Les limitations – une hérésie de la politique tarifaire
Sondage mfe sur l’application du tarif

Les limitations – une hérésie de la politique tarifaire

Offizielle Mitteilungen
Édition
2018/18
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2018.01826
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2018;18(18):314-316

Affiliations
Secrétariat administratif mfe

Publié le 26.09.2018

mfe avait explicitement mis en garde contre les nouvelles limitations du tarif, qui restreignent le travail au cabinet, et ce il y a déjà longtemps. Les résultats de notre sondage sur l’application du tarif, mené auprès des membres montrent que ces déclarations étaient plus qu’un simple bras de fer de politique tarifaire. La conclusion est tirée aussi rapidement que simplement: les limitations compliquent le travail quotidien au cabinet et mettent en péril des objectifs essentiels de la politique de santé.

Le Tarmed 1.09_BR est en vigueur depuis le 1er janvier 2018. Il a été adopté par le Conseil fédéral qui souhaitait, par le biais de cette intervention, corriger différents points du tarif ambulatoire qui, comme tout le monde s’entendait pour le dire, n’était plus approprié. Le Conseil fédéral laissait dans le même temps entrevoir la perspective d’une économie potentielle de 400 millions de francs par an. Il a nivelé les écarts qui existaient jusqu’alors au niveau des valeurs intrinsèques – une correction que mfe réclamait depuis des années aux partenaires tarifaires – et a réduit de nombreuses prestations de différentes spécialités. D’autres corrections ont cependant amené les médecins de famille et de l’enfance à craindre que l’intervention tarifaire ait des répercussions négatives, notamment le renforcement massif des limitations, c’est-à-dire la restriction de ­différentes prestations. mfe s’est toujours opposée avec véhémence à de tels rationnements, renvoyant aux répercussions négatives sur la prise en charge médicalement indiquée des patients, sur la collaboration avec l’entourage du patient (avant tout chez les personnes âgées, les ­individus souffrant d’affections psychiques et les enfants), et surtout sur le rôle de coordinateur du médecin de famille, qui est exigé de toutes parts (mot-clé: «interprofessionnalité»).

Bilan semestriel solide grâce à un bon taux de réponse

Au moyen d’un vaste sondage mené auprès de ses membres, mfe voulait, près de 6 mois après l’introduction du nouveau tarif, découvrir de quelle façon l’intervention tarifaire se répercute sur la pratique quotidienne, quels sont les problèmes qu’elle pose et de quelle façon les cabinets y réagissent, c’est-à-dire découvrir s’ils prennent oui ou non contact avec les caisses-maladie en cas de problèmes relatifs aux limitations, comme cela est prévu par les autorités et les assureurs. Près de 1400 membres de toute la Suisse ont participé au sondage. Ainsi, nous pouvons aujourd’hui dresser un premier aperçu solide de la façon dont l’intervention tarifaire se répercute sur la pratique quotidienne et influence le travail des médecins de famille.

Un médecin de famille et de l’enfance sur deux touché par des répercussions négatives

Près de la moitié des participants (46,0%) ont indiqué avoir déjà rencontré des problèmes avec le nouveau tarif après quelques mois seulement. Nous pouvons supposer que la «véritable ampleur» de l’intervention ne sera perceptible que plus tardivement, lorsque nous aurons un aperçu sur une plus longue période, c’est-à-dire lorsque les périodes de limitation seront arrivées à échéance, comptabilisées et évaluées. Dans les faits, la proportion de médecins rencontrant des problèmes pourrait aujourd’hui déjà être plus élevée. Par ailleurs, ne pas avoir de problèmes peut également signifier que l’on s’est vite accommodé de la situation, que l’on ne fournit plus ces prestations ou qu’on les facture autrement.

Limitation des prestations en l’absence du patient: un problème central

Le sondage le confirme: le principal problème auquel les médecins de famille et l’enfance doivent faire face dans la pratique est celui des limitations (fig. 1). Parmi les répondants, 86,2% y voient un problème relativement grand ou majeur. La suppression des prestations à l’acte pose également de grands problèmes à près de la moitié d’entre eux (49,4%). Ici, la question la plus sensible est celle des limitations des prestations en l’absence du patient (fig. 2). Pratiquement tous les médecins de famille et de l’enfance y sont confrontés dans la pratique quotidienne, et cela pose un problème relativement grand ou majeur à 87,4% d’entre eux. De plus, près de la moitié des médecins se battent avec le temps de consultation limité. En comparaison, les limitations relatives à l’examen posent certes moins de problèmes. Néanmoins, plus d’un médecin sur trois doit ici aussi se battre avec les nouvelles directives.
Les limitations ne sont pas seulement perçues comme un grand problème, elles affectent aussi le travail de pratiquement tous les médecins de famille et de l’enfance très fréquemment: près de deux tiers d’entre eux (62,6%) indiquent être en prise avec de telles difficultés quotidiennement et 32,2% au moins une fois par semaine.
Figure 1: Points les plus problématiques de l’application du tarif.
Figure 2: Points les plus problématiques des limitations.

Le travail gratuit et le report sur d’autres positions masquent les problèmes

Les résultats du sondage indiquent que l’intervention tarifaire a également de vastes conséquences non prévues. Les problèmes tarifaires sont parfois réglés (fig. 3) de la façon suivante: soit a) les prestations apportées ne sont pas facturées (30,2%, soit près d’un tiers des médecins de famille et de l’enfance!), ce qui signifie que les médecins «paient» eux-mêmes les conséquences de l’intervention tarifaire, soit b) les prestations sont reportées sur d’autres positions (41,6%), contrairement aux recommandations de mfe. Il s’agit là des deux chemins de moindre résistance. Seuls 2,0% indiquent emprunter le chemin laborieux prévu par les autorités et prendre contact avec les assureurs en cas de problème. Toujours est-il que près d’un cinquième des médecins de famille et de l’enfance facturent des prestations alors que la limitation est déjà atteinte et attendent la réaction de l’assureur.
Figure 3: Gestion des répercussions négatives de l’intervention tarifaire.
Cet aperçu de la situation actuelle nous montre qu’avec l’introduction des limitations, les autorités et les assureurs créent de mauvaises incitations. Cela donne naissance à une frustration chez tous ceux qui continuent d’exercer la médecine comme avant pour le bien de leurs patients et essuient eux-mêmes les répercussions tarifaires négatives en apportant des prestations gratuites. Ou alors, les médecins se rabattent sur d’autres positions afin d’être rémunérés pour des prestations médicales qui sont nécessaires au bien des patients. Dans les deux cas, le tarif n’est pas représentatif des prestations médicalement indiquées et apportées par les médecins de famille et de l’enfance. Conséquence: le tarif provoque exactement l’inverse de ce qu’il était censé faire. Dans le domaine de la médecine de famille, il n’est pas plus approprié mais plus éloigné de la réalité et il entrave le travail médical qu’accomplissent les médecins de famille et de l’enfance avec leurs patients et l’entourage de ces derniers, ainsi que la collaboration avec les autres groupes professionnels.
À la question concrète de l’ampleur générale de ce «travail gratuit», 75% des répondants ont indiqué qu’il leur arrivait régulièrement de ne pas facturer les prestations apportées. Nous voulions des informations encore plus précises et avons donc demandé combien de temps (en minutes) cela représentait approximativement par jour: en moyenne 49 minutes (1er quartile = 30 minutes, médiane = 45 minutes, 3e quartile = 60 minutes).

Seul un dixième des médecins règlent les problèmes avec les assureurs

La recommandation des autorités, c’est-à-dire solutionner les problèmes avec les assureurs, ne fonctionne pas dans la pratique. Au vu des cabinets surchargés, il paraît en effet plausible qu’une grande partie des médecins de famille et de l’enfance ne soit pas prête à accepter cette charge administrative supplémentaire avec les assureurs et cherche donc d’autres voies. Le pourcentage de médecins qui n’ont encore jamais cherché de solution avec les assureurs en cas de problème se porte à 89,1%. Nous savons également à partir d’autres contextes que ceux qui ont essayé n’ont obtenu des réponses positives que rarement (par ex. un assouplissement des limitations spécifique à un cas).

Résumé: les limitations sont un non-sens à bien des égards

Le bilan intermédiaire, 6 mois après l’entrée en vigueur du nouveau tarif, confirme ce que nous redoutions: les limitations des soins médicaux de base instaurées avec le nouveau tarif sont un non-sens à bien des égards:
– Elles compliquent fortement le travail quotidien des médecins de famille et de l’enfance avec leurs patients, ainsi que leur environnement.
– Elles entravent la collaboration interprofessionnelle souhaitée et impérativement nécessaire ainsi que le rôle de coordinateur des médecins au lieu de les promouvoir.
– Elles rendent le tarif moins approprié, car il ne représente pas la médecine telle qu’elle est exercée quotidiennement par les médecins de famille et de l’enfance pour le bien de leurs patients.
– Elles entraînent une charge administrative supplémentaire ainsi qu’une frustration perceptible de la part des médecins de famille et de l’enfance.
– Elles peuvent conduire à d’importantes pertes de revenus, en particulier dans les cabinets spécifiques (avec de nombreux patients requérant une prise en charge intensive, à savoir les personnes âgées, les enfants et les patients présentant une affection psychique), car les prestations ne sont (peuvent) pas être facturées, et ce dans une mesure considérable.
– Elles créent de mauvaises incitations et faussent l’application du tarif, avec comme conséquence probable la nécessité d’autres interventions.
– Elles sont un rationnement masqué qui a pour effet que les patients ne reçoivent plus le traitement dont ils auraient en réalité besoin pour des raisons de santé.
– Elles rendent la médecine de famille moins attractive, car le libre exercice de la profession est entravé par des directives politiques et économiques.
Nous souhaitons ici attirer votre attention sur le fait qu’il est ­essentiel que le tarif soit employé comme cela est prévu et que vous continuiez à partager vos expériences avec nous. Le plus simple est de nous envoyer un e-mail à l’adresse tarif[at]hausaerzteschweiz.ch. 
mfe prend ces retours très au sérieux, luttera avec véhémence contre les limitations, comme elle l’a déjà fait par le passé, et s’engagera pour un tarif approprié, qui représente nos prestations correctement. Nous vous prions en outre d’informer les assureurs en cas de problèmes afin qu’ils apprennent directement comment les limitations se répercutent. mfe a mis un modèle de lettre à la disposition de ses membres.
Sandra Hügli-Jost
Responsable communication, mfe – Médecins de famille et de l’enfance ­Suisse,
Secrétariat général
Effingerstrasse 2
CH-3011 Berne
sandra.huegli[at]medecinsdefamille.ch