Entretien: «Une restructuration du système de santé est nécessaire»
Série d’articles: «Organisation de l’avenir de la Médecine Interne Générale»

Entretien: «Une restructuration du système de santé est nécessaire»

Offizielle Mitteilungen
Édition
2018/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2018.01745
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2018;18(07):114-116

Affiliations
Responsable du Service de l’administration et de la communication de la SSMIG

Publié le 11.04.2018

A la fin de cette semaine, Cornel Sieber ouvrira à Mannheim le congrès riche en traditions de la Société allemande de médecine interne (Deutsche Gesellschaft für Innere Medizin – DGIM) et conclura ainsi son année de présidence auprès de la plus grande société de discipline européenne. Dans cette entrevue, Sieber, qui a grandi ici et suivi sa formation médicale à Bâle, parle des perspectives et développements en médecine interne en Allemagne et sa relation avec la Suisse.
Vous avez effectué vos études de médecine et votre formation postgraduée de spécialiste en Suisse. Vous présidez désormais une société de discipline allemande riche en traditions. En quoi vos racines suisses vous sont-elles utiles?
Cornel Sieber: Lorsque j’ai déménagé en Allemagne en 2001, je m’y suis vu confier la seule chaire de médecine gériatrique. En Suisse, la gériatrie par contre est bien intégrée et fait déjà partie du programme d’enseignement depuis longtemps et j’ai donc pu apporter une grande contribution du fait de mes expériences professionnelles accumulées en Suisse. Par ailleurs, en Suisse, nous avons toujours dû collaborer très étroitement en équipes avec une hiérarchie horizontale, peut-être du fait de la structure fédérale, de la faible superficie et des différentes régions linguistiques et cultures. Pour moi, cela est essentiel pour la collaboration interdisciplinaire avec les autres collègues, mais également avec les autres groupes professionnels tels que le personnel soignant. Et j’essaie d’implémenter cette approche dans mon domaine d’influence au sein de ma clinique ou dans des commissions de la DGIM.
Comment le développement de la médecine interne générale suisse est-il perçu en Allemagne? Cette discipline est-elle perçue et quelle est sa réputation?
CS: La Suisse a certainement la réputation de disposer d’un système de formation initiale, postgraduée et continue de haute qualité. Elle est en outre attrayante pour de nombreux collègues allemands, justement en raison de l’approche déjà mentionnée de collaboration en équipes. Le comité directeur de la DGIM porte également un regard intéressé sur la récente fusion entre la médecine générale et la médecine interne, plutôt stationnaire, au sein d’une société de discipline médicale. En Allemagne, les domaines sont beaucoup plus rigoureusement séparés et nous sommes impatients de voir comment la SSMIG parviendra à assumer son rôle de représentante des secteurs ambulatoire et stationnaire.
Au moment de votre entrée en fonction, vous avez fait remarquer que, malgré une spécialisation réussie en médecine interne, il convenait de ne pas perdre de vue l’approche holistique des patients. Que voulez-vous dire par là?
CS: A ce sujet, je cite volontiers les propos de mon prédécesseur Walter Siegenthaler, qui a été le premier Suisse à assurer la présidence de la DGIM: «Médecine interne – médecine pour l’être humain tout entier». J’ai consciemment choisi cette phrase comme devise du congrès de la DGIM.
Dans ma clinique, je n’ai par exemple pas été uniquement embauché en tant que gériatre, mais, en ma qualité de médecin-chef, j’ai aussi explicitement reçu pour mission de diriger une équipe qui examine le patient de haut en bas.
Je constate que la médecine interne stationnaire se transforme de plus en plus en une clinique spécialisée dans les différents organes, qui remplit ses lits de cas spécifiques et principalement graves. On assiste alors à une spécialisation. Mais pour les patients en médecine interne et en gériatrie, qui sont généralement âgés et multimorbides, il est toutefois encore nécessaire de disposer d’une structure qui prend en compte de manière plus globale la tâche d’accompagnement ou de coordination et adopte une approche holistique. Car dans la clinique «d’organes», la maladie en question est traitée selon les directives. Il se pose néanmoins la question de savoir que faire des sept autres maladies des patients concernés. Dans ce cas, comment les directives doivent-elles être appliquées et quels effets indésirables présentent les différents médicaments entre eux? La médecine fondée sur les preuves se heurte alors à ses limites, tant qu’elle n’intègre pas dans les décisions, outre les résultats d’études et les recommandations qui en découlent, également l’expérience du médecin et les préférences du patient. C’est pourquoi je demande d’abord toujours aux patients ce qui les gêne le plus. Ils le savent généralement très précisément. Car il m’importe toujours de maintenir la fonctionnalité et ainsi l’autonomie. Ensuite, j’essaye à partir de là d’établir un programme diagnostique et thérapeutique adapté aux patients dans l’esprit d’une approche holistique.
Au niveau européen, mais aussi en Suisse, la question se pose actuellement de savoir si la formation postgraduée pour l’obtention du titre de spécialiste doit être développée à partir d’un programme basé sur de vastes catalogues d’objectifs de formation et des matières obligatoires et s’orienter vers un apprentissage basé sur les compétences et un profil plus marqué. Que pensez-vous de ces tendances?
CS: En soi, il ne s’agit pas d’un mauvais développement. En Allemagne aussi, cette question est traitée de manière intensive au niveau fédéral. Tant qu’il existe des catalogues fixes d’objectifs de formation et des matières obligatoires, la question se pose en effet de savoir si ceux-ci sont encore d’actualité et comment ils peuvent être correctement attestés.
Une formation de qualité nécessite encore et toujours de définir clairement quelles sont les véritables compétences et quelles sont les compétences attendues. Il est donc inévitable, dans le cas d’une formation axée sur les compétences, de déterminer qui définit et développe ces compétences. Et en tant que défenseur d’une approche holistique, je plaide en faveur d’une formation la plus large possible. Il ne suffit certainement pas de dresser des checklists basées sur un minimum afin que les futurs médecins fonctionnent plus tard dans un système donné. Il est décisif de déterminer les compétences appropriées. Cela prend du temps et doit être effectué avec discernement afin de ne pas se limiter à une simple formation professionnelle. Car être médecin signifie bien plus que simplement apprendre et mettre en application des aptitudes principalement manuelles.
La SSMIG vient de lancer un projet global et une campagne de promotion de la relève en médecine interne générale. On redoute qu’en raison de la transformation de l’image de la profession, de la structure d’âge du corps médical et de l’augmentation des patients multimorbides, le besoin en spécialistes en médecine interne générale ne puisse plus être comblé en Suisse d’ici quelques années. Ce problème existe-t-il en Allemagne également?
CS: Le problème se pose de la même manière en Allemagne. A cela s’ajoute naturellement le fait que de nombreux médecins qualifiés partent ensuite à l’étranger (justement aussi en Suisse). La pénurie de relève se manifeste déjà aujourd’hui, principalement dans le périmètre d’exercice des médecins établis à la campagne. Mais dans les hôpitaux aussi – même dans les grands établissements centraux – il n’est plus si facile de pourvoir les postes. A l’avenir, ces tendances vont certainement s’accentuer. Comment y réagir? D’une part, avec le numerus clausus, il est difficile de former suffisamment de médecins, bien que de nombreux candidats attendent une place d’études. C’est pourquoi de nouvelles structures de formation s’établissent actuellement, généralement en collaboration avec d’autres pays. D’autre part, nous devons commencer très tôt à promouvoir la relève, à faire connaître notre discipline aux étudiants et les inviter à nos congrès. La DGIM a entrepris de nombreux efforts et est entre-temps devenue une société très jeune. Plus de la moitié des membres sont médecins assistants. Il existe en outre des programmes de développement, des bourses de promotion et des manifestations spéciales, tout comme en Suisse. Pour résumer: La promotion de la relève est un thème central qui ne reçoit malheureusement pas suffisamment de soutien politique. Et au train où vont les choses, le problème va encore s’accentuer dans les 10 prochaines années, et non se résoudre.
D’après vous, quelles sont les principales questions que la médecine interne doit se poser dans les prochaines années? Où percevez-vous des défis, des opportunités et des dangers?
CS: L’évolution démographique constitue certainement le principal défi. Je préfère toutefois parler de chance démographique, car il est en fait génial que nous devenions tous plus vieux. Cela implique néanmoins une restructuration du système de santé. Celle-ci commence par la prévention, puis se consacre à la gestion des conséquences de plusieurs maladies chroniques évoluant en parallèle. La médecine interne doit alors assurer assistance et coordination pour de nombreux autres domaines, notamment pour toutes les disciplines chirurgicales.
La médecine interne est par ailleurs fortement touchée par une féminisation. Les femmes choisissent volontiers la discipline de la médecine interne, probablement aussi en raison de l’approche holistique intéressante. Nous devons donc réfléchir à la manière de créer davantage de postes à temps partiel dans les domaines ambulatoire et stationnaire – d’ailleurs pas seulement pour les femmes, mais aussi pour les hommes. En effet, l’exigence d’un équilibre entre travail et vie privée est plus prononcée chez la jeune génération qu’elle ne l’était chez la mienne. Nous avons ainsi besoin d’une relève plus importante, d’un plus grand nombre de cerveaux qu’auparavant.
Enfin, nous aurons affaire à la disparité croissante entre la ville et la campagne en termes de prise en charge médicale. Tandis que les jeunes médecins sont de plus en plus attirés par les villes pour des raisons professionnelles et privées, les patients âgés multimorbides souhaitent justement rester dans leur environnement social habituel et sont peu mobiles. Pour eux, le médecin de famille local représente un contact social essentiel. Pour les pays présentant une grande superficie et une structure de prestations clairsemée, cela constitue un défi particulier.

La personne

Le Prof. Cornel C. Sieber est président 2017/2018 de la DGIM et président du 124e congrès de la DGIM, qui se tiendra du 14 au 17 avril 2018 à Mannheim. En tant que gériatre, le Prof. Sieber dirige la clinique de médecine interne générale et de gériatrie de l’hôpital Barmherzige Brüder de Ratisbonne. Il a étudié la médecine à Bâle, Vienne et Londres. C’est également à Bâle qu’il a obtenu son diplôme de spécialiste et son habilitation, après un séjour postdoctoral de 2 ans à l’Université de Yale.
Après des activités d’enseignement aux facultés de médecine de Bâle et de Genève, il a repris en 2001 la chaire de médecine interne-gériatrie de l’Université Friedrich-Alexander d’Erlangen-Nuremberg, qu’il occupe jusqu’à aujourd’hui. A Nuremberg, il a également été médecin-chef du département de médecine interne 2 (gériatrie) jusqu’en 2013 et il est jusqu’à aujourd’hui directeur de l’Institut universitaire de biomédecine gériatrique. Par ailleurs, il est actif dans diverses organisations, notamment dans la European Union Geriatric Medicine Society (EUGMS), dans le groupe de travail de l’OMS Clinical Consortium on Healthy Ageing, ainsi que dans la commission Demographischer Wandel (changement démographique) de l’Académie allemande des sciences Leopoldina en tant que membre permanent.
A l’occasion du congrès de la DGIM de cette année, la SSMIG organise une rencontre avec Cornel Sieber et invite à un apéritif de réseautage pour les participants de la Suisse le samedi 14 avril 2018 à 11 heures, dans le salon de la DGIM au Congress Center Rosengarten à Mannheim. Toutes les personnes intéressées sont chaleureusement invitées.
Veuillez consulter également le site Web du congrès de la DGIM: www.dgim2018.de
Bruno Schmucki
Kommunikation, SGAIM
Schweizerische Gesellschaft
für Allgemeine Innere ­Medizin
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