La visite d’un·e délégué·e ­médical·e au cabinet
Les attentes de chaque partie

La visite d’un·e délégué·e ­médical·e au cabinet

Lehre
Édition
2020/10
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2020.10203
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2020;20(10):295-296

Affiliations
Etudiantes en troisième année de bachelor de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne

Publié le 06.10.2020

La visite médicale est effectuée par un·e délégué·e médical·e représentant une entreprise pharmaceutique et venant rencontrer un·e médecin pour lui présenter ses produits.

Introduction

La visite médicale (VM) est effectuée par un·e délégué·e médical·e (DM) représentant une entreprise pharmaceutique et venant rencontrer un·e médecin pour lui présenter ses produits. De nombreuses études ont démontré que la VM peut générer des conflits d’intérêts [1, 2] lorsque les choix de prescription des médecins sont influencés par des motivations tels que le gain financier, la notoriété du ­produit ou l’accès à des fonds de recherche. De plus, il a été démontré que la VM pèse sur la prescription de produits [2–4]. Finalement, la VM est parfois perçue comme chronophage et inutile [2], le contenu du message étant jugé peu crédible et peu utile.
Ces aspects ont mené l’Académie Suisse des Sciences médicales (ASSM) à élaborer des directives qui régulent la relation entre médecins généralistes (MG) et DM, notamment en ce qui concerne les échantillons et les avantages en nature et en espèces pouvant être acceptés [5]. Entrées en vigueur en 2006 puis révisées en 2012, elles ont ensuite été intégrées dans le code de déontologie de la FMH [5]. C’est donc dans le contexte d’une réglementation devenue plus restrictive que nous avons choisi d’analyser et de mettre en perspective les attentes et représentations réciproques entre les MG et les DM au sujet de la VM, tout en décrivant l’évolution de la VM ainsi que ses aspects éthiques et ­légaux.

Méthodes

Pour comprendre la complexité du sujet et bien inscrire la VM dans la communauté et le système de santé nous avons effectué des entretiens semi-structurés avec des informants-clé (n = 12) sur leurs rôles et positions envers la VM. Deux éthiciens, deux professeurs de médecine générale, un pharmacologue, un directeur d’entreprise pharmaceutique, un avocat ainsi que diverses associations ont été interrogés. Ensuite nous avons mené des observations directes de VM, à l’aide une grille d’observation prédéfinie reprenant le lieu, le déroulement, les informations échangées, la relation entretenue, ainsi que le type de communication entre les médecins et les DM. Après chaque VM, les deux ­parties (DM et MG) répondaient à un court questionnaire sur leurs attentes, satisfaction et représentations mutuelles. Enfin, nous avons réalisé 25 entretiens semi-structurés auprès d’un échantillon de convenance de MG recevant des DM (n = 10) ou non (n = 10), ainsi qu’auprès de DM (n = 5). Ces entretiens abordaient les quatre thèmes suivants: attentes, représentations, évolution au cours du temps, cadre légal et éthique.

Résultats

La plupart des VM se déroulaient dans la salle de consultation du cabinet. La majorité des intervenant·e·s se connaissaient déjà et se vouvoyaient. Plusieurs VM ont abouti à la remise d’échantillons ou à la commande du produit présenté. En général, le temps de la VM était entièrement consacré à l’objectif du DM qui était de présenter son produit, bien qu’un quart des visites ait inclus des banalités («small talk»). Le ton a plus souvent été jugé professionnel qu’amical, et plus informateur que promoteur. Les effets secondaires étaient rarement cités.
Concernant les attentes vis-à-vis de la VM (voir tableau 1 dans la version en ligne de cet article sur primary-hospital-care.ch), la moitié des médecins n’avait pas d’attentes spécifiques, alors que l’autre voulait connaître les nouveautés, les dernières recommandations et informations, surtout galéniques et posologiques. Les médecins appréciaient de ne pas devoir lire la littérature afin d’économiser du temps, de recevoir des échantillons et de passer un bon moment. De plus, la VM était perçue comme fournissant des avantages réciproques: le financement de la formation continue pour les uns, la promotion des produits avec récolte d’informations pour les autres. Presque tous les médecins pensaient être influencé·e·s lors de la VM, principalement sous la forme d’une modification de la marque prescrite pour une molécule donnée plutôt qu’une augmentation de prescription elle-même. Environ la moitié était à l’aise avec le fait d’être influencé, l’autre moitié ne l’était pas. Une minorité considérait ne pas être influencée, estimant avoir confiance en leur esprit critique.
Tableau 1: Thèmes mentionnés lors des entretiens semi-structurés et dans les questionnaires par les médecins recevant ou pas des délégué·e·s ­médicales et médicaux (DM), ainsi que les délégué·e·s médicales et médicaux.
ThèmeMédecin ne recevant pas de délégué·e ­médical·e (DM)
Entretiens semi-­structurés: 10
Questionnaires: 11
Total: 21 participants
Fréquence des mentions*Médecin recevant des DM

Entretiens semi-structurés: 10
Questionnaires: 3
Total: 14 participants
Fréquence des mentions *Délégué·e médical·e (DM)

Entretiens semi-structurés: 5

Total: 5 participants
Fréquence des mentions *
Raisons pour recevoir ou ne pas recevoir de DM, attentes sur la visitePréfère d’autres sources d’informations+++Recevoir des informations brèves sur le médicament présenté+++Pour les informations et les nouveautés+++
Informations et études sont biaisées+++Nouveautés++Transmettre des données scientifiques+++
Visite considérée comme inutile ou ­ennuyeuse+++
++
Pas d’attentes particulières+++Échanger de manière constructive sur la patientèle, l’efficacité et les effets secondaires, les habitudes de prescription et la patientèle++
Visite considérée comme une perte de temps+++Économies de temps++Les MG ne reçoivent pas de DM par manque de temps+++
Sur le MG recevant des DM: L’intérêt ­financier lié à la formation continue+++L’intérêt financier lié à la ­formation continue+++Stimuler la ou le M sur la prise en charge de ses patient·e·s+
Être indépendant ­financièrement++  Fidéliser+
Pour recevoir des échantillons++Pour recevoir des échantillons++  
Passer un moment sympa++Passer un moment agréable++Créer un climat de confiance+
Représentations sur la ou le DM: La ou le DM est une vendeuse ou un ­vendeur+++La ou le DM est une vendeuse ou un vendeur+++  
  La ou le DM est une informatrice ou un informateur+La ou le DM est une informatrice ou un informateur+++
 La ou le DM a un ­métier difficile et peu gratifiant++    
 La ou le DM se sent inférieur au médecin++    
Représentations sur la visite ­médicale (VM):La ou le DM influence la prescription+++La ou le DM influence la ­prescription+++  
  La VM n’a pas d’influence car la ou le médecin est ­suffisamment critique+La VM n’a pas d’influence car le médecin est suffisamment critique++
  La VM est une source ­d’information++La VM est une source d’information+++
  La VM est un partenariat+++La VM est un partenariat++
La VM est considérée comme de la publicité+++La VM est de la publicité++La VM de la publicité+
Cadre légal et éthiquePeu au courant de la réglementation+++Peu au courant de la ­réglementation+++  
Pour l’interdiction complète de la publicité pour les médicaments++La réglementation est trop restrictive++La réglementation est trop restrictive+++
Se faire influencer n’est pas éthique+++La réglementation est ­adéquate++  
Fort impact écologique (transport des DM)+La visite est éthique car la prescription est un marché commercial comme un autre++La visite est éthique car informative+++
* Fréquence des mentions: quelques fois mentionné +; mentionné par une forte minorité ++; mentionné par la majorité +++
Indépendamment du fait de les recevoir, les médecins considéraient principalement les DM comme des vendeuses et des vendeurs, forcément biaisés. Certains médecins recevant des DM pensaient que leurs collègues avaient raison de ne pas en voir, alors que d’autres pensaient qu’ils ne «jouaient pas le jeux» vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique.
Toutes les personnes interrogées ont déclaré que la fréquence des VM avait baissé. La principale raison évoquée était le manque de temps, alors que certains évoquaient l’inutilité, l’absence de nouveautés ainsi qu’un désir de ne pas se faire influencer.

Discussion

Nos résultats semblent indiquer une asymétrie entre les attentes des médecins et des DM vis-à-vis de la VM. Les DM cherchaient à convaincre les médecins tout en s’adaptant à leurs besoins, mais ont rapportés avoir de moins en moins de temps et de moyens pour le faire. Nous avons pu remarquer que la VM est perçue comme de la publicité par les médecins, qui ont conscience de son influence. Si l’industrie pharmaceutique s’inscrit dans une logique de marché qui légitime la publicité pour les MG, ces derniers nous ont rapportés un malaise grandissant vis-à-vis de cette situation. Pourtant, les médecins estiment que l’industrie pharmaceutique a sa place dans le système de santé, notamment de par le financement de la formation continue. La limitation principale de notre étude relève d’un probable biais de sélection de notre échantillon. Néanmoins, elle amène un éclairage actuel sur cette pratique.
Nous remercions notre tutrice, la Dre Yolanda Müller.
La majorité des VM observées dans le cadre de ce travail ont été faites en suivant les DM d’un groupe pharmaceutique avec lesquels une des membres du groupe avait contact. L’entreprise n’est intervenue ni dans le choix des données collectées, l’analyse et l’interprétation des résultats, ni dans la rédaction de cet article.
Dr méd. Jacques Gaume
Responsable de recherche
Privat-docent 
Service de médecine des addictions
Département de psychiatrie
Rue du Bugnon 23A
CH-1011 Lausanne
Jacques.Gaume[at]chuv.ch
1 Bastide C, Bruyeres F, Guy L, Karsenty G. Le conflit d’intérêt. Progrès en urologie. 2013;23:1223
2 Pittet A-L. L’orientation de la prescription par l’industrie pharmaceutique: influence des visiteurs médicaux et des leader d’opinion sur le prescription de médecins généralistes et psychiatres en Suisse francophone [Thèse]. Lausanne: Université de Lausanne – Faculté de Biologie et de Médecine; 2015
3 Greffion J, Breda T. Façonner la prescription, influencer les médecins. Revue de la régulation. 2015; 17 [En ligne]. Consulté le 01 juillet 2019. Disponible: http://journals.openedition.org/regulation/11272; DOI: 10.4000/regulation.11272
4 Desclaux-Arramond D. Perception de l’industrie pharmaceutique par les internes en médecine générale après FACRIPP (Formation à l’Analyse Critique de la Promotion Pharmaceutique) et perception de la formation [Thèse]. Bordeaux: Université de Bordeaux – U.F.R des Sciences Médicale; 2017
5 Académie Suisse des Sciences médicales. Collaboration corps médical-industrie. 2013. Repris dans le Bulletin des médecins suisses. 2013;94(1⁄2):12–7.