«Hope for the Best, and Prepare for the Worst»
Comment parler avec un patient de la dégradation de son état de santé

«Hope for the Best, and Prepare for the Worst»

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Édition
2018/04
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2018.01662
Prim Hosp Care (fr). 2018;18(04):70-72

Affiliations
a Universitäres Zentrum für Hausarztmedizin beider Basel und Mitglied der Zentralen Ethikkommission (ZEK) der SAMW; b Hausarzt in Messen SO, ­Mitherausgeber Handbuch Palliativmedizin Neuenschwander/Cina 2015

Publié le 21.02.2018

De nombreux patients atteints d’une affection potentiellement mortelle ont une représentation irréaliste de l’évolution à attendre de la maladie, ainsi que des objectifs thérapeutiques. C’est pourquoi il importe de parler avec eux des incertitudes de l’affection, et de les mettre ainsi en capacité de prendre leurs décisions de manière indépendante.

Introduction

«Hope for the Best, and Prepare for the Worst»: c’est le titre d’un article publié en 2003 et signé par le prof. A.L. Back [1], oncologue de Seattle dont l’intérêt scientifique se porte sur la communication avec les personnes gravement malades. Dans cet article, Back et ses collègues présentent une technique permettant de préparer le patient à la possibilité d’une évolution défavorable de sa maladie, sans pour autant anéantir ses espoirs de voir son état de santé s’améliorer.
Il ne s’agit pas simplement d’annoncer de mauvaises nouvelles, mais de parler avec le patient des incertitudes d’une affection potentiellement mortelle. Il faut mettre les personnes malades en capacité de prendre des décisions qui sont significatives pour le traitement de leur affection. Pour ce faire, elles doivent être en mesure d’évaluer leur pronostic avec réalisme. De nombreuses personnes ont une représentation irréaliste des objectifs du traitement et de l’évolution à attendre de leur maladie [2, 3].
Les patients atteints d’une maladie potentiellement mortelle sont souvent informés relativement tôt au cours de l’affection par leur médecin, au moyen de données statistiques, sur le pronostic et l’évolution possible de la maladie. En règle générale, ces informations ne suffisent pas à prendre des décisions – souvent, les patients évitent de reparler par la suite du pronostic de leur affection, ou ont l’impression que les données statistiques qui leur ont été transmises ne s’appliquent pas à leur situation personnelle [4].
Si nous voulons aider nos patients à estimer le pronostic de leur affection en connaissance de cause, nous devons:
– Connaître l’affection et ses évolutions possibles;
– Saisir le ou les moments où le patient est prêt à avoir de telles conversations;
– Développer une compétence psychosociale et communicationnelle nous permettant de mener des entretiens sur le pronostic, mais aussi sur une évolution défavorable de l’affection;
– Être en mesure de les accompagner dans une planification anticipée du projet thérapeutique (Advance Care Planning).

Le bon moment pour un entretien

Les patients atteints de maladies potentiellement mortelles connaissent de véritables moments-clé lors desquels ils sont globalement réceptifs aux conversations concernant le pronostic de leur affection. Murray et al. [5] s’appuient sur les death trajectories décrites, en 1965 déjà, par Glaser et Strauss [6].

Maladies avec dégradation fonctionnelle rapide peu avant la fin de vie

On observe typiquement cette évolution chez les patients atteints de cancer. Chez ces personnes, une dégradation de l’état psychique survient au moment du diagnostic, après la sortie de l’hôpital suivant la première thérapie, lors d’une progression de la maladie sous traitement, et enfin, de quelques jours à quelques semaines avant la fin de vie. C’est dans ces situations que les patients sont souvent désorientés et réceptifs à des conversations approfondies. Il est alors indiqué d’avoir aussi des discussions sur l’évolution à attendre de la maladie, avec éventuellement des décisions à anticiper. Cela vaut particulièrement pour les stades de l’affection lors desquels une approche curative est encore suivie.

Affections avec dégradations fonctionnelles intermittentes

Il s’agit généralement de malades atteints de défaillance organique chronique, comme les patients souffrant d’une BPCO, d’une insuffisance cardiaque ou rénale avancée, ou encore d’une insuffisance hépatique faisant suite à une lésion du foie causée par une hépatite ou une surconsommation d’alcool. Très souvent, ces patients ne sont pas identifiés comme nécessitant des soins palliatifs, ou le sont beaucoup trop tard. C’est pourquoi bien souvent, seules les possibilités thérapeutiques sont évoquées dans la conversation, et pratiquement jamais les décisions potentielles concernant la mise en œuvre ou non de mesures de prolongation de vie. Chez ces personnes, le moment suivant une sortie de l’hôpital est particulièrement indiqué pour discuter du pronostic et des décisions qui en découlent. Il importe aussi de s’enquérir si ces patients, en cas d’une nouvelle dégradation de leur état de santé, souhaiteraient être de nouveau hospitalisés.

Affections avec dégradation fonctionnelle progressive s’étendant souvent sur plusieurs années

Sont concernées les personnes atteintes de démence, mais aussi les patients souffrant d’une affection neurodégénérative chronique évolutive. Là encore, on omet souvent de reconnaître en ces individus des patients nécessitant des soins palliatifs. Le moment décisif pour discuter du pronostic de l’affection est souvent manqué, en conséquence de quoi des décisions doivent être prises à la place du patient, rendu incapable de discernement par le stade avancé de la maladie. Avec ces personnes, il convient d’engager le plus tôt possible des conversations sur la démarche à suivre en cas d’évolution défavorable de la maladie.

Contenu d’un entretien en cas de possible dégradation de l’état de santé

On se posera d’abord quelques questions élémentaires qu’on évoquera ensuite avec le patient:
– Que pense mon patient; que comprend-il de son affection; qu’aimerait-il savoir sur son affection et l’évolution à en attendre; qu’aimerait-il planifier ou décider à l’avance?
– Sur quels objectifs (curatifs et/ou palliatifs) faut-il s’accorder dans la conversation avec le patient; y a-t-il un plan B en cas de dégradation de l’état de santé?
– Qui dans la famille doit être informé et instruit, et jusqu’à quel point?
L’expérience montre que bien souvent, les patients ne sont pas prêts du tout à accepter la nouvelle d’une dégradation de leur état de santé, ni à discuter du pronostic de leur affection. Dans de telles situations, Jackson et al. [4] conseillent en premier lieu de définir l’urgence avec laquelle le pronostic doit être évoqué et de mener un entretien individualisé avec le patient. Ce dernier a souvent besoin de temps pour s’ouvrir à de telles discussions. Le fait que les personnes gravement malades soient simultanément remplies de l’espoir de guérir et de l’angoisse d’une évolution défavorable constitue la règle plutôt que l’exception. C’est là que sont particulièrement indiquées des questions telles que «Qu’est-ce que cela signifierait pour vous, si vos espoirs de guérison étaient déçus? Y avez-vous déjà réfléchi?». Murray et al. [5] donnent quelques recommandations concrètes pour la conduite d’une tel entretien:
– «Quand un de mes patients est atteint d’une affection comme la vôtre, j’ai pour habitude de discuter avec lui du pronostic ou de l’évolution à attendre. Bien sûr, il faut se réjouir du fait que la thérapie ait fonctionné cette fois-ci; d’un autre côté, je dois réfléchir à l’éventualité où votre maladie ne pourrait plus être traitée efficacement.»
– «Aimeriez-vous en parler seul avec moi, ou voulez-vous que nous sollicitions quelqu’un parmi votre famille ou vos amis?»
– «J’aimerais profiter de cette conversation pour répertorier avec vous ce que vous aimeriez être en état de faire, aujourd’hui et à l’avenir; j’aimerais aussi évoquer votre situation actuelle, les informations dont vous avez besoin sur votre maladie, et vos réflexions et inquiétudes quand vous pensez à votre avenir.»
– «Puis-je vous demander ce qu’on vous a communiqué jusqu’à présent sur votre maladie et son évolution possible?»
– «Qu’importe-t-il pour vous d’établir ou de décider à l’avance?»
– «J’ai le souci de vous procurer la meilleure qualité de vie possible; pour atteindre ce but, j’ai aussi la possibilité de solliciter un médecin spécialisé en soins palliatifs.»
Au cours d’un tel entretien, il importe de faire régulièrement des pauses, pendant lesquelles le patient peut réfléchir à des questions et exprimer ses émotions, comme la peur ou la colère.

La planification anticipée du projet thérapeutique (Advance Care Planning)

Le contenu et le résultat des entretiens qui doivent permettre au patient de comprendre la nature et le pronostic de son affection doivent absolument être transposés dans une planification anticipée du projet thérapeutique. Le concept d’Advance Care Planning (ACP), développé au début des années 90 au Canada et aux États-Unis, se rapporte au premier chef à la planification du projet thérapeutique lors de situations d’incapacité de discernement [7], mais peut tout à fait s’appliquer à la prise en charge et à l’accompagnement de personnes ayant conservé leur capacité de discernement. Il s’agit in fine de faire en sorte que les patients reçoivent la meilleure information possible et puissent prendre des décisions de manière autonome (shared decision making) [8]. Il est primordial que, sur la base des valeurs, des préférences de traitement et des visions de l’avenir communiquées dans la conversation – surtout pour la décision «mesures de maintien de vie, oui ou non», mais aussi en vue des thérapies spécifiques et des hospitalisations – la démarche à suivre soit dans la mesure du possible établie et documentée à l’avance. Cela peut se faire sous la forme d’une directive anticipée. Mais la démarche à suivre peut aussi être documentée de manière très nuancée sous la forme d’un plan de traitement ou de prise en charge, et mise à la disposition de tous les professionnels participant à la prise en charge du patient [9]. Accessible à tous les professionnels concernés, un formulaire intitulé «plan d’urgence», dans la mesure du possible uniforme d’une région à l’autre, doit assurer que le traitement de la personne concernée respecte les souhaits du patient, y compris dans les situations d’urgence, et ce, quels que soient les professionnels impliqués et le lieu du traitement [10]. Dans l’idéal, les plans d’urgence et de traitement accompagnent le patient, et les médicaments d’urgence restent à portée de main.
PD Dr. med. Klaus Bally
Facharzt für ­Allgemeine ­Medizin FMH
Universitäres Zentrum für Hausarztmedizin beider Basel | uniham-bb
St. Johanns-Parkweg 2
CH-4056 Basel
klaus.bally[at]unibas.ch
 1 Back AL, Arnold RM, Quill TE. Hope for the Best, and Prepare for the Worst. Ann Intern Med. 2003;138:439–43.
 2 Temel JS, Greer JA, Admane S, Gallagher ER, Jackson VA, Lynch TJ, et al. (2012) Longitudinal perceptions of prognosis and goals of therapy in patients with metastatic non-small-cell lung cancer: Results of a randomized study of early palliative care. J Clin Oncol. 2011;29:2319–26.
 3 Weeks JC, Catalano PJ, Cronin MS, Finkelman MD, Mack JW, Keating NL, Schrag D. Patients’ expectations about effects of chemotherapy for advanced cancer. N Engl J Med. 2012;367:1616–25.
 4 Jackson VA, Jacobsen J, Greer JA, Pirl WF, Temel JS, Back AL. The cultivation of prognostic awareness through the provision of early palliative care in the ambulatory setting: a communication guide. J Palliat Med. 2013;16:894–900. doi:10.1089/jpm.2012. 0547pmid:23786425.
 5 Murray SA, Kendall M, Mitchell G, Moine S, Amblas Novellas G, Boyd K. Palliative care from diagnosis to death. BMJ. 2017;356:j878. doi: 10.1136/bmj.j878
 6 Glaser BG, Strauss AL. (2016) La Conscience de la fin de vie. Trad. Grimard C. et Soulet M-H. Academic Press Fribourg.
 7 Singer PA, Robertson G, Roy D. Bioethics for Clinicians. Advance Care Planning. CMAJ. 1996;15;155:1689–92; Teno JM, Nelson HL, Lynn J (1994): Advance Care Planning. Priorities for ethical and empirical research. Hastings Center Report 24; S32–36.
 8 Hammes BJ, Harter TD (2015): Philosophisch-ethische Gründe für Advance Care Planning. In: Coors M, Jox R, in der Schmitten J (Hrsg.) (2015): Advance Care Planning. Von der Patientenverfügung zur gesundheitlichen Vorausplanung. Stuttgart, Kohlhammer, S. 95–108.
 9 Cina C (2012): Solothurn – erster Kanton mit einheitlichem Betreuungsplan für Schwerkranke. Schweizerische Ärztezeitung 2012/93.
10 in der Schmitten J, Lex K, Mellert C, Rothärmel S, Wegscheider K, Marckmann G. Implementing an advance care planning program in German nursing homes: results of an inter-regionally controlled intervention trial. Dtsch Arztebl Int. 2014;111(4):50–7.