Plus d’organes pour des transplantations
Rôle des médecins de famille dans le plan d’action

Plus d’organes pour des transplantations

Lernen
Édition
2016/15
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2016.01308
Prim Hosp Care (fr). 2016;16(15):281-284

Affiliations
Médecin spécialiste en chirurgie cardiaque FMH, CEO Swisstransplant

Publié le 17.08.2016

Actuellement, deux personnes perdent la vie chaque semaine en Suisse en raison de la pénurie d’organes. Pour mieux exploiter le potentiel de donneurs, le Conseil fédéral a mis en place le plan d’action «Plus d’organes pour des transplantations».

Contexte

Au cours des dernières années en Suisse, l’état de mort cérébrale n’a été déclaré que chez 100 patients en moyenne. Cela correspond à 12 donneurs d’organes par million d’habitants, soit deux fois moins que chez nos voisins français, autrichiens et italiens. Les conséquences sont évidentes: la liste d’attente nationale continue de s’allonger et le nombre de décès dus à la pénurie d’organes est en constante augmentation.
Dans le cadre d’une étude menée à l’échelle nationale suisse (Swiss Potential of Organ Donors, SwissPOD), tous les décès survenus dans les unités de soins intensifs suisses pour l’année 2012 ont été recensés de manière prospective [1]. Les résultats ont été surprenants. Même avec une interprétation prudente, il a été observé qu’environ 300 patients par an décèdent de mort cérébrale dans les unités de soins intensifs suisses et sont considérés, d’un point de vue formel, comme des donneurs d’organes potentiels. Les patients présentant des contre-indications absolues, telles que des maladies tumorales actives ou des infections sévères sans mise en évidence de l’agent pathogène, ont été exclus de cette estimation. Ce potentiel de donneurs d’organes est pratiquement aussi élevé que dans nos pays voisins.

Réintroduction du don après arrêt ­cardio-circulatoire

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur la transplantation, le nombre de donneurs d’organes décédés a tendance à augmenter (fig. 1). Une raison à cela est la réintroduction en 2011 du don d’organes après un arrêt cardio-circulatoire (donation after cardiocirculatory death, DCD). Ces patients ne remplissent pas les critères de mort cérébrale, mais leur pronostic est sans espoir. Par conséquent, l’arrêt du traitement dans l’unité de soins intensifs est recommandé. Si telle était la volonté du patient décédé, le don d’organes est envisagé. Les proches sont informés en conséquence et pris en charge par du personnel qualifié. Sur demande, 
l’arrêt du traitement a lieu en présence de la famille, qui peut alors rester auprès du patient jusqu’à l’arrêt cardio-circulatoire.
Cette forme de don est relativement bien acceptée, car les proches voient le cœur qui cesse de battre et constatent ainsi l’évidence du décès. Si l’arrêt cardio-circulatoire se produit au cours des 120 minutes suivant l’arrêt du traitement, l’arrêt du cœur est vérifié par échocardio­graphie. Après 10 minutes d’arrêt cardio-circulatoire documenté, la mort cérébrale est diagnostiquée selon les mêmes critères que pour un donneur DBD (donation after brain death) classique. Le défunt est alors en état de mort cardiaque et cérébrale. Cette forme de don est actuellement pratiquée à Zurich, Saint-Gall, Genève et Lausanne. Elle a montré de bons résultats pour les transplantations rénales et pulmonaires, mais les résul­tats sont plus mitigés pour la transplantation hépatique. Les voies biliaires sont particulièrement sensibles à une durée prolongée entre l’arrêt cardio-circulatoire et le refroidissement des organes. Le cœur n’est pas prélevé pour cette forme de don.
Figure 1: Evolution du don d’organes en état de mort cérébrale (donation after brain death, DBD) et après un arrêt cardio-circulatoire (donation after cardiocirculatory death, DCD) depuis l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur la transplantation.

Situation actuelle en Suisse

En moyenne, un receveur d’organe attend 1 an pour un cœur, 13 mois pour un poumon, 9 mois pour un foie et environ 3 ans pour un rein. Nous estimons que chaque année, environ 60 patients se trouvant sur liste d’attente décèdent (fig. 2). Les patients dont le stade de la maladie est devenu trop avancé pour une greffe doivent être retirés de la liste par les centres, et ils décèdent ensuite en dehors de la liste d’attente. Actuellement, deux personnes par semaine décèdent en Suisse en raison de la pénurie d’organes.
L’attribution des organes est régie par la Loi sur la transplantation. Les patients dans un état d’urgence ont la priorité, suivis par l’utilité médicale et le délai d’attente. L’utilité médicale est définie par les différents groupes d’experts d’organes et est consignée dans les ordonnances relatives à la Loi sur la transplantation. Cela signifie, pour l’attribution des cœurs par exemple, que le donneur et le receveur ne doivent pas avoir une différence d’âge supérieure à 15 ans ni une différence de poids supérieure à 20%.
La liste d’attente nationale calcule à l’aide d’un algorithm­­e défini le «classement» des receveurs. Les or­ga­ne­­­s sont ensuite proposés au centre de transplan­tation responsable du receveur potentiel. Cette appli­cation dynamique de la loi permet, par voie d’or­donnance, une adaptation relativement rapide de l’attri­bution d’organes en fonction des nouvelles découvertes médicales [2].
Figure 2: Evolution de la liste d’attente depuis l’entrée en vigueur de la Loi fédérale 
sur la transplantation.

Plan d’action et taux de refus

Afin de mieux exploiter le potentiel de donneurs, le Conseil fédéral a mis en place le plan d’action «Plus d’organes pour des transplantations». Les représentants de la Confédération, des cantons et de la fondation Swisstransplant ont identifié quatre domaines d’action qui doivent être optimisés d’ici 2018 dans le cadre du plan d’action, afin d’augmenter le taux de dons de 12 à 20 par million d’habitants:
1) Formation de professionnels de santé;
2) Processus et structures;
3) Garantie des ressources;
4) Relations publiques.
Les champs d’action 1 à 3 sont sous la responsabilité de Swisstransplant, tandis que le champ d’action 4 relève de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).
Toutefois, depuis l’automne 2015, la fondation Swiss­transplant est également impliquée dans le travail de relations publiques. Cette collaboration est nouvelle et elle se base sur un amendement de l’article 61 de la Loi sur la transplantation, qui exige depuis 2015 l’inté­gration d’experts. La carte de donneur d’organes a été adaptée en concertation mutuelle. Avec une brochure supplémentaire au slogan «Décider, parler, soulager», la population est invitée à se pencher sur la question du don d’organes et à se confier à la famille proche (fig. 3). Encore bien trop souvent, le souhait du défunt n’est pas connu, de sorte qu’en situation critique, les proches ont tendance à refuser le don d’organe par incertitude lors de l’entretien avec les professionnels. Les discussions dans l’ignorance de la volonté du défunt sont perçues comme très pénibles et sont l’une des principales causes du taux élevé de refus de près de 60%, l’un des plus élevés en Europe. Ces résultats sont en nette contradiction avec une enquête représentative, réalisée au printemps 2015, qui a montré que plus de 80% des personnes interrogées avaient une perception globalement positive du don d’organes et seraient prêtes, en principe, à faire don de leurs organes. Seuls environ 10% des participants à l’enquête refusaient caté­goriquement de donner leurs organes.
Figure 3: Affiche de la campagne hospitalière de Swisstransplant.

Formation des professionnels de santé

Un autre aspect intéressant soulevé par cette enquête était le fait que la moitié des 1000 personnes interrogées souhaitaient obtenir des informations sur le don d’organes de la part de leur médecin de famille. C’est là qu’intervient Swisstransplant avec le premier champ du plan d’action: la formation de professionnels de santé. De nombreux médecins de famille souhaiteraient vraiment avoir la possibilité d’effectuer une formation postgraduée. Notre attention a de nouveau été attirée sur l’existence d’un déficit de connaissances, car rares sont les médecins qui ont été confrontés au thème du don d’organes au cours de leurs études ou dans le cadre de leur formation de médecin spécialiste. Saviez-vous par ex. que l’année dernière, le donneur le plus âgé avait 88 ans et que son foie et ses deux reins ont pu être attribués? Ou bien que les patients en ­rémission tumorale pendant 5 ans peuvent à nouveau être considérés comme des donneurs potentiels? L’hépatite ou le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) n’excluent pas non plus catégoriquement un don d’organe, pas plus qu’une maladie chronique ou un diabète.
Ces aspects et bien d’autres encore sont abordés par Swisstransplant dans le cadre d’un cours en langue alle­mande, française et italienne. Un module de base d’e-learning contient les principales informations relatives au don d’organes et à la transplantation en Suisse. Des connaissances approfondies concernant le processus de don d’organes sont proposées dans neuf autres modules et deux cours présentiels complémentaires. Ces connaissances doivent trouver une plus grande place dans le milieu hospitalier, où il s’agit avant tout que les services d’urgence et de soins intensifs définissent des structures garantissant l’identification des donneurs d’organes potentiels. L’importance d’un entretien professionnel avec les proches au sujet d’un poten­tiel don d’organes est également abordée: Le souhait du défunt doit pouvoir être communiqué avec respect, franchise et transparence.
Des «coordinateurs locaux» endossent la responsabilité de la mise en œuvre de la formation dans le milieu hospitalier. Ces coordinateurs sont des professionnels de santé dans les hôpitaux disposant de services de soins intensifs accrédités, tels que des infirmiers ou des médecins. Le Comité national du don d’organes (CNDO)/Swisstransplant coordonne et garantit une formation et une formation postgraduée homogènes à l’échelle de la Suisse, conformément aux conditions cadres définies dans la Loi sur la transplantation. Le ­financement de ce personnel au sein des six réseaux ­régionaux de dons d’organes est également réglementé de manière contraignante depuis mi-2016 et s’effectue via le CNDO/Swisstransplant (fig. 4).
Figure 4: Les six réseaux de dons d’organes en Suisse (Programme Latin du Don d’Organes, PLDO; 
Donor Care Association, DCA).

Résumé

En 2015, une enquête d’opinion représentative a révélé que la moitié des 1000 personnes interrogées attendent de leur médecin de famille des informations relatives au don d’organes. Cependant, les praticiens généralistes se sentent souvent insuffisamment formés dans le domaine pour pouvoir apporter des réponses compétentes à leurs patients. Depuis le 1er octobre 2015, la fondation Swisstransplant propose un programme d’e-learning gratuit pour les professionnels de santé, qui offre un aperçu des principes de base du don d’organes en Suisse. Notre brochure d’information «Décider, parler, soulager» informe les patients et contribue à ce que le souhait du défunt soit respecté en situation grave, à ce que le taux élevé de refus lors des entretiens avec les proches diminue et à ce que le faible taux de dons d’organes en Suisse augmente.
Accès au programme d’e-learning gratuit et à la commande de brochures informatives: /fr
PD Dr Franz Immer
Swisstransplant
Laupenstrasse 37
Postfach 7952
CH-3001 Bern
Franz.Immer[at]
swisstransplant.org
1 Weiss JH, Keel I, Immer FF, Wiegand J, Haberthür C, Comité National du Don d’Organes CNDO. Swiss Monitoring of Potential Organ Donors (SwissPOD): a prospective 12-month cohort study
of all adult ICU deaths in Switzerland. Swiss Med Wkly. 2014;144:w14045.
2 Immer FF. Rechtliche Aspekte der Organzuteilung – Licht und Schatten. Bulletin des médecins suisses. 2015;96(48):1780–2.
3 Swisstransplant. Plan d’action «Plus d’organes pour des transplantations». www.swisstransplant.org/fr/infos-material/rechtlichegrundlagen/aktionsplan/
4 Site internet de l’Office fédéral de la santé publique. Plan d’action «Plus d’organes pour des transplantations». www.bag.admin.ch/transplantation/14392/index.html?lang=fr.