Troubles neuropsychiatriques dans le cadre de la démence - The Dark Side of the Moon
Troubles neuropsychiatriques dans le cadre de la démence

Troubles neuropsychiatriques dans le cadre de la démence - The Dark Side of the Moon

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Édition
2018/02
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2018.01640
Prim Hosp Care (fr). 2018;18(02):28-30

Affiliations
a Mitglied der Redaktion, Hausarzt, Ziefen BL; b Geriatriespital Felix Platter, Basel

Publié le 24.01.2018

Introduction

Je n’ai jamais fini d’apprendre. C’est une des grandes constantes de ma vie professionnelle, et je dois avouer que j’ai du mal à comprendre les personnes qui pensent détenir la vérité. D’un autre côté, il n’y a rien de plus stimulant que de rechercher l’«essence» absolue de la discipline, à notre mesure à nous, celle des médecins de famille, avec un collègue qui dispose d’une longue expérience professionnelle et d’une grande connaissance de l’évidence. Ce contexte se présente par exemple lorsqu’on est amené à préparer un atelier pour un congrès avec un spécialiste. Chers collègues, ne soyez pas inquiets et ayez confiance en vous! Au cours d’une seule heure commune, vous recevrez des impulsions que vous n’auriez sinon jamais reçues. Vous devriez à tout prix partir rencontrer le collègue en question, dans sa clinique, dans son cabinet, et le voir œuvrer sur son lieu de travail. Au préalable, notez pendant des semaines des questions émergeant du quotidien, des consultations, des établissements de soins et des cercles de qualité. Vous démarrerez alors une interview dont vous ne serez pas déçu. «Mon» référent, le psychiatre Andreas Studer, a tout au long de sa vie professionnelle travaillé non seulement dans sa discipline, mais aussi délibérément dans le service de médecine interne générale de l’hôpital gériatrique Felix Platter à Bâle. Il connait donc le quotidien du gériatre et il est donc très proche des médecins de famille.
La prémisse était d’être confronté à des situations dans lesquelles la discussion, la persuasion et tout le contexte ne suffisaient plus pour maîtriser les situations psychiatriques complexes en gériatrie. En tant que médecin de famille, je connaissais les patients depuis une éternité, et j’étais même un parent éloigné dans un des cas. Je connaissais donc généralement aussi toute la configuration familiale de ces personnes. La familiarité est une des plus belles choses dans le métier de médecin de famille, mais devient très éprouvante lorsque la situation se complique. Dans certains cas, j’ai dû avoir recours au médecin consiliaire de psychiatrie.

Exemples de cas issus de la pratique

Les exemples de cas sont partiellement déformés afin d’éviter que des personnes puissent être reconnues. Ils ont simplement pour but de montrer des constellations typiques et donner l’occasion d’aborder de façon honnête et pragmatique les incertitudes et questions.

Cas 1

Un homme veuf âgé de 90 ans a longtemps été en bonne santé et vif d’esprit et n’avait aucun gros problème hormis une coronaropathie asymptomatique. Depuis quelques années, on me rapportait des troubles croissants de la mémoire immédiate. Au contact direct, il était toutefois toujours très «présent». Désormais, il lui arrivait durant la journée de se déshabiller soudainement dans la pièce et de jouer avec son sexe. Les proches s’inquiétaient de la dignité de ce père et grand-père aimé de tous, et l’équipe soignante était aussi perturbée par son comportement. La situation menaçait d’empirer car il avait déjà été rencontré à moitié nu dans le couloir. Les proches avaient déjà prié le médecin de famille d’intervenir rapidement. Lors de l’entretien, le patient était amical mais n’était pas conscient de ses agissements. Le médecin prescrivit de la quétiapine (Seroquel®) 25 mg 0–1–1 (se réservant la possibilité d’augmenter la dose). Pour les personnes impliquées, l’amélioration n’était cependant pas assez rapide. Le psychiatre consulté prescrivit d’emblée Seroquel XR® 200 mg 0–0–1. Evolution: la dose de 200 mg de Seroquel XR® a entraîné rapidement un net apaisement. La posologie a toutefois dû être réduite après quelques semaines car le patient était devenu trop fatigué et présentait une instabilité croissante de la démarche.

Evaluation du cas par Andreas Studer

Chez un patient très âgé et dément, je ne donnerais pas d’emblée 200 mg de Seroquel XR®. Je trouve plus adapté de commencer par 2×25 mg, et j’augmenterais la dose de 25 à 50 mg tous les 2 à 3 jours. Selon les directives, dans ces cas de troubles comportementaux, les mesures de soins ont au demeurant la priorité absolue: distraction et activation, enfilage d’une combinaison de soins que le patient ne peut pas ou difficilement ouvrir seul.
Avant la prescription de médicaments psychotropes, un médicament anti-démence est indiqué (inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, mémantine, préparation à base de Ginkgo biloba).

Cas 2

Un homme de 100 ans, en maison de retraite depuis quelques années seulement et tombé en dépression pour des raisons indéterminées, ne voulait plus se lever ni manger, etc. Il était le père d’amis à moi, et je l’ai vu lors d’un remplacement pour congés. Sans conviction, je lui ai donné du citalopram 20 mg ½ –0–0 et voilà, après 2 à 3 semaines, il était redevenu la personne positive qu’il a toujours été. Effet placebo, guérison spontanée ou réel effet de l’inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS)?

Evaluation du cas par Andreas Studer

Le citalopram (ou escitalopram) est un antidépresseur adapté pour les patients très âgés (peu d’effets indésirables, peu d’interactions, demi-vie adéquate). Le temps de latence de 2 à 3 semaines plaide en faveur d’un effet pharmacologique. Une tentative d’arrêt du médicament clarifierait la situation mais serait discutable d’un point de vue médical et éthique.

Cas 3

Un patient de 99 ans, ancien technicien pointilleux et depuis toujours sujet aux tremblements, se réjouissait et redoutais à la fois son centième anniversaire. Hormis un trouble occasionnel de la mémoire à court terme, il n’était pas dément, souffrait de temps à autre de phases dépressives légères à modérées et avait déjà fait l’expérience du lorazépam (Temesta®) en tant que médicament de réserve (quelques fois par an). Au cours d’un entretien, le médecin de famille lui a proposé de faire un essai avec un anxiolytique avant le grand jour; le patient s’est ainsi vu prescrire une prise unique de 1,0 mg de lorazépam. Selon les soignants, cette posologie a hélas provoqué chez le patient un sommeil de «presque 24 heures». Voici une leçon de plus pour le médecin de famille. La journée d’anniversaire s’est déroulée sans tranquillisant, mais notre patient était à l’état de veille et a pu profiter de la fête!

Evaluation du cas par Andreas Studer

L’efficacité des médicaments psychotropes est souvent renforcée chez les personnes très âgées. Cela tient au fait que le système nerveux central réagit plus fortement chez les patients naïfs de médicament, que les mécanismes de compensation sont réduits et qu’aussi bien la demi-vie que la durée d’action sont plus longues. L’administration d’une dose d’essai est en principe une bonne approche, notamment dans le cadre d’une sédation thérapeutique (tomodensitométrie avec contraste, imagerie par résonance magnétique, dentiste, etc.). Si une anxiolyse sans sédation est souhaitée, je donnerais à ce patient une dose de 0,25 à 0,5 mg. En principe, le lorazépam est adapté pour les patients âgés en raison de sa demi-vie de durée moyenne (12–16 heures) et parce qu’aucun métabolite actif n’est formé.

Cas 4

Une patiente de 80 ans atteinte de démence sévère, souvent très nerveuse, restait agitée sous Seroquel 200 XR®. Par ailleurs, l’Association d’aide et soins à domicile rencontrait des difficultés pour procéder à sa toilette intime. Elle fut hospitalisée en raison d’une constipation massive (mal de ventre!). Nous avons appris du gastro-entérologue que la quétiapine pouvait contribuer à la constipation. Le mari et le médecin de famille ont d’un commun accord décidé d’arrêter le médicament et – oh, miracle – il ne s’est rien passé. Au contraire, la patiente allait même mieux! Quelques questions se sont alors posées: Combien de fois des patients reçoivent-ils des médicaments dont ils n’ont en réalité pas besoin ou qui n’ont aucun effet? La quétiapine provoque-t-elle la constipation? Dans quelles situations les drug holidays sont-elles indiquées?

Evaluation du cas par Andreas Studer

Selon le Compendium, la constipation est fréquente sous quétiapine, c.-à-d. qu’elle survient dans 1 à 10% des cas. Lorsque la prescription est indiquée, un laxatif peut être administré concomitamment Dans le cas présent, la constipation pourrait s’expliquer par d’autres causes: l’âge, la démence, l’immobilité, l’apport hydrique réduit, les autres médicaments et les interactions médicamenteuses. L’amélioration de la situation après l’arrêt de la quétiapine suggère que le neuroleptique n’ait eu aucune efficacité; les actions paradoxales sont pratiquement inexistantes sous quétiapine. Remarque annexe: Lors de l’administration de la clozapine (Leponex®), toujours administrer parallèlement un laxatif car la substance entraîne généralement une constipation!

Quelques questions concrètes posées à Andreas Studer, qui émergent souvent dans la pratique quotidienne

Doit-on utiliser des inhibiteurs de la cholinestérase pour traiter les troubles comportementaux chez les patients déments, et si oui, quand?
Oui, en cas de troubles du comportement, les inhibiteurs de la cholinestérase constituent la première option médicamenteuse. Toutefois, l’effet est modéré et se déploie le mieux lors d’une utilisation précoce, pour ainsi dire «prophylactique».
Mot-clé: rotation de neuroleptiques. Cela a-t-il un sens de passer à un autre neuroleptique?
Uniquement dans certains cas. L’effet est plutôt une question de dose. La dose est-elle trop faible ou trop élevée? Il faut se rappeler que la quétiapine n’est tout simplement pas si puissante (mais a en contrepartie moins d’effets indésirables). Dès lors, en cas de delirium sévère avec agitation, le classique halopéridol reste le numéro 1, mais seulement pour 3 à 4 semaines; un syndrome extrapyramidal survient à coup sûr s’il est administré sur une période plus prolongée.
Pourquoi la quétiapine est-elle si populaire? Pourquoi pas la rispéridone (Risperdal®) ou l’olanzapine (Zyprexa®)?
La quétiapine est probablement un des neuroleptiques les mieux tolérés, particulièrement en ce qui concerne le syndrome extrapyramidal. Outre son effet antipsychotique, elle a également des effets antimaniaques et antidépresseurs. A l’échelle mondiale, c’est le médicament psychotrope le plus utilisé en off-label.
Les contrôles de laboratoire sont-ils judicieux?
Je regarde toujours les valeurs de laboratoire de base, mais je détermine rarement les taux de médicament. Selon moi, la détermination des taux de médicaments devrait être réalisée dans deux indications: lors de doutes quant à l’observance et lors de survenue d’effets indésirables.
Les benzodiazépines sont-elles à éviter?
Les benzodiazépines prises sur de nombreuses années peuvent selon moi être maintenues dès lors qu’elles sont bien tolérées: elles n’entraînent pas de chutes, pas de delirium, pas de démence et l’état de vigilance est bon. Si un sevrage est nécessaire, il doit s’effectuer très lentement, sur plusieurs mois! En présence de problèmes d’anxiété, les ISRS sont en principe une bonne option, mais leur entrée en action est tardive. La quétiapine à dose plus faible est une autre option, particulièrement chez les personnes démentes souffrant de troubles anxieux.
Deanxit®: Un médicament, que nous les médecins de famille utilisons systématiquement chez les patients psychosomatiques et en cas de troubles anxieux légers (1–2 dragées par jour). Que dit le psychiatre-gériatre à ce sujet?
Deanxit® est une combinaison d’un neuroleptique très puissant (flupentixol) et d’un antidépresseur tricyclique (mélitracène). Une combinaison fixe de ces deux substances n’est pas adaptée pour les patients gériatriques (âgés et polymorbides) et peut entraîner des effets indésirables sévères (delirium, syndrome extrapyramidal, chutes).
Existe-t-il encore des indications d’antidépresseurs tricycliques en gériatrie?
Non, il n’y en a pas.
Pour terminer, une recommandation du psychiatre Andreas Studer: Lorsque la situation se dégrade à tel point que les patients sont seulement «tranquillisés» avec de hautes doses de neuroleptiques, il convient de ne pas attendre trop longtemps avant de les adresser à un service ou une clinique spécialisé en psychiatrie gériatrique.
Dr méd. Edy Riesen
Facharzt für ­Allgemeinmedizin FMH
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edy.riesen[at]hin.ch