Le cercle vicieux
Skill Training 1

Le cercle vicieux

Arbeitsalltag
Édition
2020/01
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2020.10171
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2020;20(01):34-35

Affiliations
Spécialiste médecine interne générale FMH et médecine psychosomatique ASMPP, Senior Editor PHC

Publié le 08.01.2020

Après la traditionnelle anamnèse, nous nous asseyons avec notre patient devant une feuille de papier qui montre un cercle vicieux. Nous commençons par un inventaire des situations ­typiques (configurations particulières, lieux, soucis) dans lesquelles apparaissent les symptômes menaçants ou désagréables.

L’intervention

Le patient se plaint de symptômes ou d’états qui pèsent énormément sur lui, puis s’exacerbent jusqu’à le pousser à la panique.
Après la traditionnelle anamnèse, nous nous asseyons avec lui devant une feuille de papier qui montre un cercle vicieux (fig. 1; la feuille à remplir peut être ­téléchargée à l’adresse primary-hospital-care.ch). Nous commençons par un inventaire des situations ­typiques (configurations particulières, lieux, soucis) dans lesquelles apparaissent les symptômes menaçants ou désagréables. Nous les notons, dans les termes du patient, dans le quart de cercle supérieur droit.
Figure 1: Le cercle vicieux dans un exemple pratique.
Puis nous rassemblons les symptômes typiques (végétatifs) qui tourmentent le patient (tachycardie, suffocation, sudation, contractions, réactions gastro-intestinales, idées fixes, etc.). Nous les notons au centre du cercle, sous la mention «symptômes».
Nous démontrons qu’à cet instant nos interprétations de ces symptômes conduisent à des pensées que nous pouvons analyser comme des interprétations erronées et catastrophistes sitôt que nous nous permettons de nous les figurer dans leurs ultimes conséquences ­(défaillance, perte de conscience, perte relationnelle, marginalisation – et pour finir, menace existentielle!). Nous notons également ces pensées, cette fois dans le quart de cercle inférieur droit.
C’est là qu’est l’astuce: nous expliquons que le réflexe de survie inhérent à l’homme et aux mammifères évolués est mis en état d’alerte, au moyen de l’adrénaline, en vue d’activer les mécanismes de combat et de fuite. Pour pouvoir mieux se battre ou s’enfuir, le cœur, la respiration et le tonus musculaire sont activés, ce qui conduit à l’intensification des symptômes justement énumérés plus haut.
De leur côté, des phénomènes de déréalisation et de ­dépersonnalisation déstabilisent encore davantage le système.
La seule compréhension de ces mécanismes conduit très souvent à un déclic et à un soulagement du patient, capable désormais d’expliquer la déstabilisation qui l’angoissait tant jusque-là.

L’indication

L’art du médecin (de premier recours) consiste à pouvoir véritablement calmer son patient. Si le praticien, au moyen d’une explication simple et compréhensible, parvient à éclairer de manière convaincante l’apparition et l’intensification de symptômes pénibles ou anxiogènes, alors le patient se verra au moins calmé, ou plutôt soulagé. Rien n’est plus angoissant que d’être la proie d’un phénomène par lequel votre propre corps menace d’échapper à tout contrôle, que ce soit en faisant mal, en enflant, en dégénérant ou en s’exacerbant intérieurement ou extérieurement. Si cette «perte de contrôle» paraît si menaçante, c’est que la crainte de perdre le contrôle – psychique tout autant que physique – constitue pour la plupart des gens la plus grande menace qui soit. C’est là que nous intervenons.

La théorie

Notre pensée travaille très vite. C’est ainsi que les symptômes corporels sont immédiatement interprétés. Plus la personne est vulnérable et manque d’assurance, plus les symptômes sont perçus comme des menaces. Il s’ensuit un catastrophisme qu’entretiennent volontiers les expériences relayées par les médias, les proches et la famille.
C’est pourtant là qu’il importe de garder la tête froide, et surtout d’accepter que quelque chose dans le corps s’est déréglé, et que le patient ne peut plus se prononcer de manière objective. Comme le commissaire qui, dans les polars, doit partir à la retraite ou est mis à pied par son chef, je dois suggérer à mon patient de déléguer à un expert extérieur l’évaluation des risques et le ­jugement de la situation. Le cercle vicieux est un outil formidable pour expliquer l’influence de la pensée (évaluation cognitive), de l’émotivité (sensations anticipées), et de l’intensification par le système adrénergique (état d’alerte).
La psychoéducation, le training autogène, le yoga, les cours collectifs, les exercices d’entraînement de l’attention ou la méditation sont des solutions que le ­patient peut choisir en fonction de ses dispositions vis-à-vis d’un traitement à long terme et d’un changement de vie.

L’histoire

Les cas requérant typiquement l’utilisation du cercle vicieux sont les états anxieux [1, 2]. J’ai choisi à dessein l’histoire d’un patient pour qui la peur ne semble pas être la raison première de la consultation; mais au ­final, un très grand nombre de troubles relèvent de ce modèle conceptuel. Il s’agit d’un homme de 23 ans souffrant d’impuissance. Cette problématique est manifestement situationnelle. Entrent en compte l’acte lui-même, les attentes excessives – exprimées ou supposées – de la partenaire, de mauvaises expériences passées et bien d’autres choses encore. Le blocage typiquement vécu consiste en un sentiment de dépersonnalisation et de déréalisation. Dans cette situation, le patient ne peut plus penser clairement, est obsédé par l’idée d’être un raté, se sent coupé de toute idée claire, ne sent plus que sa crispation, son pouls élevé, ses palpitations, et voit l’excitation se perdre complètement. Il se retrouve en état d’alerte, et l’ensemble des symptômes se voient aggravés par la peur exagérée de faillir de nouveau, de ne plus jamais pouvoir faire l’amour normalement avec une femme, d’être moqué et humilié. Il lui paraît évident que dans ces conditions, une ­véritable rencontre amoureuse sincère et réciproque est impossible. Déclic. Il faut chercher une toute autre ­manière de faire, et créer les conditions d’une rencontre dans laquelle le contact, le toucher, la caresse ou le massage seront possibles.

L’exercice

Prenez le temps de dessiner le cercle vicieux avec le patient et notez dans ses termes les situations, les symptômes et les pensées catastrophistes. Permettez-vous, en provoquant les pires craintes du patient, d’arriver avec lui aux pensées qui représentent une menace existentielle à ses yeux, comme être marginalisé ou quitté, perdre le goût de vivre, devenir fou, donner un mauvais exemple à ses enfants, etc. Cela l’aidera à comprendre concrètement pourquoi le système est ainsi déstabilisé et le menace.

Skill Training

Avec la série Skill Training de Primary and Hospital Care, nous souhaitons présenter des aides à la ­communication simples, destinées au quotidien, sur lesquelles peut s’appuyer tout médecin de famille pour suivre de plus près l’axe psychosomatique-­psychosocial pendant la consultation. Vous êtes invités à laisser vos réactions et vos questions dans la fonction commentaire, située sous le texte, de la version en ligne de l’article, à l’adresse primary-hospital-care.ch.
Une première série Skill Training a déjà été publiée en 2014. Vous pouvez la retrouver dans nos archives (primary-hospital-care.ch/fr/archives) en tapant le nom complet de l’auteur, Pierre Loeb et «skill», dans la barre de recherche.
Dr. med. Pierre Loeb
Facharzt für Allgemeine Innere Medizin FMH, ­­
spez. Psycho­somatische Medizin SAPPM
Winkelriedplatz 4,
CH-4053 Basel
loeb[at]hin.ch
1 Pierre Loeb. Traitement de l’anxiété en médecine générale. https://primary-hospital-care.ch/fr/article/doi/pc-d.2012.00116
2 Roy-Byrne PP, Craske MG, Stein MB, Sullivan G, Bystritsky A, Katon W, et al. A randomized effectiveness trial of cognitive-behavioral therapy and medication for primary care panic disorder. Arch Gen Psychiatry. 2005 Mar;62(3):290-8.