Troubles cognitifs et autonomie dans le domaine des soins palliatifs

La patiente incapable de discernement et son droit à l’autodétermination

Themenschwerpunkt
Édition
2021/10
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2021.10440
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2021;21(10):325-326

Affiliations
Avocate et notaire, Lucerne, conseil juridique mfe

Publié le 06.10.2021

Que se passe-t-il lorsque la capacité à prendre ces décisions est limitée ou absente?

Dans les directives de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) publiées en 2006 pour les soins ­palliatifs, la dignité et l’autonomie de la patiente sont soulignées comme valeurs fondamentales essentielles. L’autonomie désigne la capacité d’une personne à exprimer sa volonté et à vivre conformément à ses propres valeurs et convictions. L’ensemble des décisions concernant la réalisation, l’interruption ou le ­renoncement à une mesure médicale doivent être pris par la patiente [1]. Dans ce contexte, des normes relatives au droit de la personnalité et au droit pénal sont pertinentes: les faits de blessure corporelle ne sont ­annulés qu’en présence d’un consentement juridiquement valable à un traitement médical réalisé dans les règles de l’art. Le fait que le droit à l’autodétermination de la patiente ne protège pas sa santé physique mais son droit à préalablement consentir ou refuser tout traitement est central [2].

Que se passe-t-il lorsque la capacité à prendre ces décisions est limitée ou absente?

Conformément à l’article 16 du Code civil suisse (CC), toute personne qui n’est pas privée de la faculté d’agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d’ivresse ou d’autres causes semblables est capable de discernement. Il convient donc de partir du principe que la personne est capable de discernement. En conséquence, celui qui allègue qu’une personne est incapable de discernement, par exemple un médecin, doit le prouver (art. 8 CC). Ce n’est qu’en présence d’un trouble persistant, manifeste et incontesté des capacités mentales d’une patiente que la présomption de la capacité de discernement n’est plus donnée. On peut alors admettre que la personne est globalement incapable de discernement [3].
La question de la capacité de discernement d’une personne n’est pas examinée de façon abstraite, mais toujours concrète: la patiente doit être capable de discernement au moment de la déclaration de la volonté et au regard de la décision concrète (relativité temporelle et factuelle de la capacité de discernement). Le Tribunal fédéral le formule comme suit: «Il importe de tenir compte du fait que le droit suisse ne connaît pas de constatation abstraite de l’incapacité de discernement. Le tribunal doit plutôt vérifier si la personne en cause peut être considérée comme capable de discernement dans le cas concret, c’est-à-dire en relation avec un acte précis ou lors de l’appréciation de circonstances factuelles précises.» [4]. En fonction de la portée de la décision, la capacité à prendre des décisions autodéterminées doit donc être évaluée différemment. Même lorsqu’il est considéré comme fondamentalement incapable de discernement, la patiente doit être impliqué autant que possible dans la prise de décision, même lorsqu’un représentant décide à sa place [5].
La patiente qui connaît des troubles cognitifs doit être soutenu à l’aide de mesures adaptées afin d’être tout de même en mesure de prendre des décisions autodéterminées. Les personnes impliquées (professionnels et proches) doivent faire en sorte que les capacités mentales nécessaires et encore présentes soient autant que possibles soutenues par des interventions adéquates. Il faut notamment que l’entretien concernant les mesures médicales soit compréhensible et – si nécessaire – répété, que les éléments perturbateurs soient éliminés et que, pour autant que cela soit possible, un temps suffisant soit alloué à la prise de décision.
S’il est clair que la patiente n’est plus capable de discernement pour la décision des mesures à prendre, celui-ci a besoin d’être représenté, à moins qu’il ait formulé des directives anticipées. Si celles-ci sont suffisamment claires pour le cas précis, elles sont alors contraignantes et doivent être appliquées directement.

Qui est en droit de décider lorsque ­les directives anticipées de la patiente ne ­suffisent pas dans le cas précis?

Si les directives anticipées de la patiente ne permettent pas de déduire une approche médicale concrète en lien avec la situation actuelle, les instructions qu’elles contiennent ne doivent être considérées que comme des indices de la volonté présumée. La décision pour ou contre une mesure médicale doit dans ce cas être prise par le représentant de la patiente en tenant compte des ­directives anticipées.
En l’absence de directives anticipées ou bien en présence de directives anticipées insuffisamment pertinentes pour le cas précis, il convient de procéder selon l’art. 379 CC. La loi prévoit ici un classement par ordre. Sont autorisés, dans l’ordre suivant, à représenter une personne incapable de discernement et à décider de mesures ambulatoires ou stationnaires:
1) La personne désignée dans les directives anticipées ou dans un mandat pour cause d’inaptitude
2) Le curateur désigné par l’autorité de protection de l’adulte qui a pour tâche de la représenter dans le domaine médical
3) Le conjoint ou le partenaire enregistré, s’il fait ménage commun avec la personne incapable de discernement ou s’il lui fournit une assistance personnelle régulière
4) La personne qui fait ménage commun avec la personne incapable de discernement et qui lui fournit une assistance personnelle régulière
5) Ses descendants, s’ils fournissent à la personne incapable de discernement une assistance personnelle régulière
6) Ses père et mère, s’ils fournissent à la personne incapable de discernement une assistance personnelle régulière
7) Ses frères et sœurs, s’ils fournissent à la personne incapable de discernement une assistance personnelle régulière
Sont exceptées les décisions médicales urgentes, si dans l’intérêt de la patiente on ne peut attendre la décision du représentant; dans ce cas, le médecin est (­exceptionnellement) autorisé à agir selon la volonté présumée et l’intérêt objectif de la patiente.

Quand la capacité de discernement doit-elle être évaluée?

Le médecin de famille et de l’enfance connaît généralement bien la patiente et son entourage et peut souvent évaluer la capacité de discernement sans investigations dispendieuses. Chez les patients de longue date, en particulier, il peut suivre l’évolution des capacités cognitives sur une longue période de temps. Il est recommandé de documenter les changements. L’ASSM précise à ce sujet: «Lorsque la relation entre le médecin et la patiente est basée sur une approche axée sur la patiente et que la confiance mutuelle aboutit à une prise de décision partagée, adaptée aux compétences cognitives de la patiente, on peut souvent renoncer à l’évaluation de la capacité de discernement face à une décision thérapeutique dans le cadre de la médecine de famille. En revanche, lorsque des décisions de lourde portée doivent être prises et que la capacité mentale semble fortement limitée, une évaluation approfondie est indispensable; ceci permet également de tenir compte d’éventuelles directives anticipées ou d’impliquer les représentants dans les décisions» [6].
Cela montre que, pour le domaine des soins palliatifs également, la question de capacité de discernement des patients n’est pas qu’un thème purement juridique mais que l’approche et le contexte jouent également un rôle pour garantir autant que possible le droit à l’autodétermination des patients [7].
Christine Zemp Gsponer
Avocate et notaire, Lucerne,
conseil juridique mfe
1 Directives et recommandations médico-éthiques Soins palliatifs, publiées par l’ASSM, 23.05.2006, p. 7 s.
2 Rechtsfragen der Palliative Care, Prof. Dr. Regina Aebi-Müller und Luca Oberholzer, 1re édition, octobre 2019, al. 4.2.1.
3 A propos de la capacité de discernement, voir également les Directives médico-éthiques sur la capacité de discernement dans la pratique médicale, publiées par l’ASSM, 29.11.2018.
4 ATF 118 Ia 236 E. 2b; ATF 134 II 235 E. 4.3.2.
5 Cf. art. 377 al. 3 CC en lien avec le plan de traitement que le médecin traitant doit établir.
6 Directives de l’ASSM sur la capacité de discernement dans la pratique médicale, al. 3.2.
7 Cf. en complément le très vaste récapitulatif dans: Rechtsfragen der Palliative Care, Prof. Dr. Regina Aebi-Müller und Luca Oberholzer, 1re édition, octobre 2019.