitiers, France

Publié le 06.07.2021

Dans le cadre du congrès d’automne de la SSMIG 2018, nous avons présenté un atelier sur le repérage de la suicidalité à l’adolescence. L’atelier avait pour objectif de situer le rôle du médecin généraliste dans le repérage en cabinet des adolescents suicidaires et de faire découvrir le BITS, un nouvel outil de repérage de la suicidalité à l’adolescence.

Vignette

Vous connaissez cette patiente de 16 ans depuis 4 ou 5 ans. Elle vous consulte 2–3 fois par an pour des motifs courants: infection des voies respiratoires supérieures, acné. Durant le mois de mai, l’adolescente vous a consulté à trois reprises pour une IVRS et une obstruction nasale. Elle a évoqué également un état de fatigue, mis en lien avec la fin de l’année scolaire et vous avez discuté d’options de gestion du stress. A la mi-juin vous apprenez qu’elle a été hospitalisée suite à une tentative de suicide. Vous êtes encore plus stupéfaite lorsque vous apprenez, en lisant la lettre de sortie, que c’est le second épisode en deux ans. Vous n’auriez jamais soupçonné cela chez votre patiente.
Dans les pays à haut revenu, le suicide est une cause principale de décès chez les adolescents et les jeunes adultes. On compte jusqu’à trois fois plus de décès par suicide que par accidents de la route. En Suisse, un jeune décède par suicide tous les trois jours. L’incidence de suicide est élevée dans notre pays comme dans beaucoup de pays d’Europe [1, 2].
Il n’est pas rare que les patients suicidaires soient en contact avec leur médecin traitant dans les semaines précédent un geste auto-dommageable [3, 4]. Mais la question du suicide est rarement abordée en consultation, surtout si la problématique de santé mentale n’est pas au premier plan. Comment aborder la question avec une jeune patiente qui vous consulte pour une affection aussi banale qu’une IVRS? C’est en réfléchissant à cette question que nos collègues de l’université de Poitiers ont développé l’approche BITS. En se basant sur les résultats d’une étude réalisée chez des écoliers de 15 ans, ils ont identifié les problèmes plus généraux fréquemment associés avec des antécédents d’idées ou de tentatives de suicide chez des adolescents:
– le harcèlement, en direct et/ou en ligne;
– l’insomnie;
– le tabagisme;
– le stress, à l’école et/ou à la maison. [5]
Ou en anglais, Bullying, Insomnia, Tobacco, Stress: BITS (voir encadré 1). Les chercheurs ont eu l’idée qu’en insérant des questions sur ces quatre thèmes au fil de la consultation, les médecins pourraient avoir une indication de la nécessité ou non d’explorer la question du suicide avec des adolescents venant consulter pour tout motif. Cette approche a pu être validée par l’intermédiaire d’une étude multicentrique réalisée en 2017 dans plus de 100 cabinets dans quatre pays francophones répartis sur trois continents [6]. Dans cette étude (l’étude MICAS) les résultats au BITS, utilisé dans les consultations avec près de 700 adolescents entre 13 et 18 ans consultant pour tout motif, étaient comparés aux réponses des adolescents à un questionnement direct concernant leurs comportements suicidaires. Environ 15% des filles et 10% des garçons rapportaient des antécédents de comportements suicidaires (tentative de suicide dans le passé et/ou idées suicidaires dans l’année écoulée), dont un sur 10 seulement étaient connu du médecin généraliste. Un score de 3 ou plus au BITS était associé avec ces antécédents avec une sensibilité de 65,9 %, et une spécificité de 82,5%.

Encadré 1: BITS (Bullied, Insomnia, Tobacco, Stress)

• As-tu été Brimé ou maltraité dans ton établissement scolaire y compris par téléphone ou Internet?
□ non = 0, □ oui = 1, □ hors l’établissement scolaire = 2
• As-tu souvent des Insomnies ou des troubles du sommeil? Des cauchemars?
□ non = 0, □ oui = 1, □ des cauchemars = 2
• Fumes-tu du Tabac?
□ non = 0 □ oui, irrégulièrement = 1, □ oui, tous les jours = 2
• Te sens-tu Stressé par le travail scolaire ou bien l’ambiance familiale?
□ non = 0, □ oui = 1, □ par les deux = 2
Etablir le score de chaque question: 0 à 2. Un score total ≥3 est associé avec une plus grande probabilité de problématique suicidaire.
Au prochain rendez-vous avec la patiente vous tentez de poser les questions du BITS au fil de la consultation, pour évaluer si cet outil aurait pu vous aider à anticiper les gestes suicidaires de la jeune patiente. Elle vous dit avoir été le sujet de moqueries à l’école, car elle veut toujours bien faire et est très stressée par son travail scolaire. Elle a de la peine à dormir et son sommeil est perturbé par des cauchemars en lien avec le stress scolaire. L’ambiance familiale est plutôt bonne et elle ne fume pas. En additionnant les points du BITS vous obtenez le score de 4.
L’utilisation du BITS permet de repérer les adolescents chez qui la question du suicide devrait être évoquée. Il permet d’alerter le médecin généraliste concernant l’éventualité d’une problématique suicidaire chez un adolescent consultant pour un motif tout autre. En cas de BITS positif, le médecin saura qu’il sera utile de prioriser la discussion des thèmes de santé mentale dans son anamnèse psychosociale guidée par le HEADSSS [7]. Ce repérage n’est évidemment utile que si le médecin généraliste est en mesure d’offrir des soins adaptés pour cette problématique, soit par lui/elle-même soit en assurant le lien vers un pédopsychiatre. Le médecin devrait en parallèle bien connaître les réseaux et structures de soins à qui adresser les jeunes avec des idées suicidaires ainsi que les numéros d’urgence pour les jeunes et leurs familles. En Suisse le site www.ciao.ch/ www.tschau.ch donne des adresses utiles dans les différents cantons. A l’avenir d’autres recherches sont nécessaires pour évaluer dans quelle mesure l’utilisation du BITS peut avoir un impact positif sur la morbi-mortalité des adolescents consultant en médecine générale.
Nous remercions chaleureusement tous les médecins et les patients qui ont participé à l’étude MICAS, et tous particulièrement les 10 médecins généralistes et pédiatres genevois qui y ont contribué, ainsi que leurs patients!
Prof. Dr méd. Dagmar M. Haller, MD, PhD
Médecin interniste ­généraliste FMH,
Responsable de la recherche
Institut Universitaire de Médecine de Famille et de l’Enfance (IuMFE),
Faculté de Médecine ­Université de Genève
CH-1203 Genève
dagmar.haller-hester[at]unige.ch
1 OBSAN. Suicide 2018 [Available from: https://www.obsan.admin.ch/fr/indicateurs/suicide.
2 Stop Suicide. Les chiffres du suicide des jeunes en Suisse 2016 [Available from: https://stopsuicide.ch/wp-content/uploads/2017/07/160825_chiffres_suicide_jeunes_suisse_infographie.pdf.
3 Schou Pedersen H, Fenger-Grøn M, Bech BH, Erlangsen A, Vestergaard M. Frequency of health care utilization in the year prior to completed suicide: A Danish nationwide matched comparative study. PLoS One. 2019;14(3):e0214605.
4 Houston K, Haw C, Townsend E, Hawton K. General practitioner contacts with patients before and after deliberate self harm. Br J Gen Pract. 2003;53(490):365–70.
5 Binder P, Heintz AL, Servant C, Roux MT, Robin S, Gicquel L, et al. Screening for adolescent suicidality in primary care: the bullying-insomnia-tobacco-stress test. A population-based pilot study. Early Interv Psychiatry. 2018;12(4):637–44.
6 Binder P, Heintz AL, Haller DM, Favre AS, Tudrej B, Ingrand P, et al. Detection of adolescent suicidality in primary care: an international utility study of the bullying-insomnia-tobacco-stress test. Early Interv Psychiatry. 2020;14(1):80–6.
7 Parisi V, De Stadelhofen LM, Pechere B, Steimer S, De Watteville A, Haller DM, et al. Apport du guide d’entretien HEADSSS dans l’apprentissage de la démarche diagnostique avec un adolescent. [Using the HEADSSS guide to teach students diagnostic skills in adolescent health]. Rev Med Suisse. 2017;13(562):996–1000.