Qu’apporte l’attestation de formation complémentaire de l’ASMMP?
Recherche qualitative préliminaire auprès de 10 porteurs de titres

Qu’apporte l’attestation de formation complémentaire de l’ASMMP?

Lehren und Forschen

Publié le 20.11.2018

Notre question: après 20 ans d’offre de formation et plus de 500 certificats ASMPP décernés, quel fut vraiment l’apport de ces cours pour les participants?

Introduction

Nous sommes tous deux (Pierre Loeb et Daniel Widmer) rédacteurs de Primary and Hospital Care et engagés dans la fondation des instituts de formation complémentaire, BIPM (Basler Institut für Psychosomatik) à Bâle et respectivement IRFMPP (Institut Romand pour la Formation en Médecine Psychosomatique et Psychosociale) à Lausanne/Genève. Pour donner l’envie à d’autres d’entreprendre une étude représentative par questionnaires auprès de tous les membres, nous avons mené une recherche qualitative préliminaire auprès de 10 porteurs de titres.
Quelques mots sur le curriculum du certificat: les ­instituts de formation complémentaire de l’ASMPP (Académie Suisse de Médecine Psychosomatique et Psychosociale) organisent des cours de médecine ­psychosomatique et psychosociale de 2 ans en cours ­d’activité professionnelle (parfois reconnus comme Certificate of Advanced Studies, CAS, universitaires) et qui donnent droit à 320 crédits sur les 360 exigés par la FMH pour l’obtention du titre. Les 40 crédits restant sont accomplis soit par une thérapie personnelle, l’expérience personnelle ou la supervision individuelle. Les instituts sont indépendants, répondant tous aux directives de l’ASMPP garantissant le titre FMH. La plupart des instituts ont mené jusqu’à aujourd’hui une ­dizaine de cours et décerné plus de 500 titres. Les instituts et les institutions stationnaires accréditées par l’ASMPP organisent la formation continue.

Méthodologie

Il s’agit d’une étude par entretiens téléphoniques de 5 médecins de famille romands et 5 alémaniques, durant entre 15 minutes et une demi heure, et basés sur une grille de questions débutant par des questions ouvertes suivies de questions de relance (cf les annexes qui sont sur le website du journal, www.primary-hospital-care.ch). L’échantillonnage est raisonné (purposive sampling) à partir de la liste des porteurs de titre, prenant comme critères l’âge, le sexe, le lieu d’installation (ville-campagne), la date d’installation et la date de la formation complémentaire. Un médecin qui n’a pas complètement terminé sa formation a été inclus. Évidemment nous ne prétendons pas avoir atteint la saturation des données avec seulement 10 interviews. Nous avons limité notre échantillonnage à 2 instituts de formation (BIPM et ­IRFMPP) sur les 4 en Suisse en plus IHM (Institut für Humanwissenschaftliche Medizin, Institut de Formation de Zurich) et IPSISO (Istituto Ticinese di formazione in Medicina Psicosomatica e Psicosociale, Institut de Formation Tessin). Nous n’avons interrogé que des médecins de famille, puisque c’est eux qui sont en majorité les porteurs de titre, même si la formation est transversale et ouverte à toutes les spécialités. Il est bien clair que par une recherche qualitative nous ne recherchons pas la représentativité mais la variété et la richesse des réponses. Les enregistrements des entretiens ont été transcrits (verbatim cf annexes) et une première analyse manuelle a été réalisée par Pierre Loeb sur les verbatim en allemand avec la construction d’une première liste de codes intégrée ensuite après accord (intercoding agreement) dans un fichier MAXQDA (logiciel d’analyse de la recherche qualitative: www.maxqda.com) par Daniel Widmer pour la suite de l’analyse. Les codes ont été regroupés en thématiques (axial coding). On peut voir ce travail d’analyse sous forme d’un Power Point dans les annexes.

Résultats

Nous nous limiterons aux résultats. La discussion fera l’objet d’un autre article. On s’est efforcé dans un premier temps de souligner les divergences et ensuite les convergences. Les citations sont dans la langue originale. Les chiffres entre parenthèses correspondent à la liste du dia 2 du PPP sur la version online.

Divergences

Comme toujours en médecine de famille, il y a une grande variété de pratiques et les médecins intègrent différemment leur formation en psychosomatique dans leur activité professionnelle. Tous d’ailleurs ne publient pas leur titre et certains se montrent sélectifs: «sur les ordonnances mais pas dans le bottin» (8). Il y a ceux qui créent des plages spécifiques pour les consultations psychosomatiques: les «Randstunden» (6). ­Certains font une médecine différente qui sélectionne des patients particuliers «qui bougent peu» et créent des «consultations un peu fermées, à huis clos» (8). Certains tendent à se spécialiser et sont connus de leur confrères qui leur envoient des patients difficiles qui prennent du temps (10). D’autres n’ont rien changé à leur consultation de médecine générale et intègrent la psychosomatique dans toute consultation (9), comme une «tournure d’esprit» (5), naturellement. D’autres sont explicites et ne veulent pas être surchargés de cas trop lourds (3, 8). «Ich glaube nicht, dass sich die Psychosomatik als eigenes Gebiet etablieren und abkapseln soll ...» (3), dit un des collègues. Un autre pense qu’à l’avenir la formation devrait s’adresser à tous les médecins (2).
La formation vise le «professionnalisme» et défend des compétences et des valeurs: «mettre l’humain au centre» (5). Elle est un rempart aux dérives sociétales du contrôle et de la mesure omniprésents qui épuisent les gens dans leur course à l’amélioration (5). Elle ­protège aussi des excès de la médecine technique (6) et de la spécialisation qui «saucissonne» (4) les patients. Cette formation doit se faire connaître pour «donner envie aux médecins» (7) de la faire. Elle doit prendre un rôle politique de défense «d’une certaine médecine humaniste» (5), malgré le constat d’un collègue que «die Entwicklung ... geht nicht in diese Richtung» (1).
Différentes façons aussi de mener sa supervision (pour obtenir les crédits de recertification), individuelle (4) ou en groupe, par groupe Balint (2), par cercle vidéo (9), par des groupes de pairs (8), par les contacts avec un psychiatre (2), par toute forme de formation continue reconnue par l’ASMPP (4), y compris des formations internationales comme le congrès Balint d’Annecy (8), par l’enseignement aux étudiants où l’on exerce la communication (4). Quelques uns n’ont pas encore trouvé le temps de suivre une supervision (1, 10). Balint semble surtout mentionné par les Romands.
Les compétences, les techniques acquises par les porteurs de titres et leur expérience, voire leurs intérêts varient. Santésuisse aborde aussi de ce fait des psychosomaticiens (8, 9), qui se sentent toutefois une certaine légitimité conférée par le titre: «Le fait d’être porteur de titre m’apporte une certaine forme de légitimité interne, il me donne certaines compétences... pour m’occuper des patients difficiles...» (5).
Différentes visions des besoins pour la formation continue. Une vision privilégiant la conservation des valeurs face au monde de l’efficacité (8) est à mettre en perspective avec celle qui vise l’acquisition de nouveaux outils (10) pour faire face à l’anxiété croissante générée par les facilités numériques (8). La formation devrait aussi se préoccuper du burn-out des médecins: «Je crois qu’on est de plus en plus à risque en s’exposant comme ça particulièrement dans la rencontre avec les patients» (8). Il faut promouvoir la bienveillance: «J’ai toujours trouvé que, avec mes confrères qui ont la formation, on est bienveillant l’un envers l’autre et ce n’est pas cette critique... facile des confrères...» (6). On appelle à plus de possibilités de supervision, même «simplement s’adresser, présenter un cas même par téléphone à un ­superviseur qui peut nous guider un peu» (6). Enfin certains collègues souhaitent placer la psychosomatique au coeur de la médecine intégrative avec des médecines d’ailleurs (8).

Convergences

Si l’on en vient maintenant aux considérations communes à nos confrères interrogés, en comparant l’avant à l’après formation, on mentionne le fait de se sentir renforcé, plus sûr, légitimé, «conforté» (4) dans sa manière de travailler, d’avoir trouvé un «accès aux angoisses et aux somatisations des patients» (3), ceci dans les situations difficiles: «Je trouve, j’imagine que nous prenons en charge des situations plus complexes et plus lourdes en termes de charges émotionnelles personnelles…» (8). On note aussi le sentiment d’avoir acquis des outils (1, 5, 10). Tout cela implique que l’on consacre plus de temps aux patients (1, 6) mais qu’ainsi on sélectionne des patients difficiles (8) et que l’on doit affronter la paperasse (8). Après la formation, certains médecins se sentent différents, sont moins impatients (10), et trouvent plus de plaisir au travail: «Ich habe vorher relativ viel Ärger gehabt und gemerkt, dass bei mir da etwas nicht stimmt und habe im Psychosomatikkurs Lust gekriegt, dahinter zu sehen, was da ist ...» (10). Le sentiment d’appartenance à une communauté professionnelle vient en premier: «ein Netz das sich ergibt» (3). Une plus grande légitimité déjà mentionnée, une plus grande liberté face aux menaces futures du Tarmed (7), pour travailler en utilisant le temps nécessaire au ­patient (9), le sentiment de faire une meilleure médecine, parce qu’on communique mieux (9), qu’on prend du temps (4), qu’on trouve la dimension cachée (9) et qu’on est créatif (7). Des compétences particulières sont acquises pour des situations spécifiques: «All­gemein gebe ich den Patienten viel mehr Zeit, zum ­Beispiel am Anfang für die Ouverture, und nehme mich immer wieder bewusst zurück. Ich habe viel mehr Erklährungsmöglichkeiten für die Patienten zum Beispiel auch für medical unexplained symptoms» (10). Cette démarche est à la fois humaniste (7) et globale (8). Il y a aussi des effets sur soi-même: le plaisir (7), l’intérêt (1), un appui contre «l’épuisement professionnel et émotionnel autour des situations super lourdes» (8), moins de stress (4), plus de sûreté (6). Le médecin qui a fait la formation se connaît mieux: «Diese Weiterbildung hat in erster Linie mir selber sehr viel gebracht, um mich selbst besser zu verstehen, wie ich reagiere ...» (1). Sa famille en bénéficie aussi: «Ja, das habe ich einmal an einem Abend als Feedback erwähnt, dass ich gelernt habe, Konflikte auch in meiner Beziehung mit meiner Frau konstruktiver anzupacken» (1). Et un autre de noter comme sa prise en charge en soins palliatifs a gagné par cette formation, dans le souci qu’il a des proches: «Wo ich besonders profitiere – und auch die Angehörigen das zurückmelden – ist im pallaitiven Sektor. End-of-life, da profitiere ich ­extrem … z.B. mit der Vermittlung von Bad News, Beschprechungen mit Angehörigen – da erhalte ich viel gute Rückmeldungen anch von Pflegepersonen die den Umgang den ich in solchen Situationen habe sehr schätzen. Das ist alles Psychosomatikkurs bedingt» (9).
La formation n’entraîne pas de conséquences financières importantes ni dans un sens ni dans l’autre selon les médecins interrogés. Tous mentionnent l’importance de la position tarifaire et l’aide qu’elle apporte pour accomplir ce travail spécifique. En bref un sentiment général de satisfaction tant pour la formation, le quotidien professionnel que pour l’activité politique de l’ASMPP. Pour les souhaits, il y a une volonté générale de faire connaître cette formation aussi bien vers le public (7) que vers les collègues (2).

Conclusion

Nous avons eu un grand plaisir d’interviewer nos 10 collègues et d’analyser leurs réponses. Les résultats les plus importants et les plus réjouissants pour nous consistent en leur appréciation positive: la formation leur permet d’exercer leur art comme ils l’ont toujours souhaité, elle leur apporte un gain de satisfaction aussi bien dans leur travail que dans leur vie privée et pour leurs patients. Ceux qui font des supervisions se réjouissent du consensus acquis dans un cadre intime et qui leur permet de discuter des relations médecin - patient difficiles. Le groupe Balint semble le mode de supervision le plus utilisé en Romandie.
Grâce à la position tarifaire spéciale pour les porteurs de titre, les collègues ont un sentiment de légitimité même si parfois ils doivent rendre des comptes.
Nos collègues interviewés considèrent tous l’importance du facteur temps et que le fait de ne pas être limités à 20 minutes de consultation leur offre le cadre ­nécessaire à la relation, permettant la mise en oeuvre de leurs compétences de façon efficiente.
Indication
L’ensemble des interviews ainsi qu’un tableau sur le développement de la psychosomatique en Suisse se trouvent dans la version online de cet article, sous www.primary-hospital-care.ch.
Nous remercions nos collègues qui ont accepté de participer à cette étude et de publier les verbatim de leur interview sur le site du journal: Beatrice Huth, Pierre Etienne, John Evison, Marie-Madeleine ­Friberg, Isabelle Marguerat, Sébastien Martin, Simone Schlegel, ­Karin Rudaz Schwaller, Paul Wernly, et Matthias Wildbolz.
Dr. med. Pierre Loeb
Facharzt FMH Allgemeine
Innere Medizin
Psychosomatische und
Psychosoziale Medizin
SAPPM
Dozent und Supervisor
BIPM/SAPPM
Winkelriedplatz 4
CH-4053 Basel
loeb[at]sunrise.ch

Dr méd. Daniel Widmer
Médecine interne générale
Médecine psychosomatique
et psychosociale ASMPP
Chargé de cours IUMF PMU UNIL
Vice president UEMO
2, av. Juste-Olivier
CH-1006 Lausanne
drwidmer[at]belgo-suisse.com