Le médecin de famille  et le patient âgé
Etat confusionnel aigu, démence, aptitude à la conduite et médecine palliative

Le médecin de famille et le patient âgé

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Édition
2017/11
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01489
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(11):212-215

Affiliations
a Arztpraxis Dulliken; b Chefarzt Akutgeriatrie, Felix Platter-Spital, Basel

Publié le 14.06.2017

Avec le vieillissement croissant de la population dans nos régions, la médecine se trouve confrontée à de nouveaux défis.

Vieillesse

L’atelier a commencé avec quelques remarques sur la vieillesse, les groupes d’âge ayant été définis selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (tab. 1). Tandis que les woopies (= seniors financièrement stables, donc disposant d’un fort pouvoir d’achat, sans obligations professionnelles) peuvent encore profiter de la vie, à partir de 80 ans, les pertes prédominent sur les gains: on devient fragile, nécessitant parfois des soins; en outre, les réserves s’amenuisent. Se pose également la question de savoir pourquoi les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Cela est peut-être dû au fait que «l’homme moyen» a un mode de vie plus risqué et moins bon pour la santé et attache parallèlement moins d’importance aux examens préventifs que les femmes. Seuls 25% des hommes se plaignent de limitations en lien avec la santé, contre 33% des femmes. Un renversement de la tendance semble se profiler: au cours des 20 dernières années, l’espérance de vie moyenne des hommes a augmenté de 3,7 ans tandis que celle des femmes n’a augmenté que de 1,5 an.
Tableau 1: Groupes d’âges selon l’OMS.
Seniors60–75 ans
Personnes âgées76–90 ans
Personnes très âgées91–100 ans
Centenaires>100 ans

Evaluation gériatrique

Différents instruments se trouvent ici à disposition. Le MMSE (Mini-Mental State Examination) avec le test de l’horloge sert d’instrument de dépistage des troubles cognitifs. Deux autres tests pour l’estimation de la fonctionnalité au quotidien sont facilement réalisables et peuvent être des outils décisionnels utiles lorsque la question d’une institutionnalisation éventuelle se pose:
Timed get up and go test (TUG): Avec ce test, la force et la mobilité peuvent être évaluées dans les conditions du quotidien. Le patient doit se lever (également à l’aide de ses bras), marcher 3 mètres, ensuite faire un bref demi-tour, retourner vers sa chaise et s’asseoir. S’il peut réaliser cela en 20 secondes, tout est normal; en revanche, les valeurs supérieures à 30 secondes sont clairement pathologiques et il existe un risque de chute accru.
Timed test of money counting: Avec ce test de comptage de pièce de monnaies [1], l’acuité visuelle de près, la motricité fine et la cognition sont vérifiées. Dans un porte-monnaie avec des boutons de fermeture à pression et des compartiments à billets et à pièces, la somme suivante doit être additionnée:
1 billet de 10 francs
1 pièce de 2 francs
2 pièces de 1 franc
1 pièce de 50 centimes de franc
3 pièces de 10 centimes de franc
Si la somme totale de 14,80 francs peut être donnée dans un délai de 45 secondes, tout va bien, par contre si le patient a besoin de 45–70 secondes il est probable qu’il nécessite une aide. S’il a besoin de plus de 70 secondes, il est évident que le patient a besoin d’aide et la simple manipulation d’emballages blister ou Flip-Top doit être problématique, sans parler de l’administration d’insuline ou de gouttes ophtalmiques.

Etat confusionnel aigu

En cas d’état confusionnel aigu, les formes suivantes sont à différencier:
Forme hyperactive (env. 5% des cas; agitation, agressivité; manipulation de la sonnette d’alarme et du cathéter à demeure, etc.)
Forme hypoactive (env. 45% des cas; ralentissement et apathie; occasionnellement pensées paranoïaques; trouble de l’orientation)
Forme mixte (env. 50% des cas; altérations du comportement en l’espace de quelques minutes)
Pour ce qui est des réflexions relatives au diagnostic différentiel, le schéma I WATCH DEATH (tab. 2) pourrait être utile.
Tableau 2: I WATCH DEATH – facteurs qui peuvent provoquer un état confusionnel aigu.
Infection: Infection des voies urinaires, pneumonie, ­sepsis, diverticulite, endocardite etc.
Withdrawal: Benzodiazépines, antidépresseurs, opiacés, alcool etc.
Acute metabolic: Sodium, calcium, glucose
Trauma: Douleurs, traumatismes crâniens, fracture du col du fémur, hémorragies etc.
CNS: Démence! Apoplexie, hématome sous-dural, méningo-encéphalite, tumeur
Hypoxia: Pneumothorax, BPCO, pneumonie, épanchements pleuraux
Deficiencies: Malnutrition, hypovitaminoses (B12; B1; acide folique)
Endocrine: Hyper- ou hypothyroïdie; hypercortisolisme; insuffisance surrénalienne
Acute vascular: Syndrome coronarien aigu, artériopathie oblitérante des membres inférieurs, crise hypertensive, ischémie mésentérique
Toxin: Anticholinergiques, benzodiazépines, alcool, lithium, anti-inflammatoires non stéroïdiens etc.
Heavy metals: Plomb, mercure
Avant une prescription de médicaments au hasard, les facteurs suivants qui pourraient déclencher un état confusionnel aigu devraient être pris en compte:
– Existe-t-il des problèmes d’orientation (lunettes, appareil auditif, montre, éclairage, etc.)?
– La miction (rétention urinaire!) et les selles sont-elles réglées?
– Le patient a-t-il des douleurs?
– Les apports en nourriture et en liquide sont-ils suffisants?
– Polypharmacie: des anticholinergiques sont-ils prescrits?
Il était impressionnant d’observer qu’une administration prophylactique d’halopéridol 3×0,5 mg en cas de facteurs prédisposants raccourcissait la durée de l’état confusionnel aigu de 6,5 jours et la durée de l’hospitalisation de 5,5 jours [2]. Malheureusement, l’incidence de l’état confusionnel aigu n’est néanmoins pas réduite. En revanche, il semblerait qu’une prise unique de rispéridone 1 mg réduise significativement l’incidence de l’état confusionnel aigu en post-opératoire [3]. Si rien ne fonctionne, le schéma thérapeutique suivant (tab. 3) a été recommandé parmi les nombreuses propositions de traitement [4] pour les patients agités: paradoxalement, presque tous les médicaments utilisés sont aussi soupçonnés de favoriser un état confusionnel aigu. Si l’alcool fait partie de l’équation, et en cas de prédisposition accrue aux consulvions, il conviendrait de traiter dans un premier temps par benzodiazépines et non par neuroleptiques, qui abaissent le seuil épileptogène; de plus, l’administration de 300 mg de thiamine par voie intraveineuse est recommandée comme prophylaxie de l’encéphalopathie de Wernicke. Toutefois, la majeure partie des médecins de famille ne disposent pas du stock nécessaire au cabinet ni dans leur mallette médicale.
Tableau 3: Schéma thérapeutique chez les patients agités.
Halopéridol par voie orale 25 gouttes, ou 2,5 mg par voie 
intramusculaire
– En l’absence d’amélioration après 30 minutes
Halopéridol 5 mg
Combiné avec la quétiapine 12,5 mg (jusqu’à 100 mg/j)
– En l’absence d’amélioration après 60 minutes
Halopéridol 10 mg
et lorazépam en prises de 1 mg en cas d’agitation

Démence

Selon la nouvelle nomenclature, le terme «démence» n’est plus explicitement mentionné. Dorénavant, en cas de diagnostic d’une démence manifeste, on parle de Major Neurocognitive Disorder (Major NCD), par exemple en cas de maladie d’Alzheimer, de Parkinson, d’étiologie vasculaire etc. cette désignation se veut moins stigmatisante. Minor Neurocognitive Disorder (Minor NCD) remplace l’ancien trouble cognitif léger ou Mild Cognitive Impairment (MCI). Le facteur de risque principal de la démence reste la vieillesse. L’augmentation de la démence en Suisse représente un défi considérable pour l’avenir. Actuellement, nous avons déjà 120 000 personnes atteintes de démence, dont 60% sont des femmes, car elles sont davantage représentées dans le groupe d’âge correspondant. Il faut s’attendre à 25 000 nouveaux cas chaque année. 60% des personnes atteintes de démence habitent à leur domicile et y sont prises en charge. En contrepartie, on peut heureusement mentionner que deux tiers des personnes de plus de 100 ans ne présentent aucun déficit cognitif.
Voici les situations dans lesquelles des investigations s’imposent:
– Difficultés à apprendre et mémoriser des choses nouvelles;
– Difficultés à venir à bout de tâches complexes (cuisiner, conduire, etc…);
– Difficultés d’orientation;
– Altération de la personnalité et de l’humeur.
D’autres investigations doivent être envisagées dans une clinique de la mémoire dans les cas suivants:
– Tests de dépistage normaux, mais troubles cognitifs subjectifs;
– Démence ou dépression?;
– Dysfonctionnements cognitifs avec pertinence quotidienne possible (par ex. conduite, finances, etc.);
– Antécédent d’état confusionnel aigu indéterminé (démence d’évolution subclinique?).
Malgré la nouvelle nomenclature, nous ne disposons aujourd’hui que d’options thérapeutiques symptomatiques. Sur le plan thérapeutique sont principalement utilisés les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et les préparations à base de mémantine qui sont particulièrement efficaces contre les troubles du comportement associés à la démence. Les inhibiteurs de la cholinestérase sont appropriés en cas de symptomatique négative telle qu’apathie, anxiété ou dysphorie. En revanche, la mémantine montre une bonne efficacité en cas de symptomatique positive (agitation et agressivité). Il existe une relation dose-effet, c’est-à-dire que si cela est possible, il convient de toujours procéder à la titration en fonction du Compendium et des signes ­cliniques. Le Ginkgo biloba améliore la fonction ­mitochondriale des neurones et inhibe l’agrégation des ­bêtas-amyloïdes, il a une fonction anticoagulante et renforce le système immunitaire. A partir d’une dose quotidienne de 240 mg de Ginkgo biloba, un bénéfice significatif est prouvé[5].

Aptitude à la conduite chez les personnes âgées

Outre les critères médicaux habituels (la «personne borgne et sourde» est par exemple interdite de conduire…!), il en va également des troubles cognitifs qui influencent l’aptitude à la conduite. Dans la mesure où la conduite d’une voiture est une activité quotidienne complexe et exécutée de manière classique, il est essentiel de reconnaître les patients avec des troubles correspondants. Bien qu’ils n’aient pas été développés en tant que tests d’aptitude à la conduite, ce sont le MMSE et le test de l’horloge qui sont le plus utilisés; ces derniers sont faiblement corrélés avec la performance de conduite. Un des meilleurs prédicteurs de la réussite d’un test de conduite pratique est toutefois le Trail Making Test Part B, dans lequel, il convient de dessiner le plus rapidement possible – et sans lever le crayon de la feuille – une ligne de 1 à A, de A à 2, de 2 à B, de B à 3 etc., c’est-à-dire que les chiffres doivent être reliés par ordre croissant et les lettres par ordre alphabétique (fig. 1).
Figure 1: Trail Making Test Part B.
D’après la American Academy of Neurology, la performance de conduite est nettement diminuée avec un score MMSE <24 et un score Trail Making Test Part B >180 secondes, et l’expérience a montré que les patients avec un score MMSE <21 et un Trail Making Test pathologique (avec erreurs et durant plus de 180 secondes) ne sont généralement plus en mesure de réussir un trajet de contrôle. Dans de telles situations, des investigations supplémentaires sont indispensables. Le type de démence est également déterminant: ainsi, en cas de maladie d’Alzheimer légère (MMSE ≥24, Trail B <180 secondes), l’aptitude à conduire peut encore être présente, mais en cas de démence fronto-temporale sans conscience de la maladie et avec comportement à risque et une surestimation de soi-même, le patient n’est définitivement plus apte à la conduite.

Accompagnement en fin de vie

L’accompagnement d’une personne en fin de vie représente un défi de taille, autant sur le plan médical qu’humain, dont sont aujourd’hui chargés de plus en plus médecins en soins palliatifs, bien que cela ne représente fondamentalement qu’une partie de leur activité médicale. Les procédures suivantes sont à distinguer:
Euthanasie passive: Il s’agit ici de renoncer consciemment aux thérapies maintenant en vie ou d’interrompre des thérapies déjà commencées (par ex. antibiotiques, respiration artificielle, etc.). Cette procédure est une composante reconnue de la médecine conventionnelle.
Euthanasie active indirecte: Il s’agit ici de prescrire des médicaments qui pourraient entre autres raccourcir la durée de vie. La priorité absolue est de soulager les douleurs et la souffrance, et non d’accélérer le décès. Elle fait également partie de la médecine conventionnelle.
Suicide assisté: D’après l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM), il ne fait pas partie de l’activité médicale. Il est pratiqué par des organisations non spécialisées telles qu’EXIT, Dignitas et Lifecircle. Les raisons pour une interruption prématurée de la vie sont par exemple des douleurs insupportables ou un diagnostic sans espoir.
Outre toutes les mesures palliatives, il convient ici de n’aborder que brièvement la déshydratation. Les inconvénients de la déshydratation sont la sécheresse buccale, la soif, la constipation, l’état confusionnel aigu, la somnolence et la confusion. Par ailleurs, il y a également des avantages: la sécrétion gastrique réduite conduit à moins de vomissements, il est éventuellement possible de renoncer à un cathéter à demeure en raison de l’oligurie, la sécrétion réduite dans les poumons mène à une formation réduite de mucosités et à moins de toux et les douleurs diminuent du fait de la réduction des œdèmes tumoraux. En outre, il y a une sécrétion d’endorphines accrue qui, dans de telles situations, est certainement la bienvenue. Dans des cas spécifiques, une hydratation sous-cutanée est appropriée, l’indication se basant principalement sur les ­décisions individuelles (par ex. soif malgré l’hygiène buccale). Une hydratation sous-cutanée présente l’avantage que l’aiguille (aiguilles de type Butterfly ou Venflon fines) peut être laissée en place jusqu’à 10 jours, aucune thrombophlébite n’apparait, une surcharge du système circulatoire est pratiquement impossible et le risque d’infection est extrêmement réduit. De plus, elle est techniquement simple à réaliser et peut aussi être faite à domicile. Le NaCL 0,9% ou une perfusion mixte sont utilisés en tant que solution pour perfusion, généralement 500–1000 ml/24 h.
Dr méd. Jean-Pierre Grob
Gartenstr. 9
CH-4657 Dulliken
j-p.g[at]bluewin.ch
1 Nikolaus T, Bach M, Specht-Leible N, Oster P, Schlierf G. The timed test of money counting: a short physical performance for manual dexterity and cognitive capacity. Age Ageing. 1995;24:257–8.
2 Kalisvaart K, De Jonghe J, Bogaards M, Vreeswijk R, Egberts T, et al. Haloperidol prophylaxis for elderly hip-surgery patients at risk for delirium: a randomized placebo-controlled study. JAGS. 2005;53:1658–66.
3 Prakanrattana U, Prapaitrakool S. Efficacy of risperidone for prevention of postoperative delirium in cardiac surgery. Anaesth Intensive Care. 2007;35:714–9.
4 Mac Sweeney R, Barber V, Page V, et al. A national survey of the management of delirium in UK intensive care units. QJM. 2010;103:243–251. Delir.
5 Ihl R, Tribanek M, Bachinskaya N, GOTADAY Study Group: Efficacy and tolerability of a once daily formulation of Ginkgo biloba extract EGb 761® in Alzheimer’s disease and vascular dementia: results from a randomised controlled trial. Pharmacopsychiatry 2012;45(2):41–6.