Early palliative care

Décision et planification anticipée chez les patients âgés polymorbides

Themenschwerpunkt
Édition
2021/10
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2021.10436
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2021;21(10):322-324

Affiliations
FMH Médecine Interne Générale, spécialité gériatrie et médecine palliative, Stadtspital de Zurich

Publié le 06.10.2021

Le traitement des personnes âgées polymorbides pose des questions difficiles: Combien de temps devons-nous suivre un concept «curatif» conforme aux directives spécifiques à la pathologie et quand faut-il passer à un concept thérapeutique de plus en plus palliatif? Comment organiser ce changement et à quoi devons-nous penser?

Introduction

Notre espérance de vie ne cesse de croître, la part des personnes très âgées dans la population a augmenté de plus de 50% au cours des 25 dernières années. Cela est principalement dû au progrès de la médecine: les maladies entraînant autrefois le décès peuvent désormais être totalement guéries pour certaines et, dans la ­majorité des cas, au moins traitées de sorte à prolonger la durée de vie. Par conséquent, la polymorbidité (au moins deux pathologies chroniques) touche plus de 80% des personnes au-delà de 85 ans, nombre d’entre elles souffrent de cinq maladies ou plus en même temps [1].
Le traitement de la polymorbidité nous met face à des défis. Faut-il traiter chaque maladie conformément aux directives et indépendamment de la situation globale, ou fixer des priorités? A quel moment est-il temps d’envisager et de discuter des modifications et restrictions thérapeutiques? Quand les soins palliatifs sont-ils applicables en tant que position et concept?
La compréhension de ce que sont les soins palliatifs continue, aussi bien dans la population que chez de nombreux professionnels, de se limiter à la fin de vie, à des situations dans lesquelles tous les efforts curatifs ont échoué. L’intégration précoce des soins palliatifs avec pour objectifs de maintenir la qualité de vie malgré une maladie chronique incurable, d’anticiper des situations de crise et d’aborder les limites thérapeutiques constitue une approche qui ne s’établit que timidement. En 2020, l’OMS a déclaré: «Palliative care is most effective when considered early in the course of the illness. Early palliative care not only improves quality of life for patients but also reduces unnecessary hospitalizations and use of health-care services» [2]. Le concept des soins palliatifs pour les personnes âgées polymorbides est présenté ci-dessous.

Soins palliatifs précoces

L’intégration du concept des soins palliatifs dans le traitement de personnes atteintes de maladies chroniques consiste à envisager et planifier de manière ­anticipée, parallèlement au diagnostic et traitement spécifiques de la pathologie, les approches thérapeutiques symptomatiques, la qualité de vie, les répercussions sur la vie sociale. Dérivé d’un modèle créé par des cardiologues américains [3], il peut s’agir d’un plan thérapeutique tandem intégrant les deux aspects dès le début (fig. 1).
Figure 1: Le concept du tandem intègre les soins palliatifs dès les début dans le traitement des maladies chroniques. ACP = Advance Care Planning, QDV = Qualité de vie
Le concept tandem nécessite une bonne collaboration entre les spécialistes et médecins de famille. La difficulté réside dans le fait que les patientes et patients polymorbides font souvent appel à plusieurs spécialistes qui se concentrent uniquement sur un système organique. Le médecin de famille a pour mission pas toujours facile de conserver une vue d’ensemble, d’intégrer les divers points de vue et d’aider les patients à comprendre la situation globale. Cela implique aussi de parler du pronostic ainsi que d’évaluer et d’adapter ­régulièrement les objectifs thérapeutiques, d’anticiper d’éventuelles crises et d’aborder la planification prévisionnelle. En présence de maladies chroniques accompagnées d’une restriction des ressources fonctionnelles, l’entourage des patientes et patients est également concerné. Où se trouvent leurs limites, quelles attentes et possibilités ont les proches, comment le soutien nécessaire peut-il être mis en place et développé? Les soins palliatifs précoces sont principalement caractérisés par l’action anticipée ainsi que la planification et reposent moins sur l’intervention réactive.

Décisions

Toutes les décisions sont principalement fondées sur un objectif thérapeutique fixé conjointement. Les personnes âgées souhaitent participer à la prise de décision concernant ce qui va leur arriver et comment poursuivre, mais sont souvent dépassées par les diverses ­décisions relatives aux examens diagnostiques, interventions ou mesures médicamenteuses possibles. Les personnes âgées veulent parler de leurs priorités, objectifs et limites, mais souvent confier sur cette base les décisions spécifiques aux professionnels [4]. Au cours de maladies chroniques telles qu’une insuffisance cardiaque ou une BPCO progressive, faisant souvent partie d’une polymorbidité, surviennent des crises qui entraînent généralement une hospitalisation. La fréquence croissante des crises présente un pronostic défavorable et la probabilité augmente que l’une des prochaines crises conduise au décès. Si nous nous contentons d’envoyer les patients à l’hôpital à chaque détérioration aiguë («Je dois vous réhospitaliser») pour ensuite poursuivre le traitement de manière optimisée dans l’espoir de repousser la prochaine crise, nous ratons alors l’opportunité qu’offre la planification anticipée tenant compte des priorités et valeurs personnelles.
A la première décompensation, notre patiente passe peut-être par les urgences pour rejoindre l’unité de soins intensifs, où elle pourra être stabilisée, avant de rentrer chez elle 10 jours plus tard et de se présenter en consultation. L’opportunité s’offre alors de parler de ce qu’a déclenché cette expérience chez la patiente. Cela inclut aussi l’entretien relatif au pronostic avec d’autres crises possibles et la planification anticipée pour cette éventualité. Après la première hospitalisation, elle souhaite probablement la même procédure, mais au plus tard après la troisième en 6 mois, des questions inéluctables se posent, qui doivent être discutées au calme: La patiente continue-t-elle de vouloir un traitement maximal bien que les chances qu’a celui-ci soient de plus en plus mauvaises? Où et comment souhaite-t-elle mourir? A quoi accorde-t-elle de l’importance pour le reste de sa vie? A quel moment veut-elle autoriser le ­décès? [5] Les soins palliatifs précoces consistent à ­accompagner les patients dans la progression de la maladie à travers des questions, l’adaptation des objectifs, la détermination des limites thérapeutiques ainsi qu’à ­assurer une transition progressive depuis l’approche thérapeutique purement curative vers un concept thérapeutique de plus en plus palliatif (fig. 2).
Figure 2: Evolution des maladies chroniques: après chaque crise, les objectifs thérapeutiques sont réévalués, le passage vers un concept thérapeutique principalement palliatif s’effectue en continu.

Planification thérapeutique

Lorsqu’un patient prend conscience du fait que sa vie touche à sa fin et qu’il parvient à la conclusion qu’il ne souhaite plus épuiser tout l’arsenal des options médicales (soins intensifs, hospitalisation), il devient alors essentiel de vérifier le traitement actuel, d’adapter la médication, d’établir des dispositions médicales en cas d’urgence ainsi qu’un plan d’urgence et d’actualiser les directives anticipées du patient. Les proches l’accompagnant doivent être impliqués dans le processus et informés du comportement à adopter en cas d’urgence.
Les dispositions médicales en cas d’urgence (tab. 1), qui sont signées par le patient et le médecin traitant, sont contraignantes pour le service de sauvetage et les médecins urgentistes, et veillent à ce que seules les mesures souhaitées par le patient soient initiées en cas d’urgence.
Tableau 1: Exemple de dispositions médicales en cas d’urgence.
Dispositions médicales en cas ­d’urgence pour:Nom de la patiente/du patient
A: Traitement maximalTraitement hospitalier – si indiqué – souhaité, mais pas de réa ni soins intensifs.
B: Hospitalisation sans réa ni USITraitement hospitalier – si indiqué – souhaité, mais pas de réa ni soins intensifs.
C: Uniquement traitement sur placePas d’hospitalisation, pas de réa, mais tous les ­traitements sur place pertinents souhaités.
D: Uniquement mesures palliatives sur placePas d’hospitalisation, uniquement mesures palliatives de soulagement des symptômes sur place ­souhaitées.
Date:Signature du patient:
Signature du médecin:
Le plan d’urgence anticipe d’éventuels problèmes susceptibles de survenir en cas de détérioration, afin que le patient et ses proches puissent agir de manière autonome sans devoir attendre une aide externe. Il doit ­inclure les situations et problèmes pouvant émerger dans l’état pathologique individuel et se réfère au traitement établi (p. ex. en cas de traitement opiacé, la dose de réserve correspond à un sixième de la dose journalière). Outre les recommandations médicamenteuses, il contient également des mesures générales destinées à soutenir les proches quant au comportement à adopter et à la manière dont ils peuvent aider. Les problèmes fréquents incluent douleurs, dyspnée, anxiété, nausée, confusion, troubles du sommeil et il convient en outre de penser aux problèmes spécifiques à la maladie. L’exemple joint comprenant un extrait d’un plan d’urgence montre comment il doit être conçu (tab. 2)
Tableau 2: Exemple d’un plan d’urgence.
ProblèmeMesures généralesMédicaments
Douleurs
Calmer,
Aider à adopter une position confortable,
Applications de froid ou chaud,
Massage, relaxation,
Etre à l’écoute de la patiente/du patient.
Morphine 2% 5 gouttes, peut être répété jusqu’à toutes les heures,
Morphine 2,5 mg voie sous-cutanée, peut être répété jusqu’à toutes les demi-heures.
Dyspnée aiguëNe pas laisser la patiente/le patient seul(e),
Rester calme, respirer lentement,
Desserrer les vêtements étroits,
Adopter la position assise et soutenir les bras pour ­faciliter la respiration ou
Apport d’air frais (ouvrir la fenêtre allumer le ­ventilateur).
Morphine 2% 5 gouttes, peut être répété jusqu’à toutes les heures,
Morphine 2,5 mg voie sous-cutanée, peut être répété jusqu’à toutes les demi-heures,
En cas de sentiment d’oppression et d’anxiété, en plus:
1 Temesta 1 mg Exp sous la langue
Dormicum 2 mg voie sous-cutanée, max toutes les 20 min.
AnxiétéNe pas laisser la patiente/le patient seul(e),
Discours de soutien, rassurant
Organiser éventuellement une veille,
Contact corporel, massage des mains ou pieds.
1 Temesta 1 mg Exp sous la langue, max. 3×/jour.

Résumé

Chez les patients polymorbides présentant des lésions organiques progressives chroniques, il convient d’intégrer précocement un concept d’accompagnement palliatif, en complément des efforts curatifs. Le but est d’assurer une transition continue dans l’approche thérapeutique, tout en tenant compte des priorités et ­objectifs du patients. Une approche thérapeutique ­séquentielle qui passe (généralement trop tard) de mesures curatives à des mesures palliatives ne répond qu’insuffisamment à la situation de ce groupe de patients.
Dr. med. Roland Kunz
FMH Allg. Innere Medizin, spez. Geriatrie und ­Palliativmedizin
Stadtspital Zürich
Tièchestrasse 99
CH-8037 Zürich
rolandurs.kunz[at]zuerich.ch
1 Barnett K, Mercer SW, Norbury M, Watt G, Wyke S, Guthrie B. Epidemiology of multimorbidity and implications for health care, research, and medical education: a cross-sectional study. Lancet 2012;380(9836):37–43.
2 WHO. Palliative Care: What can countries do? 2020: https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/palliative-care (letzter Zugriff 30.07.2021)
3 Kavalieratos D, Gelfman LP, Tycon LE, Riegel B, Bekelman DB, Ikejiani DZ, et al. Palliative Care in Heart Failure: Rationale, Evidence, and Future Priorities. J Am Coll Cardiol. 2017;70(15):1919–1930.
4 Romo RD, Allison TA, Smith AK, Wallhagen M. Sense of Control in End-of-Life Decision-Making. J Am Geriatr Soc. 2017;65(3):E70–E75.
5 Rüegger H, Kunz R. Über selbstbestimmtes Sterben. Zwischen Freiheit, Verantwortung und Überforderung. Rüffer&Rub, Zürich 2020:84–90.