L’étude OPTICA
Étude sur l’optimisation médicamenteuse chez les patients âgés en situation de polypharmacie

L’étude OPTICA

Lehren und Forschen
Édition
2018/06
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2018.01716
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2018;18(06):100-102

Affiliations
a Institut bernois de médecine de famille (BIHAM), Université de Berne; b Clinique Universitaire de Médecine Interne Générale, Hôpital de l’Ile, Université de Berne; c Institut universitaire de médecine générale de Zurich (IHAMZ), Université de Zurich

Publié le 21.03.2018

Pour la réalisation de l’étude OPTICA sur l’optimisation de la médication chez les personnes âgées en situation de polypharmacie, notre équipe de projet nécessite la collaboration des collègues généralistes. Lors d’études comparables en Suisse et à l’étranger, le recrutement a le plus souvent posé problème à cause du faible nombre de médecins de famille participants. C’est pourquoi nous avons rendu visite en personne dans tous les cabinets de premier recours dont nous souhaitions obtenir la participation. Cela s’est avéré payant. Nous voulons ici faire part de notre expérience et encourager les chercheurs à consacrer suffisamment de temps, de ressources et de plaisir au recrutement des médecins de famille, pour une recherche efficace issue des cabinets, pour les cabinets.
La digitalisation de la médecine progresse constamment. La technicisation est fréquemment considérée avec scepticisme étant donné que le poids de la bureaucratie n’a pas diminué. C’est un constat accablant, particulièrement dans la médecine de premier recours, où une ­relation de confiance entre le médecin et le patient est primordiale. D’un autre côté, la digitalisation recèle indéniablement un grand potentiel, avec l’espoir de procédures plus légères et plus rapides, d’une plus-value pour le patient, et d’une réduction des coûts grâce à l’usage intelligent de quantités de données toujours plus importantes dans les dossiers médicaux électroniques. La forme que doit prendre ce bon usage et comment le concrétiser est une question qui nous concerne tous.
Le contrôle des prescriptions médicamenteuses assisté par ordinateur est actuellement un domaine scientifique qui fait l’objet de recherches intensives et dont on attend de grands avantages pratiques. D’une part, le résultat des études laisse entrevoir à ce jour un bénéfice clinique pour les patients qui prennent de nombreux médicaments, et pour qui le risque de prescriptions inadaptées est élevé [1]. D’autre part, les pouvoirs publics et les caisses maladie espèrent une diminution des surcoûts liés aux effets indésirables et aux hospitalisations, dont il est avéré qu’ils résultent fréquemment de médications inadaptées [2, 3]. Le contrôle des prescriptions médicamenteuses assisté par ordinateur chez les patients âgés multimorbides et en situation de polypharmacie peut-il conduire à une amélioration de la médication existante? Telle est la problématique de l’étude OPTICA (encadré 1) que mène actuellement notre équipe de recherche au sein de l’Institut bernois de médecine de famille (BIHAM). Chaque étape de ­l’optimisation médicamenteuse doit toutefois être franchie de façon autonome par les médecins de famille, afin d’assurer la meilleure adéquation possible entre l’utilisation du programme et le quotidien du cabinet.

Encadré 1: Informations générales sur l’étude OPTICA

L’étude OPTICA est une étude clinique financée par le Fonds ­national suisse, dont l’objectif est d’optimiser la médication existante des patients âgés multimorbides en situation de polypharmacie. Sont aussi étudiés les effets de l’optimisation médicamenteuse sur l’état de santé, la qualité de vie et le recours aux prestations de santé de cette même population. Pour ce faire, l’utilisation par les médecins d’un outil logiciel est comparée au traitement habituel sans contrôle supplémentaire de la prescription. Le programme génère des recommandations pour l’optimisation médicamenteuse qui, dans l’optique d’une prise de décision commune, font l’objet de discussions entre le médecin et ses patients.
40 médecins en tout sont recrutés pour l’étude OPTICA, qui associent chacun huit patients à l’étude. Pour participer à l’étude, les patients et patientes doivent avoir au moins 65 ans, être ­atteints d’au moins 3 maladies chroniques, et prendre régulièrement 5 médicaments au moins («polypharmacie»). Le recrutement des médecins a déjà commencé et sera clos au ­début de l’année 2018. Le recrutement des patients par les médecins participants est prévu à partir de mai 2018. OPTICA est dirigée au BIHAM par le Dr Sven Streit, en collaboration avec les collègues de l’Institut universitaire de médecine générale de Zurich (IHAMZ), l’Institut pour l’informatisation du cabinet ­médical (IPI), la Clinical Trial Unit (CTU) de l’université de Berne, l’université de Bâle et l’université d’Utrecht aux Pays-Bas.

Pourquoi rendre visite en personne aux médecins

Pour engager une collaboration fructueuse avec les médecins dans le cadre de l’étude OPTICA, nous avons décidé de rendre personnellement visite aux praticiens intéressés, dans leur cabinet, au lieu de simplement les contacter par téléphone, courrier ou e-mail. Parmi les environ 700 médecins contactés dans la phase de lancement de l’étude, 10% se sont montrés ­intéressés à une participation. Nous avons ensuite recontacté ces derniers pour convenir un rendez-vous en cabinet. Les cinq premières visites de ce type ont eu lieu à la mi-octobre 2017 dans le canton de Berne (fig. 1). Les mois suivants, nous avons rendu visite à d’autres médecins de famille dans les cantons de Berne, de Lucerne, du Valais et de Soleure. D’autres visites sont prévues dans les régions de Fribourg et de Zurich.
Figure 1: Une consultation un peu particulière: l’équipe OPTICA/FIRE informe et recrute les premiers médecins de famille.
Chaque médecin a reçu notre équipe de projet dans son cabinet, parfois avec une assistante médicale (AM). Les rencontres, pendant lesquelles l’étude OPTICA puis le projet FIRE (encadré 2) ont été présentés, ont duré chacune une quarantaine de minutes. Lors de ces visites en cabinet, notre équipe a pu présenter l’étude OPTICA en détails et répondre directement aux éventuelles questions. Pendant ces présentations, nous avons utilisé des graphiques pour faciliter la compréhension de la conduite de l’étude dans son ensemble. En outre, un document résumant les informations essentielles sur l’étude OPTICA et le projet FIRE a été remis aux médecins à la fin de chaque visite.

Encadré 2: Informations générales sur le projet FIRE

Le projet FIRE (Family Medicine ICPC Research using Electronic ­Medical Records) désigne un réseau de recherche regroupant des médecins de famille sous la direction de l’IHAMZ. Les médecins participants exportent régulièrement et sous forme anonyme des données médicales de routine (âge et sexe, données vitales, données de laboratoire, diagnostics et médication des patients) provenant directement des dossiers médicaux électroniques. Au moyen d’une application logicielle, le «FIRE Exporter», les données sont transférées à la banque de données FIRE pour être analysées scientifiquement. Le projet FIRE est actuellement supporté par sept solutions logicielles à l’usage des ­cabinets: Aeskulap, E-General, MEDICOwin, triaMED, Vitomed, Winmed et Elexis. Des représentants du projet FIRE sont en contact avec d’autres entreprises.
D’une part, ces données constituent le socle des feedback-­reports que reçoivent régulièrement les médecins participants. Dans ces Feedback-reports, il y a des statistiques qui reflètent le travail clinique des médecins de famille et le mettent en perspective avec l’ensemble des collègues participants. Ce socle de données peut s’avérer précieux pour les cercles de qualité et le management de la qualité au sein des cabinets. D’autre part, cette banque de données en croissance constante peut en outre servir pour des projets de recherche dans le domaine de la médecine de premier recours. Ainsi, les médecins participant au projet FIRE apportent une contribution précieuse à la recherche issue des cabinets pour les cabinets [4].
La collaboration entre le projet FIRE et OPTICA permet de charger les données nécessaires à OPTICA directement depuis FIRE jusque dans le programme de contrôle des prescriptions médicamenteuses, au lieu de perdre du temps à les transférer manuellement. Pour cette raison, la participation au projet FIRE est une condition préalable à la participation à l’étude OPTICA. C’est pourquoi les visites en cabinet visent à recruter non pas seulement pour l’étude OPTICA, mais aussi pour le projet FIRE.
Un autre avantage des visites en cabinet est la possibilité de préparer sur place les conditions pratiques à une éventuelle participation à l’étude OPTICA, qui comprend avant tout l’installation du «FIRE Exporter». Comme nous voulons limiter autant que possible la charge de travail des médecins participants, il nous semble tout indiqué de combiner ces travaux préparatoires avec l’entretien explicatif.
Lors des premières visites en cabinet, l’explication du projet FIRE aux médecins intéressés et l’installation du logiciel d’exportation étaient prises en charge par une représentante de l’IHAMZ. L’équipe de projet OPTICA peut désormais s’acquitter elle-même de cette tâche. Pendant la visite, les médecins participants, ou le cas échéant les AM, peuvent se familiariser avec le logiciel d’exportation et effectuent une première exportation de données. De manière générale, il est pour nous primordial que l’organisation de l’étude reste aussi simple et peu contraignante que possible pour les médecins participants.
Outre ces avantages pratiques, la visite en cabinet permet aux médecins intéressés de rencontrer l’équipe de projet OPTICA et de s’en faire une image exacte. Ainsi que l’expérience l’a montré, un contact personnel entre les participants et l’équipe de projet est important pour le succès futur de l’étude. Pour optimiser et mener à bien nos visites, nous nous sommes inspirés des connaissances scientifiques au sujet du recrutement des médecins de famille, provenant souvent de l’étranger (encadré 3).

Encadré 3: Conseils pour le recrutement des médecins de famille pour des projets de recherche

– Médecins de famille partie intégrante de l’équipe de recherche [5, 6].
– Investissement de temps et de ressources suffisants dans le processus de recrutement de l’équipe de recherche [8].
– Prise de contact écrite et précoce avec les médecins; rappels téléphoniques si nécessaire [5].
– Organisation de rencontres personnelles entre médecins et chercheurs [5–7].
– Explications détaillées concernant la conduite et la faisabilité de l’étude, ainsi que la confidentialité [8].
– Explication précise des tâches à effectuer par les médecins et la manière de les intégrer au quotidien du cabinet [5, 7].
– Comparaison des charges et des bénéfices d’une participation à l’étude du point de vue des médecins [5].
– Information sur les contreparties financières pour les médecins participants [10, 11].
– Diffusion d’informations concernant la conduite de l’étude [5, 8].
– Réponse aux incertitudes et aux questions spécifiques, explication des éventuels obstacles à une participation des médecins à l’étude [9].
– Octroi d’un temps de réflexion concernant la participation à l’étude [5].
– Intégration des propositions d’amélioration provenant des médecins intéressés.

Bilan des premières visites en cabinet

Les premiers jours de visites en cabinet ont été couronnés de succès. C’était pour nous une étape importante, car nous ne pouvions préjuger des réactions que nous rencontrerions dans chaque cabinet. Nous sommes très heureux d’avoir pu obtenir la participation aux projets OPTICA/FIRE de la majorité des cabinets que nous avons visités jusqu’à présent. Cet écho positif nous motive pour le recrutement des cabinets restants. En outre, forts de ces premières expériences, nous avons pu adapter nos visites suivantes afin de répondre plus précisément aux besoins des médecins. Nous avons pu régulièrement mettre à profit les retours et les suggestions recueillis.
Que ce soit pour l’étude OPTICA ou pour de futurs projets de recherche dans le domaine de la médecine de premier recours, un contact soutenu entre médecins et chercheurs est indispensable. Cet échange est la condition sine qua non de l’intégration réussie d’un projet de recherche dans le quotidien du cabinet.
Ceci étant – en ces temps de pénurie de médecins généralistes –, nous sommes conscients des contraintes supplémentaires qu’implique la participation à un ­projet de recherche. Nous essayons d’en tenir compte en étalant nos demandes dans le temps et en collaborant étroitement avec les collègues des autres instituts et organisations partenaires. Mais nous sommes reconnaissants aux collègues généralistes de prendre le temps de soutenir la recherche dans le domaine de la médecine de premier recours, afin d’assurer en Suisse une recherche efficace issue des cabinets, avec les cabinets, pour les cabinets.
Note
Pour toute question ou suggestion concernant le recrutement des médecins de famille pour l’étude OPTICA aussi bien que l’étude en général, vous pouvez nous écrire à: optica[at]biham.unibe.ch Vous trouverez des informations supplémentaires sur le projet FIRE à l’adresse suivante: www.fireproject.ch
Nous aimerions remercier tous les médecins qui nous ont déjà reçus dans leur cabinet. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir pris ce temps et nous réjouissons de notre collaboration future. Nous ­remercions également nos partenaires en Suisse et en Hollande.
Katharina Tabea Jungo, M.Sc.
Berner Institut für ­Hausarztmedizin (BIHAM)
Gesellschaftsstrasse 49
CH-3012 Bern
katharina.jungo[at]biham.unibe.ch