Insuffisance rénale chronique
Un exemple de prise en charge partagée entre le médecin interniste généraliste et le néphrologue

Insuffisance rénale chronique

Lernen
Édition
2017/18
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01498
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(18):346-349

Affiliations
Néphrologie, Hopitaux Universitaires Genève HUG

Publié le 27.09.2017

La prise en charge de l’insuffisance rénale chronique n’est pas compliquée mais elle est complexe. Le contrôle de la tension artérielle et les mesures diététiques sont les deux éléments les plus importants de la prise en charge. Le but de cet article est la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique établie.

Conclusion pour la pratique clinique

La prise en charge de l’insuffisance rénale chronique n’est pas compliquée mais elle est complexe. Elle demande un suivi méticuleux du patient et de ses examens de laboratoires, Ce suivi qui peut être espacé tous les 6 mois dans une insuffisance rénale chronique de stade 3a, doit être rapproché à mesure que l’IRC progresse. Une personne avec un DFG <15 ml/min nécessite un suivi mensuel. Le contrôle de la tension artérielle et les mesures diététiques sont les deux éléments les plus importants de la prise en charge. Les traitements de l’hypertension artérielle et des troubles lipidiques sont les seuls traitements qui ont démontrés un bénéfice sur la mortalité et la morbidité cardiovasculaires. Le traitement de l’anémie est important mais sans viser une normalisation de l’hémoglobine. Le traitement des troubles phosphocalciques est important et repose principalement sur la normalisation de la vitamine D3 native et le maintien d’une phosphatémie normale. Son impact sur l’évolution de l’IRC ou la mortalité n’est pas ­démontré. L’IRC augmente de nombreux risques ­d’effets secondaires de traitements et le médecin doit être particulièrement attentif à éviter tous les éléments qui peuvent aggraver le pronostic de la ­maladie rénale chronique.

Introduction

L’insuffisance rénale chronique (IRC) nommée également maladie rénale chronique (MRC) touche environ 10% de la population à des degrés différents. L’insuffisance rénale dite «terminale» qui nécessite un traitement substitutif concerne un pourcentage plus petit puisqu’il touche en Suisse environ 10 000 personnes, soit 1,2%. Deux éléments sont capitaux pour évaluer une insuffisance rénale: le débit de filtration glomérulaire (DFG) et le sédiment urinaire. Un DFG à <60 ml/min/1,73 m2 d’une durée d’au moins 3 mois suffit pour parler d’insuffisance rénale chronique, si le débit est supérieur, il faut une anomalie structurelle que l’on dépiste dans la majorité des cas par l’analyse urinaire. Si le DFG est >60 ml/min/1,73 m2, on doit retrouver soit une albuminurie supérieure à 30 mg/g de créatinine ou soit une hématurie glomérulaire seule ou combinée avec d’autres anomalies pour retenir le diagnostic de MRC G1 ou G2. Pour aller plus loin dans le diagnostic d’une atteinte structurelle, il faut dans la majorité des cas recourir à une biopsie rénale. Le traitement de la cause primaire de la maladie rénale n’est pas le sujet de cet article car celui-ci peut permettre une guérison complète ou partielle de cette maladie primaire. Le but de cet article est la prise en charge de l’IRC établie et classifiée selon la tableau 1. Dans cette classification, il est important de relever l’importance de l’albuminurie dans le pronostic associé à la maladie rénale chronique. Hormis le risque d’évoluer vers une insuffisance rénale terminale, il faut tenir compte dans la prise en charge de l’augmentation du risque cardiovasculaire. Ainsi, un stade de maladie rénale chronique à haut risque inclut le risque d’évoluer vers l’insuffisance rénale terminale et le risque de complications cardiovasculaires. C’est pour cela que la prise en charge des IRC de stades 3–5 doit être optimale sur le plan cardiovasculaire. Tous les risques cardiovasculaires modifiables doivent être évalués.

L’importance de l’hypertension

Parmi ceux-ci l’hypertension (HTA) est très fréquente, touchant plus de 50% des patients avec une IRC stade 3 et 90% des patients stade 5. La particularité de l’HTA est qu’elle est fréquemment masquée car uniquement nocturne au début et qu’elle est «sodium sensitive». Une mesure de la pression ambulatoire sur 24 heures est nécessaire pour établir le diagnostic et le suivi du traitement de l’HTA. Le traitement doit commencer par les mesures non médicamenteuses et la baisse de la consommation sodée est souvent très efficace. Le traitement médicamenteux doit privilégier des bloqueurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) en première ligne, les diurétiques et les anticalciques doivent être les choix suivants s’il faut une deuxième et une troisième molécule. Il n’est pas rare d’avoir besoin de 3 voire 4 molécules pour contrôler l’hypertension. Un dosage insuffisant des diurétiques est souvent la cause d’une résistance au traitement. En cas de résistance, un double blocage du SRAA (p.e. IEC et sartans) est déconseillé car il aggrave les risques cardiovasculaires (CV). A noter, que le recours à la spironolactone s’est avéré très efficace dans plusieurs études, à condition que son usage ne soit pas limité par le risque d’hyperkaliémie sévère. Finalement, le syndrome d’apnée du sommeil (SAS) est à rechercher chez les patients avec IRC et HTA difficile à traiter.

L’approche diététique

L’approche diététique est incontournable dans la prise en charge de l’IRC (tab. 2). En complément de l’épargne sodée, les modifications du régime alimentaire peuvent avoir un effet majeur sur l’évolution de l’insuffisance rénale. Une approche quantitative et qualitative de l’apport protéiné est nécessaire. On favorise un apport limité à 0,8 g/kg/24 h et recommande une augmentation du rapport protéines végétales/protéines animales. Cette approche diminue la charge acide quotidienne et diminue les apports en phosphates. L’épargne protéique a démontré son efficacité dans plusieurs études et il a été démontré que le maintien d’un bicarbonate total au-dessus de 23 mmol/l freinait ­également la progression de l’IRC. La combinaison des deux semble encore plus efficace sur la progression mais les études sont encore peu nombreuses et l’effet sur le risque cardiovasculaire n’est pas encore démontré contrairement au traitement de l’HTA.
En cas d’obésité, la perte de poids s’accompagne en ­général d’une amélioration de la fonction rénale. Néanmoins, en cas de régime hypocalorique, celui-ci doit être particulièrement bien surveillé et associée à de l’exercice physique car l’insuffisance rénale favorise la fonte musculaire et la dénutrition.
Parmi les facteurs de risques cardiovasculaires, on sait que l’insuffisance rénale modifie le bilan lipidique sur de nombreux aspects. Les évidences d’un traitement manquaient jusqu’à ces dernières années où plusieurs études ont démontré un avantage d’une thérapie à base de statine ou combinée avec l’ezétimibe sur la mortalité cardiovasculaire des patients avec une IRC 3–5, non en dialyse. Les recommandations sont assez simples puisqu’elles conseillent un traitement pour toute personne ayant un DFG <60 ml/min et âgé de plus de 50 ans. La différence avec les patients non IRC est dans le dosage car les statines sont moins bien tolérées et les dosages sont moindres.
Tableau 2: Recommandations diététiques.
Boissons 1–3 l/j
Restriction sodée (en particulier si hypertension et/ou protéinurie): max: 2,3 g/j ou 100 mmol/j
Prise modérée de protéines (si possible 0,8–1 g/kg/24 h) mais peut être plus bas si suivi diététique et supplément acides aminés
Les protéines d’origine végétale devraient être favorisées
Riches en fruits and légumes (cave K!) ou avec un supplément de bicarbonates
Eviter les additifs alimentaires (surtout avec phosphates)

Le phosphate

Une caractéristique de l’IRC est une altération de l’homéostasie phosphocalcique en raison d’une perte précoce de la capacité d’excréter la charge phosphatée (à partir d’un DFG <60 ml/min) suivie d’un déficit d’hydroxylation rénale de la Vitamine D3 native qui stimulent des mécanismes compensatoires (FGF23, PTH) qui ont des conséquences osseuses et cardiovasculaires. Le bilan phosphocalcique est essentiel et des mesures doivent prises selon les résultats. La baisse des apports phosphatés doit être recherchée mais son efficacité est limitée car une restriction trop drastique s’accompagne invariablement d’une malnutrition. Si le phosphate sanguin s’élève et dépasse la norme (<1,5 mmol/l), il faut alors donner des chélateurs du phosphate. Si le calcium n’est pas élevé, on commence avec du carbonate de calcium ou de l’acétate (seule possibilité si le patient prend un inhibiteur de la pompe à protons gastrique). Le patient doit les prendre avant ou pendant les repas en ciblant ceux qui sont les plus riches. En cas d’hypercalcémie, il faut alors prescrire des chélateurs sans calcium, comme le carbonate de sevelamerqui est enregistré pour les patients avec IRC stade 3–5. Il y a d’autres chélateurs comme l’oxyhydroxyde de fer et le carbonate de lanthanum, mais les assurances peuvent discuter le remboursement car ceux-ci sont enregistrés uniquement pour les patients en dialyse (tab. 3). En ce qui concerne la vitamine native D3, nous recommandons de la doser chez tous les patients, et de la corriger si nécessaire pour obtenir un taux supérieur à 50 voire 75 ng/l. En revanche, nous ne recommandons pas, sauf exception, de doser la 1,25 vitamine D3. Si malgré la normalisation de la vitamine D3 en conjonction avec un calcium et un phosphate normaux, la PTH (parathormone) est toujours élevée, il faut alors considérer un agoniste actif comme le calcitriol ou le paricalcitol. Son maniement doit être prudent car les risques d’hypercalcémie et d’hyperphosphatémie sont grands et entre deux risques, on préfère actuellement celui de la PTH élevée. Les recommandations concernant la baisse de la PTH ne sont pas basées sur des évidences solides.
Tableau 3: Chélateurs du phosphates.
Si P >1,5 mmol/l
Commencer avec acétate de calcium: AC calcium 400 mg (Bichsel) ou AcetaPhos® 750 mg (Salmon) aux repas ­principaux
Si non toléré, carbonate de calcium 500 mg ou 1000 mg ­(Bichsel)
En présence hypercalcémie, passer à des chélateurs non ­calcique (carbonate de sevelamer [Renvela®] ou chlorure de sevelamer [Renagel®]: Sanofi) ou lanthanum carbonate (Fosrenol®: Opopharma) ou oxyhydroxyde de fer (Velphoro®: ­Vifor). Attention, les assurances peuvent poser des problèmes de remboursements chez les patients avec IRC 3 or 4
Toujours à prendre pendant les repas
Associations entre chélateur calcique et non calcique ou entre deux chélateurs non calciques possible

Le rôle de l’anémie

La prise en charge de l’anémie est en revanche soutenue par des évidences solides (tab. 4). En plus d’une baisse de la production d’erythropoiétine (EPO), un déficit fonctionnel en fer est très fréquent et inhérent à la maladie rénale qui diminue l’absorption et la disponibilité systémique du fer notamment en raison d’une élévation de l’hepcidine. La ferritine n’est plus un reflet de réserves en fer et une valeur normale n’exclut pas un déficit fonctionnel. Dès lors, des valeurs <à 100 μg/l de ferritine et à 20% de saturation de la transferrine sont une indication à un traitement de fer. La forme iv est plus efficace et bien tolérée mais une substitution per os est aussi efficace à condition d’être suffisante soit 2–3 cp par jour sans préférence pour le sel ferrique utilisé. On considère un traitement d’agents stimulants l’erythropoièse (ASE) seulement quand une anémie (Hb <100 g/l ou <110 g/l symptomatique) persiste malgré la réplétion en fer. Le traitement doit débuter prudemment et il n’y a pas d’avantages d’un ASE par rapport aux autres du moment qu’on peut le donner en sous-cutané. La surveillance de ce traitement est particulièrement importante car l’hémoglobine ne doit pas dépasser 120 g/l, l’idéal étant 115 g/l. En effet, il est bien démontré qu’un traitement d’ASE allant au-delà de ses valeurs s’accompagnait d’une augmentation de la morbidité cardiovasculaire, notamment les AVC. En général, le traitement est bien supporté mais peut s’accompagner d’une augmentation de la pression artérielle et nécessiter une majoration du traitement antihypertensif. Le traitement d’ASE augmente la consommation de fer et il faut continuer une substitution ferrique.
Tableau 4: Traitement de l’anémie rénale.
En cas de ferritin <100 μg/l ou <200 μg/l et TSAT <20%:
Ferinject® (100 mg ou 200 mg iv) ou sel ferrique per os 2–3 cp/j (fer i.v. plus rapide et plus efficace)
ASE si Hb <100 g/l ou <110 g/l et symptomatique après correction fer
Erythropoiétine: 4000–6000 IU/semaine ou darbépoétine: 30–50 μmg/15 jours (0,75 μg/kg) ou Mircera®: 75 ou 100 μg (1,2 μg/kg)/mois sous-cutané
Viser Hb 115 g/l et stopper ASE si >
Contrôle régulier (Hb 3 mois; ferritin et TSAT 2×/an minimum); 300 à 500 μg/l de Ferritin est acceptable
Abréviations: ASE = agents stimulants de l’erythropoièse; Hb = hémoglobine; TSAT = transferrin saturation

D’autres complications

Finalement, la prise en charge de l’IRC est aussi d’éviter dans la mesure du possible les complications favorisées par l’IRC et tous les facteurs qui peuvent accélérer la progression de l’insuffisance rénale (tab. 5). L’hyper­kaliémie doit être un souçi constant, particulièrement quand le DFG baisse en dessous de 30 ml/min. La majorité des traitements antihypertenseurs augmentent ce risque et une alimentation riche en légumes en en fruits et pauvre en sel augmente les apports de potassium (K). L’hyperkaliémie peut être un facteur limitant pour l’utilisation des bloqueurs du SRAA. On peut ajouter une résine échangeuse d’ions (sulfonate de polystirène calcium ou sodium) pour maintenir un K dans une limite supérieure de 5–5,5 mmol/l. Il faut veiller à adapter le dosage des médicaments à élimination rénale, notamment les antibiotiques, certains antidiabétiques oraux, l’insuline, l’allopurinol, etc… et éviter les AINS. L’administration de produit de contraste est possible avec une préparation qui peut être orale avec une eau riche en bicarbonate (1 litre 12h avant et 1 litre 12 h après).
Tableau 5: Précautions nécessaires chez le patient présentant une maladie rénale chronique.
• Facteurs pouvant précipiter la progression et/ou augmenter la morbidité –mortalité
– AINS (à éviter dans la mesure du possible)
– IEC ou diurétiques trop dosés
– Ajuster le dosage des médicaments (tenofovir, metformin, antibiotiques)
– Eviter les médicaments néphrotoxiques (aminoglycosides,…)
– Produit de contraste
– IRA d’autres causes (infections, préparation de colonoscopie à base de phosphates, etc…)
• Attention cependant de ne pas priver les patients avec IRC d’un examen ou d’un traitement bénéfique (coronarographie; traitements antiplaquettaires, NACO…)
• Surveiller le potassium
Abréviations: AINS = anti-inflammatoires non stéroïdiens; IEC = inhibiteurs de l’enzyme de conversion; IRA = insuffisance rénale aiguë; IRC = insuffisance rénale chronique; NACO = nouveaux anticoagulants oraux.

Conclusion pour la pratique clinique

La prise en charge de l’insuffisance rénale chronique n’est pas compliquée mais elle est complexe. Elle demande un suivi méticuleux du patient et de ses examens de laboratoires, Ce suivi qui peut être espacé tous les 6 mois dans une insuffisance rénale chronique de stade 3a, doit être rapproché à mesure que l’IRC progresse. Une personne avec un DFG <15 ml/min nécessite un suivi mensuel. Le contrôle de la tension artérielle et les mesures diététiques sont les deux éléments les plus importants de la prise en charge. Les traitements de l’hypertension artérielle et des troubles lipidiques sont les seuls traitements qui ont démontrés un bénéfice sur la mortalité et la morbidité cardiovasculaires. Le traitement de l’anémie est important mais sans viser une normalisation de l’hémoglobine. Le traitement des troubles phosphocalciques est important et repose principalement sur la normalisation de la vitamine D3 native et le maintien d’une phosphatémie normale. Son impact sur l’évolution de l’IRC ou la mortalité n’est pas ­démontré. L’IRC augmente de nombreux risques ­d’effets secondaires de traitements et le médecin doit être particulièrement attentif à éviter tous les éléments qui peuvent aggraver le pronostic de la ­maladie rénale chronique.
Pr Pierre-Yves Martin
Médecin chef de service néphrologie
Hopitaux Universitaires Genève
Rue Gabrielle Perret-Gentil 4
CH-1205 Genève
pierre-yves.martin[at]hcuge.ch