Troubles psychiques au cabinet du médecin de famille

Le roi est mort, vive le roi!

Editorial
Édition
2017/01
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01461
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(01):4

Affiliations
Praxisgemeinschaft Kreuzackerpark, Solothurn

Publié le 11.01.2017

Dans un cabinet de médecine de premier recours, 30 à 50% des patients [1] souffrent d’un trouble psychique qui nécessiterait un traitement. Une grande partie de ces patients sont traités au cabinet du médecin de famille même. Les médicaments psychotropes jouent ici un rôle essentiel. Des sources d’information neutres et indépendantes de l’industrie portant sur leurs effets et effets indésirables doivent être privilégiées pour arriver à une utilisation rationnelle de ces médicaments. Etant donné que les médicaments psychotropes peuvent interagir avec de nombreux autres médicaments, un accès via internet aux banques de données des interactions est primordial. Des examens concomitants qui dépendent du médicament prescrit ne doivent pas être oubliés. Les patients doivent bénéficier d’explications pertinentes sur les médicaments qui leur sont prescrits. Ces informations doivent être documentées dans le dossier médical.

Dépression: l’affection psychique la plus fréquente

Selon la classification internationale des troubles mentaux (CIM-10, chapitre F), la dépression se définit par la présence d’une humeur dépressive, d’une perte d’intérêt et d’une baisse d’entrain persistant pendant au moins 2 semaines. Si cette dernière est très sévère et/ou associée à des symptômes psychotiques et à des tendances suicidaires, son traitement devrait être confié à un médecin spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Bon nombre des patients légèrement dépressifs sont toutefois traités au cabinet du médecin de famille. Un «accompagnement de surveillance active» associé à consultation psychosociale pendant 2 semaines sont recommandés en cas de dépression légère [2]. L’utilisation de médicaments antidépresseurs devrait uniquement être envisagée en l’absence d’amélioration des symptômes, et idéalement combinée à une psychothérapie. Bien que les fabricants soulignent les avantages de l’action de leur propre préparation, aucune différence pertinente n’a à ce jour pu être mise en évidence en ce qui concerne l’efficacité des (nouveaux) antidépresseurs [3].
En ce qui concerne le choix d’un antidépresseur adapté, il convient de se demander en premier lieu si l’effet souhaité doit être neutre voire activer la psychomotricité, ou bien s’il doit être anxiolytique-sédatif et soporifique. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), tels que le citalopram (20–40 mg) ou la sertraline (50–150 mg), ainsi que les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine-noradrénaline (IRSN), tels que la venlafaxine (75–300 mg), ont un effet neutre (ISRS) à activateur (IRSN). Leur prise est judicieuse le matin. Les antagonistes des autorécepteurs tels que la mirtazapine (15–45 mg), la trazodone (50–200 mg) ainsi que l’antidépresseur tricyclique amitriptyline (25–150 mg) et l’antidépresseur tétracyclique trimipramine (25–150 mg) ont à l’inverse un effet sédatif et soporifique. Le millepertuis, apprécié par de nombreux patients, fait également partie des antidépresseurs plutôt sédatifs. Leur prise s’effectue le soir.
La suite de cet article fournira un aperçu des effets ­indésirables des différentes substances. De par leur mécanisme d’action avant tout médié par le système de transmission sérotoninergique et/ou noradrénergique, les effets indésirables des antidépresseurs sont normalement typiques et prévisibles [4]. Parmi les différentes préparations, les principales différences résident avant tout dans leurs répercussions sur le poids (malheureusement, la mirtazapine est ici problématique), la pression artérielle (possible hausse sous venlafaxine et surtout sous bupropion), ainsi que dans leurs effets indésirables anticholinergiques (avant tout avec les antidépresseurs tricycliques et tétracycliques).
En particulier en médecine ambulatoire, l’acceptation des effets indésirables par les patients joue un rôle décisif et influence l’observance des patients en ce qui concerne la prise du médicament prescrit.

Troubles anxieux

En complément des procédés de détente et des interventions psychothérapeutiques, les antidépresseurs peuvent également être utilisés dans le traitement des troubles anxieux. Presque tous les antidépresseurs peuvent être utilisés dans cette indication. Généralement, les doses initiales doivent cependant être plus faibles (50%) qu’en cas de traitement antidépresseur et, si au juste nécessaire, l’augmentation de la dose doit ensuite se faire lentement. En tant que médication aiguë, en particulier en cas de trouble panique, des benzodiazépines (lorazépam 1 à 2,5 mg) peuvent être temporairement indiquées en complément.

Troubles obsessionnels compulsifs

Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) sont une autre indication de l’utilisation des antidépresseurs. Les ISRS (sertraline 50–200 mg ou citalopram 20–40 mg) et les antidépresseurs tricycliques (clomipramine 25–200 mg) entrent en ligne de compte. Il convient ici d’utiliser les antidépresseurs pendant une période suffisamment longue (8 à 12 semaines) et à une dose suffisamment élevée.

Traitement co-analgésique par ­antidépresseurs

Les douleurs chroniques peuvent avoir des causes très variées. Elles sont difficiles à traiter. Outre un traitement médicamenteux orienté vers la cause des ­douleurs, l’utilisation d’antalgiques ainsi qu’une co-médication de soutien, les traitements non pharmacologiques (physio-/ergo-/psychothérapie) sont d’une importance capitale.
Les antidépresseurs influencent la transmission des neurotransmetteurs. Dès lors, ils peuvent également avoir une influence positive sur la transmission de la douleur et donc être utilisés en tant que médication co-analgésique. Dans cette indication, les médicaments de premier choix sont les antidépresseurs tricycliques, tels que l’amitriptyline (Saroten® Retard). Malheureusement, la forme non retard de l’amitriptyline (Tryptizol®) n’est plus disponible en Suisse.
Dans cette indication, les ISRS se sont révélés moins efficaces et sont en outre considérés comme problématiques lorsqu’ils sont combinés à des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), tels que l’acide acétylsalicylique et l’ibuprofène, en raison de l’élévation du risque hémorragique (surtout gastro-intestinal).
Les IRSN, tels que la venlafaxine et la duloxétine, ainsi que les anticonvulsivants, tels que la prégabaline (300-600 mg/jour), sont aussi efficaces que les antidépresseurs tricycliques en cas de névralgies.
En tant que simple médication complémentaire, les antidépresseurs peuvent être utilisés à faible dose dans le traitement de la douleur (amitriptyline 25–75 mg/jour). En présence d’une dépression, qui se développe souvent au cours d’états douloureux chroniques, des doses plus élevées sont requises (amitriptyline jusqu’à 150 mg/jour).
En cas de combinaison d’antidépresseurs et d’antalgiques, il convient de noter que les antidépresseurs ­tricycliques, au même titre que les ISRS et les IRSN, ­déploient leur effet notamment via le système de transmission sérotoninergique. En combinaison avec des opioïdes (tramadol, méthadone), il est donc impératif de garder à l’esprit que l’interaction peut favoriser l’apparition d’un syndrome sérotoninergique (agitation, spasmes musculaires, hyperréflexie, sueurs, frissons, tremblement, augmentation de la pression artérielle). Plus le dosage de l’antidépresseur est élevé, plus la probabilité de cette interaction dangereuse est grande.

Troubles psychotiques

En règle générale, on peut retenir que la durée d’un traitement antipsychotique s’élève à 1 an après un premier épisode psychotique, à 2–5 ans après une première récidive et à plus de 5 ans après plusieurs épisodes. L’intensité de la dose doit être déterminée de manière à ce que les symptômes des patients soient réprimés au maximum pour garantir un bon niveau fonctionnel dans les activités professionnelles ou quotidiennes, tout en s’efforçant de trouver la dose efficace la plus faible possible, comme pour tous les médicaments psychotropes. Le risque d’une mort subite cardiaque sous traitement antipsychotique est en effet dose-dépendant [5]. Les nouveaux antipsychotiques désignés comme atypiques ne comportent pas moins de risques à cet égard que les anciens. Les effets indésirables des nouveaux antipsychotiques (syndrome métabolique) sont certes en partie différents, mais pas moins problématiques que les anciens (troubles moteurs extrapyramidaux).
Les réductions de dose devraient si possible être effectuées par paliers (réduction d’au maximum un quart de la dose actuelle) et à intervalles suffisamment espacés (tous les 1 à 2 mois) afin que la densité des récepteurs cérébraux puisse s’adapter.
Lorsque l’on connaît bien les effets et effets indésirables de l’olanzapine, de la quétiapine, de la rispéridone et du flupentixol, on est prêt à affronter le quotidien du cabinet médical. La clozapine (200–550 mg), préparation très efficace, se présente comme médicament de second voire de troisième choix. En raison du potentiel myélosuppresseur de la clozapine, des contrôles étroits de l’hémogramme sont toutefois nécessaires. Il convient également de garder à l’esprit que les traitements par antipsychotiques anciens, tels que l’halopéridol ou le flupentixol à faible dose (1–3 mg/j), ne provoquent pas d’effets indésirables plus importants que les traitements par antipsychotiques plus récents. Leur utilisation est encore justifiée.

Troubles bipolaires

En cas de troubles bipolaires, des stabilisateurs de l’humeur peuvent en outre s’avérer nécessaires. Le lithium est un médicament éprouvé et bien connu, et il reste encore le premier choix. Dans le cas des troubles ­bipolaires, il a un effet antimaniaque et un effet de prévention des phases, et il peut servir à renforcer un traitement antidépresseur. Moyennant des contrôles réguliers de la concentration sanguine (0,6–0,8 mmol/l), toujours au même moment après la dernière prise ­médicamenteuse, ainsi qu’un contrôle du poids, de la créatinine, des électrolytes, de la thyréostimuline et de la fT4, son spectre thérapeutique étroit ne devrait pas constituer d’obstacle à la prescription. Les stabilisateurs de l’humeur de second choix, tels que l’acide valproïque, la lamotrigine ou la carbamazépine, ne devraient de préférence pas être utilisés au cabinet de médecine de famille. Ils sont problématiques en particulier en raison de leur fort potentiel d’interactions avec d’autres médicaments et de leur effet potentiellement fœtotoxique.

Effets indésirables

Les médicaments psychotropes affichent un large spectre d’effets indésirables possibles. Pour simplifier, on peut nommer des groupes de risque typiques [6] (tab. 1).
Tableau 1: Groupes de risques des médicaments psychotropes.
Groupes de substancesExemples de substancesRisques typiques
Antidépresseurs:
ISRS
IRSN

Citalopram, sertraline,
venlafaxine (en partie)
Nausée, troubles du sommeil, troubles de la ­fonction sexuelle;
allongement de l’intervalle QTc*
pression artérielle ↑
Antidépresseurs:
tricycliques

Amitriptyline, clomipramineSédation, vertiges, troubles du rythme cardiaque (allongement de l’intervalle QTc*), effets anticholinergiques (sécheresse buccale, constipation, ­effets délirogènes)
BenzodiazépinesLorazépamSédation, troubles cognitifs, risque d’addiction
Analogues des benzodiazépinesZolpidemSédation, troubles cognitifs, risque d’addiction
Antipsychotiques
(«typiques»)
Halopéridol, flupentixolDyskinésies, allongement de l’intervalle QTc
Antipsychotiques
(«atypiques»)
Olanzapine, quétiapine, rispéridoneSyndrome métabolique, sédation,
prolactine ↑­
LithiumSels de lithiumDiarrhée, tremblement, intoxication,
(allongement de l’intervalle QTc)
Autres stabilisateurs de l’humeur
(antiépileptiques)
Valproate, carbamazépine, 
lamotrigineTroubles de la coagulation et de l’hématopoïèse,
sédation, altérations cutanées, interactions, ­malformations fœtales
* En présence de facteurs de risque supplémentaires (âge >65 ans, sexe féminin, hypertension artérielle, syndrome du QT long congénital, ­bradycardie, hypokaliémie) ainsi qu’en cas de dosage élevé/surdosage: risque d’allongement de l’intervalle QTc et de torsades de pointes [8].

Informations neutres sur les médicaments

Des informations sur les médicaments à la fois neutres et indépendantes de l’industrie sont d’une importance capitale pour un traitement rationnel par médicaments psychotropes. Il est possible d’utiliser différentes sources. Personnellement, j’ai fait une très bonne expérience avec pharma-kritik et infomed-screen, de Infomed-Verlags AG (www.infomed.ch), au fil des années.

Surveillance

Les examens au début du traitement (fig. 1) puis, en fonction de la préparation, répétés à différents intervalles constituent une composante essentielle d’un traitement par médicaments psychotropes.
Figure 1: Surveillance en cas de traitement par médicaments psychotropes; source: [7].

Interactions

Les médicaments psychotropes comportent un risque élevé d’interactions avec d’autres médicaments. Les banques de données en ligne sur les interactions sont par conséquent désormais indissociables de la pratique quotidienne.

Information du patient et documentation en cas de traitement par médicaments psychotropes

Une bonne information des patients et sa documentation dans le dossier médical sont primordiales. Cela demande toutefois du temps, qui manque justement au cabinet de médecine de famille. Le recours à des fiches d’information patient partiellement standardisées [9] aide à inclure de manière individualisée le traitement par médicaments psychotropes dans l’entretien médical d’information. Ces fiches indiquent de façon claire les principaux effets, effets indésirables, risques et perspectives de succès. En utilisant ces fiches comme protocole d’information et en les déposant remplies dans le dossier médical ou en les enregistrant en version électronique, le médecin se prémunit en outre contre d’éventuels recours en responsabilité.

Quels médicaments choisirais-je?

Je fais mes prescriptions selon les critères mentionnés plus haut dans l’article. Mais j’attache également une grande importance aux expériences que j’ai acquises au fil des années avec les ­différentes préparations. De mon point de vue, un faible nombre de médicaments suffit à couvrir les différentes indications des médicaments psychotropes. Il convient toutefois de bien connaître leurs effets, effets indésirables et potentiel d’interaction. La proportion de médicaments psychotropes dans une pharmacie de cabinet peut ainsi rester raisonnable, ce qui selon moi constitue une condition préalable à l’utilisation rationnelle de ces médicaments.
Sélection de médicaments et leurs alternatives (exemple).
Syndrome1er choixDosage Alternative
Dépression
(+ trouble du sommeil)
TOC
Citalopram
Mirtazapine
Sertraline
20–40 mg
15–45 mg
50–200 mg
Venlafaxine 75–300 mg
Trazodone 50–150 mg
Clomipramine max. 250 mg
Troubles anxieux
(+ trouble panique)
Trimipramine
(+ lorazépam)
25–150 mg
1–2,5 mg
Amitriptyline 25–150 mg
Traitement co-analgésiqueAmitriptyline25–75 mgVenlafaxine 37,5–75 mg
Psychose Olanzapine2,5–20 mgFlupentixol 1–10 mg
A. Zimmer est co-auteur des fiches d’information patient et de documentation Thieme proCompliance pour les traitements psychotropes par antidépresseurs, antidépresseurs tricycliques, antipsychotiques, olanzapine, lithium, clozapine, stabilisateurs de l’humeur, médicaments sédatifs ou somnifères, ainsi que pour les médicaments destinés au traitement du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
Au demeurant, il n’existe aucune relation commerciale, personnelle ou matérielle avec des entreprises industrielles pertinentes pour le sujet que j’ai présenté dans cet article.
Dr méd. Alexander Zimmer
Facharzt für Psychiatrie und Psychotherapie,
Schänzlistrasse 2,
CH-4500 Solothurn
azimmer[at]hin.ch
1 Ajdacic-Gross V, Graf M. Bestandsaufnahme und Daten zur psychiatrischen Epidemiologie (document de travail de l’OBSAN, 2 dézembre 2003 p. 31–34, Office fédéral de la statistique, Neuchâtel [en allemand avec résumé français]).
2 Wann Psychotherapie, wann Antidepressiva? Ars Medici. 2008;11:476.
3 Gartlehner G, et al. Comparative benefits and harms of second-­generation antidepressants: background paper for the American College of Physicians. Ann Intern Med. 2008;149:734–50.
4 Shultz E, Malone DA jr. A practical approach to prescribing antidepressants, Cleve Clin J Med. 2013;80:625–31.
5 http://www.arznei-telegramm.de/html/2009_02/0902022_02.html.
6 Zimmer A. Psychopharmaka in der Hausarztpraxis. Praxis 2014;103(13):763–6.
7 Zimmer A. Psychopharmakotherapie in der Grundversorgerpraxis. PraxisDepesche. 2015;??:36–8.
8 Wenzel-Seifert K, Wittmann M, Haen E. QTc prolongation by psychotropic drugs and the risk of torsade de pointes, Dtsch Arztebl Int. 2011;108:687–93.
9 http://www.psychiatrie.ch/fr/fmpp/specialistes-et-commissions/commission-de-qualite/
1 Ajdacic-Gross V, Graf M. Bestandsaufnahme und Daten zur psychiatrischen Epidemiologie (document de travail de l’OBSAN, 2 dézembre 2003 p. 31–34, Office fédéral de la statistique, Neuchâtel [en allemand avec résumé français]).
2 Wann Psychotherapie, wann Antidepressiva? Ars Medici. 2008;11:476.
3 Gartlehner G, et al. Comparative benefits and harms of second-­generation antidepressants: background paper for the American College of Physicians. Ann Intern Med. 2008;149:734–50.
4 Shultz E, Malone DA jr. A practical approach to prescribing antidepressants, Cleve Clin J Med. 2013;80:625–31.
5 http://www.arznei-telegramm.de/html/2009_02/0902022_02.html.
6 Zimmer A. Psychopharmaka in der Hausarztpraxis. Praxis 2014;103(13):763–6.
7 Zimmer A. Psychopharmakotherapie in der Grundversorgerpraxis. PraxisDepesche. 2015;??:36–8.
8 Wenzel-Seifert K, Wittmann M, Haen E. QTc prolongation by psychotropic drugs and the risk of torsade de pointes, Dtsch Arztebl Int. 2011;108:687–93.
9 http://www.psychiatrie.ch/fr/fmpp/specialistes-et-commissions/commission-de-qualite/