De plus en plus de personnes choisissent la dangereuse route de la migration via la mer Méditerranée. En témoigne ce rapport portant sur la mission de sauvetage exceptionnelle de Médecins Sans Frontières en haute mer.
Sa fuite vers l’Europe, Samyawit Habutu l’avait imaginée différemment. La jeune femme raconte son histoire, assise dans un bateau de sauvetage: Il y a 6 ans, son pays d’origine l’Erythrée l’a forcée à servir dans l’armée. «Il ne me laissaient tout simplement plus quitter le service militaire, même lorsque j’ai été enceinte et que j’ai accouché de mon enfant». C’est pour cette raison qu’elle a pris une décision difficile: la jeune femme de 23 ans a laissé sa petite fille auprès de sa mère et a fui. Son objectif: l’Europe.
«Si j’avais su à l’époque ce qui m’attendait, je n’aurais jamais entrepris ce voyage», déclare aujourd’hui Samyawit. Elle se souvient du long trajet à travers le désert: «Deux personnes sont décédées en route en tombant du camion. Le conducteur du camion a simplement mis les corps de côté et a continué sa route». Puis elle déclare à propos de son séjour de plusieurs mois bloquée en Lybie: «Chaque nuit, un Libyen venait et choisissait deux femmes qu’il forçait avec une arme à avoir des rapports sexuels».
Mais la partie la plus dangereuse du voyage était encore à venir. Avec presque 500 autres personnes en provenance d’Erythrée, du Bangladesh, de Syrie et de Somalie, elle s’est embarquée en mer dans un bateau beaucoup trop petit. Une entreprise risquée qu’ont osé tenter plus de 320 000 personnes depuis janvier 2015 à partir des côtes libyennes. D’après les données de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 4 500 réfugiés ont perdu la vie en mer Méditerranée pour la seule année 2016, du jamais vu. Samyawit Habutu et les autres hommes, femmes et enfants présents à bord ont eu de la chance: le bateau de sauvetage «Bourbon Argos», de Médecins Sans Frontières (MSF) a découvert leur bateau et a accueilli les passagers.
Une mission nécessaire
L’«Argos» et ses 26 membres d’équipage font partie d’un programme d’aide exceptionnel de MSF. En mai 2015, l’organisation a procédé pour la première fois à un sauvetage en haute mer: trois bateaux avec des équipes de MSF ont navigués entre la Sicile, Malte et la Libye de mai à décembre et ont sauvé plus de 23 000 personnes en perdition. En avril de cette année, les activités de recherche et de sauvetage ont repris, et trois bateaux ont à nouveau pris la mer en Méditerranée. L’«Aquarius», opéré en partenariat avec l’organisation SOS Méditerranée, le «Dignity I», qui peut accueillir 300 personnes, et le «Bourbon Argos», le plus grand bateau de sauvetage, capable d’accueillir 700 personnes à son bord.
Aussi exceptionnelle que soit une opération de sauvetage en mer pour une organisation médicale, l’aide n’en reste pas moins nécessaire. En avril 2015, un naufrage de bateau a entraîné le décès de plus de 800 personnes. Il serait en réalité de la responsabilité de l’Etat et des autorités de réagir et d’aider les réfugiés à leur frontière. Mais plutôt que de définir comme priorité le sauvetage de personnes, l’Union Européenne (UE) avait annoncé une opération militaire pour détruire les bateaux utilisés. «L’Europe a rapidement trouvé un consensus pour démarrer une guerre contre les passeurs mais n’affiche aucune volonté de trouver une alternative aux trajets périlleux en mer Méditerranée», a critiqué Meinie Nicolai, présidente du centre d’opération bruxellois de MSF.
Entre temps, des bateaux de sauvetage ont été déployés en Méditerranée par différents pays de l’UE. Toutefois, on assiste encore et toujours à des naufrages de bateaux de réfugiés faisant des centaines de morts. Le danger ne dissuade pas les personnes en détresse de partir en mer dans des bateaux beaucoup trop exigus. Selon Meinie Nicolai, qui a lui-même travaillé sur un bateau de sauvetage, la fuite par la mer serait bien souvent le dernier recours. Parmi les personnes sauvées, nombreuses seraient celles qui auraient été séquestrées, maltraitées ou violées en Libye.
La joie est grande
Retour au «Bourbon Argos»: L’Allemande Nazik Raouf, médecin, a passé 4 semaines sur le bateau et vécu au plus près le déroulement des sauvetages en haute mer. «Lorsque nous découvrons un bateau, nous invitons dans un premier temps les gens à rester calmes et à ne pas se lever, à l’aide d’un mégaphone. C’est essentiel afin de ne pas faire chavirer le bateau. Nous leur assurons que nous les accueillerons tous à bord. Nous les prions ensuite de d’abord laisser monter les enfants, les femmes enceintes ou les personnes blessées».
Le médecin poursuit en déclarant que le sauvetage est un moment très émouvant: «La joie est immense. De nombreuses personnes pleurent, nous serrent dans leurs bras ou embrassent le sol de notre bateau. Pour l’équipe également, ces moment sont très émouvants». A bord du bateau de sauvetage, les réfugiés reçoivent tout d’abord de la nourriture, de l’eau et les premiers soins. Nombre d’entre eux présentent de larges brûlures car ils ont dû passer des heures voire des jours entiers assis sur des bidons d’essence métalliques qui s’échauffent au soleil. «Il y a également de nombreuses femmes enceintes qui nécessitent une prise en charge spécifique. Nous partons du principe que nombre d’entre elles ont été violées en Libye; elles en sont traumatisées. Les patients atteints de la gale en raison des conditions d’hygiène déplorables dans les camps libyens ne sont pas rares», déclare le Docteur Raouf.
Une fois toutes les personnes à bord, le bateau met le cap sur un port indiqué par le Centre de coordination de sauvetage maritime de Rome. Dans les différents ports également, des équipes de MSF sont en action: elles offrent aux nouveaux arrivants une assistance psychologique de premier recours. Des psychologues accompagnent les personnes traumatisées, par ex. les survivants ayant assisté à la noyade d’autres personnes ou les femmes violées en Libye.
Aide psychologique en Grèce
Changement de direction vers la Grèce, et plus précisément Idomeni. Le petit village à la frontière macédonienne était un autre centre de migration. Il est arrivé que des milliers de réfugiés y soient bloqués. La plupart venaient de Syrie, d’Afghanistan ou d’Irak. Ils attendaient une opportunité de franchir la frontière et de continuer à avancer vers le Nord. Grâce à des cliniques mobiles, les équipes MSF ont tenté d’offrir au moins le strict nécessaire aux réfugiés d’Idomeni et à ceux présents le long de la route des Balkans. En mai, le gouvernement a évacué le camp, puis placé les réfugiés dans des camps officiels.
Dans ces camps comme dans ceux d’autres endroits à travers tout le pays, les équipes MSF apportent aux réfugiés un soutien psychologique, mais également de l’aide en matière d’éducation sexuelle et de planning familial, ou encore en cas de maladie chronique. En outre, MSF a mené une campagne de vaccination en collaboration avec le Ministère de la santé. Jusqu’à présent, cette campagne a permis de vacciner plus de 7000 enfants âgés de 6 semaines à 15 ans contre dix maladies évitables, y compris la pneumonie.
Médecins Sans Frontières
Médecins Sans Frontières (MSF) est une organisation internationale et indépendante d’aide humanitaire qui prodigue l’aide médicale d’urgence aux personnes victimes de conflits armés, d’épidémies, de mauvais systèmes de santé et de catastrophes naturelles.
Les opérations reposent sur les concepts de l’éthique médicale ainsi que sur les principes de neutralité et d’impartialité. MSF aide les personnes dans le besoin, indépendamment de leur ethnicité, de leur religion, de leur orientation politique ou de leur sexe.
Aujourd’hui, MSF est un mouvement mondial composé d’un total de 23 sections nationales et d’un bureau international dont le siège se situe à Genève.
Le mouvement comprend cinq centres opérationnels – MSF France, MSF Belgique, MSF Suisse, MSF Pays-Bas et MSF Espagne – qui assurent la direction directe des projets.
En 1999, MSF a reçu le Prix Nobel de la paix.
MSF Suisse
En 2015, MSF Suisse avait dirigé 64 projets dans 24 pays. Conformément aux priorités de l’organisation, les équipes ont fourni une assistance médicale aux victimes de conflits, d’expulsions, d’épidémies et de catastrophes naturelles. En tout, 74% des dépenses des programmes ont été réalisées en Afrique, dont la moitié en République Démocratique du Congo, au Soudan du Sud et au Cameroun. Les projets au Proche-Orient représentaient 16%. Le reste a été utilisé pour des projets sur le continent américain, en Europe ainsi qu’en Asie centrale et en Asie du Sud-Est. www.msf.ch