Case report: Fièvre de type grand huit
Case report

Case report: Fièvre de type grand huit

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Édition
2018/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2018.01729
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2018;18(08):138-141

Affiliations
a Inselspital, Universitätsspital Bern, Bern; b Mitglied der Redaktion

Publié le 25.04.2018

Antécédents et première consultation d’urgence

Une patiente de 54 ans, jusqu’ici en bonne santé, s’est présentée à notre service d’urgence en raison d’une fièvre survenant de façon récidivante depuis 2 semaines et d’asthénie. La patiente avait passé 4 semaines de vacances chez des parents au Kosovo. En ce qui concerne l’anamnèse, une toux sèche suivie d’un exanthème avec des taches rouges au niveau des bras, du décolleté et des joues étaient apparus 2 semaines avant la première hospitalisation, accompagnés d’un prurit prononcé. En raison de la fièvre, la patiente a consulté un médecin au Kosovo qui lui a injecté à deux reprises un principe actif indéfini dans le muscle glutéal. Suite à cela, la fièvre a disparu pendant 2 jours avant de revenir. Par conséquent, la patiente a alors décidé de rentrer prématurément chez elle et a consulté son médecin de famille en Suisse 11 jours avant son hospitalisation. Ce dernier lui a donné de la co-amoxicilline par voie orale, suite à quoi une amélioration des symptômes a été observée pendant 2 à 3 jours. Suite à une récidive de fièvre, la patiente a consulté 5 jours plus tard (6 jours avant l’hospitalisation) un autre service d’urgence de la région. En présence d’un taux de protéine C réactive (CRP) accru (107 mg/l), le traitement antibiotique a été modifié pour passer à la clarithromycine. Etant donné qu’une température corporelle comprise entre 37,5 et 39 °C persistait et que les paramètres inflammatoires se dégradaient (CRP 200 mg/l), la patiente fut adressée à notre service d’urgence.
Sur le plan clinique, la patiente s’est présentée à notre service d’urgence avec de la fièvre (39,2 °C); elle était hémodynamiquement stable et dans un état général légèrement diminué. L’auscultation cardiaque, pulmonaire et abdominale ainsi que l’examen neurologique se sont avérés normaux. En présence d’une obésité de degré II (IMC 37,7 kg/m2), aucune lymphadénopathie cervicale, axillaire ou inguinale n’a été palpée. L’exanthème rapporté par la patiente n’était plus du tout visible.
Les analyses de laboratoire ont révélé une élévation de la CRP (171 mg/l), une anémie normochrome normocytaire discrète et une lymphopénie discrète. La tomodensitométrie (TDM) thoracique a mis en lumière des diminutions de transparence de type infiltrat en verre dépoli au niveau des deux poumons et un épaississement des parois bronchiques. En outre, on a observé un ganglion lymphatique axillaire droit gonflé (2 cm de diamètre), un conglomérat ganglionnaire au niveau du médiastin (envergure de 7 × 3 cm; fig. 1), ainsi que des ganglions lymphatiques hilaires accentués mais non gonflés des deux côtés.
Figure 1: TDM thoracique avec conglomérat ganglionnaire médiastinal.

Commentaire

En raison de l’anamnèse relativement brève, une genèse infectieuse se trouve en tête de liste des diagnostics différentiels possibles. La toux, la lymphopénie discrète ainsi que l’épaississement des parois bronchiques et les diminutions de transparence de type infiltrat en verre dépoli révélées lors de la TDM indiquent une bronchite ou une bronchiolite. Celles-ci sont le plus souvent d’origine virale. L’exanthème et la toux sèche pourraient correspondre à une pneumonie atypique à Mycoplasma pneumoniae. Pour ce qui est du diagnostic différentiel, une maladie de Still de l’adulte serait possible en raison de l’exanthème, cela semblant toutefois improbable en l’absence d’arthrite correspondante.
Si la patiente prend des médicaments, il convient d’envisager une fièvre médicamenteuse. La lymphadénopathie médiastinale et les signes cliniques non spécifiques font également penser à une sarcoïdose de stade I. La taille du conglomérat ganglionnaire médiastinal rend toutefois plus probable une néoplasie (lymphome, métastase ganglionnaire).

Anamnèse étendue et 1re hospitalisation

La patiente a été hospitalisée pour d’autres investigations. Dans l’anamnèse réalisée avec un interprète, la patiente a déclaré ne pas souffrir de dyspnée, de douleurs thoraciques, de symptômes de refroidissement, de dysurie, de sueurs nocturnes ou de frissons. Elle a indiqué avoir perdu 1 à 2 kg au cours du mois précédent l’hospitalisation. Hormis une visite de parents au Kosovo une fois par an, la patiente n’a pas effectué de voyages à l’étranger. Elle n’a pas eu de contact avec des animaux ni de morsures de tiques. L’anamnèse de l’entourage était neutre en ce qui concerne les maladies infectieuses. L’anamnèse familiale était sans particularité. La patiente a déclaré ne pas fumer et ne pas consommer d’alcool. Elle était agent d’entretien de profession et vivait en Suisse depuis près de 20 ans.
Dans l’anamnèse personnelle, une hypertension ­artérielle et une tachycardie à complexes fins inter­mittente (très probablement une tachycardie supraventriculaire paroxystique) étaient connues et respectivement contrôlées grâce à de l’amlodipine et du métoprolol.
La lymphadénopathie a été interprétée comme étant réactive dans le cadre d’une infection virale des voies respiratoires inférieures et le traitement antibiotique a été interrompu. Les sérologies infectieuse et rhumatoïde (VIH, CMV, EBV, ANA, ANCA, facteur rhumatoïde) se sont révélées négatives; seule une bactériurie asymptomatique a été constatée (Escherichia coli avec activité BLSE). Une TDM abdominale n’a montré qu’une prolifération non spécifique de ganglions lymphatiques rétropéritonéaux de taille normale, sans signe d’affection lymphoproliférative ou de splénomégalie. Au cours de son hospitalisation, la patiente est restée afébrile. Le taux de CRP a connu une régression spontanée à 60 mg/l. Lors du 3e jour d’hospitalisation, la patiente avait retrouvé son bien-être total et insistait pour rentrer à la maison. Il a été convenu qu’un examen clinique et tomodensitométrique de contrôle serait réalisé dans 6 semaines.

Commentaire

Une bronchite virale comme cause d’une lymphadénopathie de cette ampleur semble plutôt improbable. Dans la mesure où les symptômes cliniques se sont améliorés spontanément sans traitement antibiotique, une cause bactérienne est très improbable. La mise en évidence de la bactérie Escherichia coli productrice de BLSE (béta-lactamases à spectre élargi) dans les cultures urinaires pourrait être causée par les antibiotiques précédemment administrés et n’a, en l’absence de signes cliniques, aucune valeur pathologique (colonisation). En ce qui concerne les infections nosocomiales et les germes multirésistants, le Kosovo est un pays à haut risque [1, 2]. Il est donc également concevable que la patiente ait été contaminée par le germe au cours d’un de ses séjours dans ce pays.

Nouvelle présentation aux urgences 30 jours après la sortie de l’hôpital

En raison d’une nouvelle fièvre allant jusqu’à 40 °C, la patiente s’est présentée d’elle-même à notre service d’urgence 30 jours après son premier séjour hospitalier. La patiente a déclaré ne pas avoir de toux, maux de gorge, dysurie, dyspnée, douleurs thoraciques, altérations du transit intestinal ou perte de poids, et ne pas prendre de nouveaux médicaments.
Lorsqu’elle a été interrogée, la patiente a indiqué avoir constamment ressenti des températures subfébriles avec sensation de froid depuis son dernier séjour ­hospitalier. La température alors mesurée avait été de 37,6 °C au maximum. Sur le plan clinique, la patiente s’est présentée fébrile, dans un état cardiopulmonaire compensé et dans un état général légèrement diminué. L’examen physique n’a fourni aucun élément ­aiguillant vers un foyer infectieux ou une néoplasie. Les particularités des analyses de laboratoire étaient une CRP élevée et une anémie normochrome normocytaire (tab. 1). La TDM thoracique a été répétée et a montré, par rapport à l’examen précédent, une lymphadénopathie stationnaire médiastinale et axillaire, et toujours des signes de bronchite/bronchiolite.
Tableau 1: Analyses de laboratoire de la patiente.
  1re hospitalisation2e hospitalisation
ParamètresRéférenceJour 1Jour 1
CRP (mg/l)<5 mg/l17079
Créatinine (µmol/l)45–846255
Lactates déshydrogénases (U/l)<480412369
ASAT (U/l)<352720
ALAT (U/l)<353323
Phosphatase alcaline (U/l)35–5295
GGT (U/l)<407744
Bilirubine (µmol/l)<1763
Hémoglobine (g/l)121–154 115113
Thrombocytes (G/l)140–380 213294
Leucocytes (G/l)3,5–10,06,86,2
Neutrophiles (G/l)1,6–7,404,84,06
Eosinophiles (G/l)0,02–0,400,05
Basophiles (G/l)0,0–0,150,040,04
Monocytes (G/l)0,2–0,931,051
Lymphocytes (G/l)1,1–3,500,881,03

Déroulement de la 2e hospitalisation

En raison du traitement préalable par divers antibiotiques, du précédent séjour hospitalier et de la persistance des diminutions de transparence de type in­filtrat en verre dépoli à la TDM, une pneumonie nosocomiale a été prise en considération comme diagnostic différentiel, et un traitement antibiotique par pipéracilline/tazobactam a été administré pendant 5 jours. Par la suite, des pics de fièvre allant jusqu’à 40 °C sont survenus tous les soirs. Au cours de la journée, les températures étaient le plus souvent subfébriles, et parfois afébriles. Au cours de sa 2e hospitalisation, la patiente a été afébrile pendant 6 jours consécutifs. Ensuite, le même schéma fiévreux déjà évoqué est réapparu, avec des pics de température le soir allant jusqu’à 40 °C (fig. 2).
Figure 2: La courbe fiévreuse de la 2e hospitalisation.
Les hémocultures prélevées lors de l’admission ainsi que les sérologies (Coxiella burnetii, toxoplasmose, Brucella, syphilis, Bartonella, hépatite B et C) n’ont fourni aucune indication d’infection aiguë; le traitement par pipéracilline/tazobactam a été interrompu. S’en est suivi un traitement antipyrétique symptomatique.
Une bronchoscopie avec LBA (lavage broncho-alvéolaire) a donné un résultat endoluminal sans particularité, sans mise en évidence de germes, et la cytologie du ganglion lymphatique infracarinaire réalisée par EBUS TBNA (aspiration endobronchique guidée par échographie transbronchique) n’a révélé aucune cellule maligne ou granulome.
Pour terminer, une médiastinoscopie avec biopsie ganglionnaire a été réalisée. L’histologie a mis en lumière une architecture perturbée parsemée de cellules atypiques mono- et multinuclées avec infiltrat cellulaire mixte environnant, composé d’histiocytes, de granulocytes éosinophiles et de cellules plasmatiques ainsi que de nombreux lymphocytes T réactifs (CD3). Sur le plan immunohistochimique, les cellules atypiques présentaient une forte positivité au CD30 et au CD15, pour une positivité faible à modérée au Pax5. Mise en évidence de positivité à l’EBV dans une hybridation in situ avec la sonde EBER.
Le diagnostic d’un lymphome hodgkinien classique avec un schéma de croissance interfolliculaire a été posé. Après avoir complété les examens de stadification (notamment ponction de moelle osseuse), une chimiothérapie en six cycles avec protocole BEACOPP escaladé a été administrée. La suite de l’évolution était favorable, les troubles initiaux et la lymphadénopathie avaient complètement régressé sous chimiothérapie.

Commentaire

La patiente se présente pour la seconde fois avec une fièvre persistant depuis plus de 3 semaines et une absence de cause malgré de vastes investigations, ce qui remplit les critères d’une «fièvre d’origine inconnue» [3]. En inspectant en détails la courbe fiévreuse de notre patiente, le schéma typique d’une fièvre de Pel-Ebstein se dessine. La fièvre de Pel-Ebstein se définit par une fièvre élevée pendant 1 à 2 semaines, suivie d’une période afébrile de 1 à 2 semaines [4]. Une fièvre intermittente survenant souvent le soir est présente chez env. 35% des patients atteints de la maladie de Hodgkin; avec une fréquence de 5–15%, la fièvre de Pel-Ebstein est plus rare.
Une EBUS TBNA avec cytologie est souvent inadaptée pour le diagnostic d’un lymphome car l’évaluation de l’architecture ganglionnaire est décisive pour la classification en sous-types de lymphomes. Dans une étude, la sensibilité et la spécificité de l’EBUS TBNA en cas de lymphome étaient de seulement 57% et de 100%, respectivement [6]. Dans une autre étude, l’EBUS TBNA a permis de déterminer le diagnostic et le sous-type de lymphome chez seulement 67% des patients [7]. En outre, pour d’autres analyses (par ex. cytométrie en flux, analyses de génétique moléculaire) en cas de cytologie, il y a souvent trop peu de matériel disponible.
Rétrospectivement, de nombreux aspects des signes cliniques faisaient penser au diagnostic d’un lymphome hodgkinien: la phosphatase alcaline accrue, le prurit, la fièvre de Pel-Ebstein typique et la perte de poids. En outre, l’âge de la patiente (54 ans) est proche du second pic de répartition bimodale par âge de la maladie de Hodgkin (1er pic entre 15 et 34 ans, 2e pic à 55 ans).

Take home message

– En cas de fièvre récidivante d’origine indéterminée, une anamnèse détaillée et une documentation de l’évolution de la fièvre dans le temps sont essentielles afin de restreindre le diagnostic différentiel initialement vaste et de réaliser des investigations rationnelles.
– En cas de fortes poussées de fièvre intermittentes avec des intervalles sans fièvre, il convient d’envisager une fièvre de Pel-Ebstein dans le cadre d’une maladie de Hodgkin.
– En cas de suspicion de lymphome, le diagnostic devrait être posé au moyen d’une biopsie tissulaire qui fournit suffisamment de matériel pour différentes analyses. L’excision d’un ganglion lymphatique entier ou bien une biopsie ganglionnaire généreuse constituent donc la méthode diagnostique de choix.
Dr. med. Claudia Scheuter
Inselspital Universitatsspital Bern
Freiburgstrasse
CH-3010 Bern
claudia.scheuter[at]insel.ch
1 Raka L, Zoutman D, Mulliqi G, Krasniqi S, Dedushaj I, Raka N, et al. Prevalence of nosocomial infections in high-risk units in the university clinical center of Kosova. Infection Control & Hospital Epidemiology. 2006;27(4):421–3.
2 Raka L, Mulliqi G, Dedushaj I, Krasniqi S, Gjergji T, Krasniqi A, et al. Denial, Media and Endurance in Infection Control in Kosova. International Journal of Infection Control. 2009;5(1).
3 Petersdorf RG, Beeson PB. Fever of unexplained origin: report on 100 cases. Medicine (Baltimore). 1961;40:1–30.
4 von Ebstein, W. Das chronische Rückfallsfieber, eine neue Infektionskrankheit. Berlin Klin. Wochnschr. 1887;24:565–6.
5 Reimann HA. Periodic (Pel-Ebstein) fever of lymphomas. Annals of Clinical & Laboratory Science. 1977;7(1):1–5.
6 Steinfort DP, Conron M, Tsui A, Pasricha SR, Renwick WE, Antippa P, et al. Endobronchial ultrasound-guided transbronchial needle aspiration for the evaluation of suspected lymphoma. Journal of Thoracic Oncology. 2010;5(6):804–9.
7 Grosu HB, Iliesiu M, Caraway NP, Medeiros LJ, Lei X, Jimenez CA, et al. Endobronchial Ultrasound – Guided Transbronchial Needle Aspiration for the Diagnosis and Subtyping of Lymphoma. Annals of the American Thoracic Society. 2015;12(9):1336–44.