Le diabète de type II au sein des tribus Santals
Une enquête pluridisciplinaire au Bengale-Occidental

Le diabète de type II au sein des tribus Santals

Lehren und Forschen
Édition
2017/16
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2017.01574
Prim Hosp Care (fr). 2017;17(16):310-311

Affiliations
1 Faculté des Sciences Sociales et Politiques (SSP) de l’Université de Lausanne (UNIL); 2 Visva-Bharati University; 3 Faculté de Biologie et de Médecine de l’Université de Lausanne (UNIL) 4 Société de Formation Thérapeutique du Généraliste (SFTG) Paris; 5 Institut et Haute Ecole de la Santé, la Source, Lausanne

Publié le 30.08.2017

Dans le cadre du Module «Immersion communautaire» (IMCO), nous avons mené une étude en équipe pluridisciplinaire réunissant des étudiants en médecine, soins infirmiers, sciences sociales et travail social. Cette étude visait à dresser l’état des lieux concernant une maladie chronique au sein de la communauté Santal, située aux alentours de Santiniketan, à Bolpur (Inde).
Notre intérêt s’est porté sur le diabète, car c’est l’une des pathologies les plus répandues dans le monde. Sa prévalence a augmenté de manière significative au cours des dernières décennies [1]. Actuellement, il a été estimé que 415 millions d’adultes souffrent du diabète, un chiffre qui devrait encore augmenter pour atteindre 642 millions en 2040 [2]. Nous avons effectué notre terrain en Asie du Sud-Est, où la prévalence du diabète est parmi les plus élevées au monde.
Notre étude visait à estimer la prévalence du diabète au sein de la communauté Santal, mais aussi à examiner les facteurs pouvant expliquer celle-ci: le mode de vie des Santals, le système de soin, mais également les dimensions sociales liées à la pathologie. Notre questionnement s’est plus spécifiquement porté sur la ­manière dont les Santals mobilisent leurs ressources ­(matérielles ou symboliques) pour faire face au diabète de type II.

Méthodes

Sur place, nous avons observé le mode de vie des ­Santals et mené des entretiens, majoritairement avec les membres de cette communauté, dont certains diabétiques. L’objectif était d’aborder les individus avec des questions d’ordre général, puis si le contact le permettait, de questionner le mode de vie, l’alimentation, et les connaissances liées au diabète. Nous avons visité cinq différents villages, dans lesquels nous avons également pu interroger trois guérisseur-seuses traditionnel-le-s et une travailleuse ASHA (accredited social health activist). Ces entretiens furent utiles pour comprendre la manière dont la communauté se représentait le diabète.
Nous avons également mené des entretiens semi-structurés avec du personnel de santé, visité deux hôpitaux différents, et mené une observation dans le laboratoire de dépistage de l’un d’eux. Nous avons ­également interrogé trois pharmaciens, un groupe d’infirmières, un nutritionniste, et trois médecins «allopathes». Cette dernière série d’entretiens et d’observations avait pour objectif de décrire la prise en charge du diabète par le système de santé indien, et de mieux comprendre ce qu’il en était pour les patient-e-s ­Santals.
Nous avons ensuite codé ces différents entretiens et observations afin d’en extraire les éléments les plus pertinents.

Résultats

Nos résultats montrent qu’il semble y avoir un taux de diabète peu élevé au sein des villages Santals étudiés par rapport aux estimations générales concernant la région du Bengale-occidental (entre 3,5% à 5,7%) [3]. En écho à nos observations et aux discours des médecins locaux, nous estimons que le taux de diabétiques chez les Santals se situe aux alentours de 2%. Cette faible prévalence pourrait être due au mode de vie des Santals: leur nourriture, bien que composée en majorité d’hydrates de carbone, est relativement saine et ils ont un niveau élevé d’activité physique. La maladie est ­cependant mal connue de la population Santal.
Les Santals ne conçoivent pas le diabète comme étant une maladie. Or, cette représentation de la pathologie semble jouer un rôle prépondérant dans la faible ­compliance des malades. En outre, les soins médicaux publics, gratuits, peuvent être difficiles d’accès pour certains villages éloignés.

Discussion

Nos résultats montrent que le taux de diabétiques chez les Santals semble relativement bas, en comparaison à la prévalence de la pathologie dans cette région de l’Inde. Comment l’expliquer? Outre un mode de vie qui préserverait la communauté Santal de cette maladie, deux facteurs parallèles pourraient entraîner une sous-estimation des diabétiques: d’une part, le peu de sensibilisation au diabète dans les villages, et d’autre part, la difficulté d’accès aux structures de dépistages pour les villageois-e-s. En raison du changement de mode de vie déjà entamé par les jeunes générations – notamment par l’accès à la «junk-food» – le taux de diabétiques tend à augmenter significativement. L’un des médecins interrogés estime qu’il faudra environ quinze ans pour que le taux de diabète chez les Santals atteigne la même proportion que dans le reste de la ­population.
Des pistes d’action sont toutefois envisageables. Nous pensons qu’une priorité devra être mise sur le dépistage et la prévention du diabète. En outre, les smartphones, dont l’utilisation semble répandue dans les ­villages, sont un outil intéressant pour le suivi des ­diabétiques – par exemple via une application pour le rappel de prise de traitement. Enfin, les médecins traditionnels pourraient jouer le rôle de médiateur entre médecines traditionnelle et allopathique.
Merci à Kumkum et Ranjit Bhattacharya, Daniel Widmer, Patrick ­Ouvrard, Sophia Chatelard, Ilario Rossi, Alexandre Savioz, Jean Perdrix, Nalini Lama et tous ceux qui ont pris part à notre recherche.
Dr Daniel Widmer
Médecine psychosomatique et psychosociale ASMPP
Chargé de cours IUMF PMU UNIL
Rédacteur francophone Primary and Hospital Care
Vice president UEMO
2, av. Juste-Olivier
CH-1006 Lausanne
drwidmer[at]belgo-suisse.com
1 Guariguata L, Whiting DR, Hambleton I, Beagley J, Linnenkamp U, Shaw JE. Global estimates of diabetes prevalence for 2013 and projections for 2035. Diabetes Res Clin Pract. 2014;103(2):137–49.
2 International Diabetes Federation. IDF Diabetes Atlas, 7th edn. Brussels, Belgium: International Diabetes Federation, 2015.
3 Park, K. Park’s Textbook of Preventive and Social Medicine, 23rd edn. Jabalpur: Bhanot, 2015.