Situations d’urgence à l’écart de la civilisation
Atelier médecine en plein air

Situations d’urgence à l’écart de la civilisation

Lernen
Édition
2018/20
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2018.01813
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2018;18(20):361-366

Affiliations
Medizinisches Zentrum gleis d, Chur

Publié le 24.10.2018

Dans le cadre du congrès des médecins de famille 2018 à Arosa s’est tenu un atelier de médecine en plein air sous la direction d’Andreas Fischbacher et Edith Oeschlin, tous deux médecins de famille dans le canton des Grisons. L’objectif du cours était de transmettre des conseils et astuces simples pour gérer les situations d’urgence quotidiennes en pleine nature.

Introduction

Principe

En cas d’accidents survenant à l’écart de la civilisation, le chaos prend vite le dessus. Dans de telles situations exceptionnelles, la personne la plus expérimentée doit prendre la direction des opérations.

Sécurité

En première ligne, avant de se consacrer au blessé ou au malade, il convient d’évaluer sa propre sécurité et celle des accompagnants. C’est seulement lorsque la sécurité objective du secouriste et du blessé est garantie que les premier secours peuvent être prodigués.

Alerte

L’alerte doit être donnée le plus tôt possible. En cas de blessures simples, il convient de ne donner l’alerte que lorsque qu’il est définitivement clair que le blessé n’est plus capable de marcher ou qu’il n’est pas en mesure de venir à bout du trajet. Dans les zones reculées ou dans les montagnes, il est possible qu’il n’y ait aucun signal pour les téléphones mobiles, de sorte que le secouriste se retrouve livré à lui-même. Dans un groupe, il est idéalement possible de dépêcher deux personnes pour donner l’alerte.

Causes

Les causes des urgences en plein air sont nombreuses. Outre les accidents, les conditions météorologiques défavorables (foudre, froid, chaleur, manque d’oxygène), les morsures d’animaux et les infections, des affections (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, hémorragies) peuvent également être à l’origine d’une situation d’urgence médicale. L’évaluation s’effectue d’après l’algorithme ABC courant. Lorsque les fonctions vitales parviennent à être stabilisées, un bilan physique est ensuite réalisé afin de détecter les autres blessures/problèmes sous-jacents.
Au cours de notre atelier, nous avons volontairement mis de côté le traitement des patients dont le pronostic vital est engagé. Il convient bien entendu d’appliquer ici les recommandations et lignes directrices BLS (Basic Life Support), ALS (Advanced Life Support) et ATLS (Advanced Trauma Life Support).

Protection contre l’hypothermie

Sur de la neige ou bien un sol froid, un patient en position allongée peut rapidement tomber en hypothermie. Par conséquent, il est essentiel d’assurer une isolation thermique le plus vite possible. Le sac à dos peut ainsi être laissé sur les épaules de la victime, et un second sac à dos peut être placé sous le fessier. Il est également possible de placer une couverture en aluminium au sol, d’y déposer une veste chaude et des couvertures ou sacs à dos avant d’y placer le patient afin de l’envelopper (fig. 1). A elle seule, la couverture en aluminium – recommandée par tous –ne protège absolument pas des hypothermies, car le film métallique en contact direct avec le sol froid créé un pont thermique. Le patient peut également, le cas échéant, être enveloppé dans du film ménager, facile et pratique d’utilisation.
Figure 1: Protection contre l’hypothermie.
Envelopper le patient avec une couverture en aluminium en intercalant des vestes en duvet entre le patient et la couverture.

Traitement des plaies dans la nature

Les plaies superficielles qui ne saignent pas fortement peuvent être recouvertes et immobilisées avec une compresse la plus propre possible.
En cas de plaies qui saignent abondamment dans la nature, il convient de stopper le saignement par une pression manuelle directement sur la plaie ou bien en comprimant le vaisseau en question. Si nécessaire, un bandage compressif improvisé peut être réalisé afin de réduire au maximum la perte de sang. Pour réaliser ce bandage, il convient de faire un à deux tours serrés autour de la plaie, puis de placer un objet dur de la taille de la plaie (par ex. une pierre) sur la plaie avant de refaire des tours serrés pour immobiliser le tout. Le pouls périphérique doit encore être palpable, de manière à ce que la partie éloignée du membre ne se nécrose pas.

Traitement des vésicules

Après le nettoyage/la désinfection de la plaie (le cas échéant), la vésicule doit être recouverte et immobilisée à l’aide d’un morceau de sac plastique (côté non imprimé) ou de film alimentaire. Ce bandage plastique improvisé doit être remplacé toutes les 12 heures, et la plaie doit à nouveau être nettoyée. La plaie doit aussi régulièrement être laissée à l’air libre et n’être à nouveau recouverte que lorsque le voyage se poursuit.

Stabilisation

Dans la nature, il est difficile de mettre en œuvre un traitement. Grâce à des mesures simples, le transport ultérieur peut être facilité pour le patient et les douleurs peuvent dans une certaine mesure être contrôlées.

Immobilisation au moyen de l’attelle SAM Splint

L’attelle SAM Splint a été développée par le Docteur Sam Scheinberg, un orthopédiste américain. Cette attelle permet de stabiliser rachis cervical, coudes, poignets, doigts, genoux, bas de la jambe et pieds.
Selon les recommandations ATLS, si le patient a perdu connaissance après l’accident, il convient de toujours immobiliser le rachis cervical. L’attelle SAM Splint permet une immobilisation improvisée rapide du rachis cervical. Un premier secouriste stabilise la tête et le rachis cervical, pendant que le second secouriste glisse l’attelle plate SAM Splint sous la nuque du patient puis l’enroule autour de son cou. Ce faisant, il est nécessaire que le menton soit relevé, ce qui permet de maintenir les voies respiratoires bien ouvertes. Le premier secouriste, qui tient la tête, doit permettre ce mouvement. Le reste de l’attelle SAM Splint est enroulé autour du cou du patient. L’attelle autour du cou n’est stable qu’après avoir fait un pli de chaque côté (fig. 2).
Figure 2: Immobilisation du rachis cervical avec une attelle Sam Splint.
A: Faire glisser l’attelle Sam Splint sous la nuque pendant qu’une autre personne stabilise la tête. B: Enrouler l’attelle Sam Splint autour du cou, puis faire un pli sur le côté.
La stabilisation des membres au moyen de l’attelle SAM Splint est également simple. L’attelle doit initialement être pliée en demi-cercle afin d’obtenir la stabilité souhaitée. Idéalement, elle est placée sur le membre blessé en englobant les articulations voisines. L’attelle est dans un premier temps adaptée au côté sain et pré-modelée afin de réduire au maximum la manipulation du membre douloureux. L’attelle est alors mise en place puis fixée à l’aide d’une bande élastique ou de ruban adhésif (fig. 3). L’immobilisation dans l’attelle entraîne une réduction de la douleur. Bien entendu, des antalgiques peuvent être administrés en parallèle ou bien au préalable.
Figure 3: Immobilisation des membres avec une attelle Sam Splint.
A: Ajuster l’attelle à la jambe saine.
B: Fixer l’attelle avec une bande élastique.
Il n’est pas nécessaire d’enlever les chaussures, mais les boucles ou les lacets doivent être défaits ou desserrés. En cas de fracture ouverte, la fracture doit être recouverte dans les meilleures conditions de stérilité possibles, puis être immobilisée au moyen de l’attelle SAM Splint.

Stabilisations alternatives

L’attelle SAM Splint n’est pas adaptée pour la stabilisation de fractures du fémur. Il est possible, provisoirement, d’attacher ensemble les deux jambes.
De la même manière, la stabilisation des blessures de l’épaule au moyen de l’attelle SAM Splint n’est pas idéale. Toutefois, l’épaule peut être facilement immobilisée au moyen d’un t-shirt ou d’une veste. Pour cela, la veste (ou le t-shirt) est tirée par derrière aussi loin que possible vers l’avant, sur l’épaule blessée, et la partie inférieure de la veste (ou du t-shirt) est alors utilisée pour envelopper l’avant-bras blessé (fig. 4). Si cette immobilisation s’avère insuffisante, le patient peut dans un premier temps, avec son bras opérationnel, enfiler la veste. La manche du côté blessé est retournée vers l’intérieur et fait en outre office de rembourrage. La veste est tirée sur le bras blessé sans enfiler la manche, qui est à l’envers. Ensuite, la veste est fixée sous le bras blessé à l’aide d’une ceinture ou d’un morceau de corde (fig. 5).
Figure 4: Immobilisation de l’épaule avec un t-shirt.
Tirer le T-shirt au-dessus de l’épaule et mettre le bras dans le t-shirt retourné.
Figure 5: Immobilisation de l’épaule avec une veste.
Tirer la veste au-dessus du bras blessé, puis fixer sous le bras blessé au moyen d’une ceinture ou d’une corde.

Luxations

Luxation de l’épaule

Lorsqu’une fracture l’humérus ne peut pas être exclue avec certitude, une tentative de repositionnement est absolument contre-indiquée. Toutefois, lorsqu’il est certain qu’il n’y a pas de fracture, une personne expérimentée peut tenter un repositionnement. En cas de simple luxation, contrairement à une fracture de la tête du fémur, le coude ne peut plus être rapproché du corps et, le plus souvent, la tête démise est visible de l’extérieur. Il faut alors impérativement comparer avec l’autre côté. Il existe d’innombrables méthodes de repositionnement de l’épaule. Idéalement, il convient de choisir la méthode que l’on connaît le mieux. Le repositionnement n’est réussi que si le patient n’a plus de douleurs. L’utilisation d’une technique délicate et la confiance du patient dans l’intervenant constituent le meilleur antalgique.

Luxation du coude

Les luxations du coude sont rares et difficilement repositionnables dans la nature. Une immobilisation aussi rapide que possible puis le transport vers l’hôpital le plus proche sont donc nécessaires.

Luxation des doigts

Les luxations des doigts doivent être repositionnées sur le champ. Le plus souvent, le doigt se luxe en direction dorsale, rarement en direction latérale ou ventrale. Habituellement, le médecin entoure le doigt avec ses deux mains et étend l’articulation interphalangienne proximale (IPP) sous tension. S’ensuit la flexion de l’articulation IPP. En cas de stabilité, un simple tapotement du doigt suffit. En cas d’instabilité, la mise en place d’une attelle dorsale est indiquée.
Pour toute blessure de la main, les bagues doivent être enlevées le plus rapidement possible, tant que la tuméfaction n’est pas encore trop volumineuse (fig. 6)!
Figure 6: Retrait d’une bague.
A: Un fil d’environ 60 cm est glissé sous la bague. B: Tenir le fil avec une main et enrouler précautionneusement le fil autour du doigt en dessous la bague avec l’autre main. C: La partie inférieure du fil est ensuite bloquée et la bague peut être lentement retirée de l’articulation médiane en tirant sur la partie supérieure du fil.

Luxation de la hanche

Les luxations de la hanche sont très difficiles à repositionner. La personne touchée devrait donc être transportée sans délai à l’hôpital.

Luxation de la rotule

Les luxations de la rotule sont relativement fréquentes. Pour procéder au repositionnement, le genou peut être étiré, tandis que la rotule est simultanément repositionnée par une légère pression latérale. Ensuite, on procède à la stabilisation de l’articulation du genou.

Luxation de la cheville supérieure

Les luxations de la cheville supérieure sont le plus souvent associées à une fracture complexe et doivent être repositionnées et immobilisées au plus tôt afin d’éviter des lésions supplémentaires des tissus mous. Le patient est maintenu par un premier secouriste, le second secouriste prépare l’attelle SAM Splint sur la jambe saine. Il saisit alors le pied avec les deux mains, au niveau du talon et de la pointe, et tire progressivement et fort, mais sans à-coups, dans la direction de la luxation puis dans le sens longitudinal de la jambe (fig. 7). Après un repositionnement réussi, le pied est immobilisé dès que possible. Si un repositionnement est impossible, aucun nouvel essai ne doit être entrepris, mais le pied doit être bien immobilisé dans la position luxée et le patient doit être évacué au plus vite.
Figure 7: Luxation de la cheville supérieure.
A: Bien tenir le patient.
B: Repositionnement par traction.

Techniques de transport

Technique du sac à dos

Un patient qui est conscient peut être porté à l’aide d’un sac à dos sur de courtes distances. Il convient alors de choisir le sac à dos qui a les plus longues lanières. Le patient s’insère à l’aide du porteur dans les bretelles du sac à dos, dont les lanières doivent être relâchées au maximum. Ensuite, le patient tire le sac à dos le plus haut possible au-dessus de ses hanches. Le porteur enfile les bretelles et se soulève; il peut pour cela avoir besoin de l’aide d’une seconde personne. Sinon, il peut également se relever en s’aidant d’arbres, de barrières ou de pierres. Idéalement, il rembourre en plus ses épaules avec des gants, un bonnet, etc. Le sac à dos peut rester rempli pour autant que le poids ne soit pas trop important. Le patient vient se positionner au-dessus des épaules du porteur (fig. 8). Idéalement, le porteur referme la ceinture abdominale sous les jambes du patient, afin que le poids repose sur les hanches. Le patient peut continuer à porter son sac à dos.
Figure 8: Technique du sac à dos.
Le patient doit être au-dessus des épaules du porteur.

Technique de la corde

A l’aide d’une corde, il est possible de fabriquer en quelques minutes un système de portage pratique. A cet effet, il convient de former un anneau avec la corde puis de le diviser en deux ou alors de placer la corde au sol en formant un huit. Le patient monte dans l’anneau de corde et remonte la corde jusqu’à ses hanches. Le secouriste charge le poids; lors du soulèvement, il doit toujours plaquer la corde contre le cou afin qu’elle ne glisse pas sur les épaules. Le nœud de corde doit se situer dans le dos du patient (fig. 9). Attention: La taille de l’anneau de corde doit être adaptée à la taille corporelle du porteur et du patient.
Figure 9: Technique de la corde.
A: Disposer la corde en forme de 8 sur le sol, le patient doit mettre une jambe dans chaque boucle. B: L’intervenant remonte les boucles au-dessus des épaules. C: Le nœud de la corde doit être dans le dos du patient.

Civière de sacs à dos

Les patients inconscients ne peuvent pas être transportés avec les méthodes susmentionnées. Pour cela, une civière faite de sac à dos est adaptée; elle se réalise à partir de trois à quatre sacs à dos. Les sacs à dos ne doivent pas être vidés; un remplissage avec des objets mous est même idéal (vêtements rembourrés, etc.). Seuls les objets pointus ou les bouteilles dures doivent éventuellement être enlevés. Les sacs à dos sont placés au sol côte à côte et liés entre eux par leurs sangles. Pour cela, les sangles doivent être relâchées et si nécessaire, les coutures de blocage doivent même être coupées. Les ceintures abdominales sont laissées ouvertes. La civière est mise en place au plus près du patient; ce dernier est ensuite placé directement sur la civière de sacs à dos en le soulevant par ses habits ou au moyen de la technique du pont, puis il est immobilisé à l’aide des ceintures abdominales laissées ouvertes (fig. 10).
Figure 10: Civière de sacs à dos.
A: Relier les sacs à dos entre eux.
B: Mettre le patient en bloc sur la civière de sacs à dos.

Résumé

Sur le terrain, les événements imprévus peuvent rapidement conduire à une situation de stress intense. Grâce à des mesures simples, les blessés peuvent être soignés de façon provisoire sur le terrain avant d’être évacués. Il est essentiel de garder la tête froide car le matériel à disposition peut permettre d’accomplir beaucoup de choses. La créativité ne doit connaître presque aucune limite, les situations exceptionnelles requérant des mesures exceptionnelles.
Un grand merci à Urs Wiget pour sa relecture critique, ses compléments et diverses photos.
Dr. med. Edith Oechslin-Decurtins
Fachärztin FMH ­Allgemeinmedizin
Medizinisches Zentrum gleis d
Gürtelstrasse 46
CH-7000 Chur
E.Oechslin[at]mez-chur.ch
1 Brunello A, Walliser M, Hefti U. Gebirgs – und Outdoormedizin. Erste Hilfe, Rettung und Gesundheit unterwegs. 2011, 2. Auflage.
2 Hefti U, Walliser M, Fluri P, Walter D. Erste Hilfe für Wanderer und Bergsteiger. 2016, 4. völlig überarbeitete Auflage.
3 Wiget Urs, divers exposés.
4 Zafren K, Wiget U. Expedition Self-Rescue and Evacuation. In Bledsoe GH, Manyak MJ, Townes, DA. Expedition and Wilderness Medicine. Cambridge University Press: New York, 2009.