Les exigences médicales minimales doivent être remplies

Evaluation de l’aptitude à la conduite par le médecin de famille

Fortbildung
Édition
2021/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2021.10351
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2021;21(05):166-169

Affiliations
Leiter der Abteilung Verkehrsmedizin, -psychiatrie und -psychologie, Institut für Rechtsmedizin, Universität Bern

Publié le 04.05.2021

L’évaluation de l’aptitude à la conduite des seniors âgés de 75 ans et plus représente une activité essentielle et exigeante de la médecine de famille. Cet article a pour objectif d’aider le médecin de famille à accomplir cette tâche de façon pragmatique et actuelle.

Formation graduelle

Dans une optique d’assurance qualité et d’harmonisation des examens de médecine du trafic, les médecins souhaitant réaliser des évaluations de l’aptitude à la conduite doivent disposer d’un certain niveau de compétence. Le législateur a dès lors défini quatre niveaux de qualification pour les médecins:
Niveau 1: Evaluation de conducteurs âgés de 75 ans et plus;
Niveau 2: Evaluation de propriétaires de véhicules de catégories supérieures (taxis, camions, autocar, bus);
Niveau 3: Evaluation de problématiques plus précises et plus complexes (par ex. seconde évaluation après un examen de niveau 2, examen de conducteurs souffrant d’un handicap moteur);
Niveau 4: Médecins du trafic de la SSML (Société Suisse de Médecine Légale) habilités à réaliser l’ensemble des examens/expertises relevant de la médecine du trafic.
Un médecin obtient la qualification pour le niveau 1 ­après avoir suivi les modules de formation proposés par la SSML d’une durée d’une journée ou bien par auto-déclaration. Pour cette dernière, le médecin ­confirme de son propre chef qu’il répond aux prérequis légaux pour l’évaluation des seniors conformément à l’annexe 1bis de l’Ordonnance réglant l’admission à la circulation routière (OAC). La capacité à évaluer l’aptitude à la conduite fait partie intégrante du programme de formation postgraduée en médecine interne générale. Les connaissances acquises doivent être entretenues et actualisées dans le cadre du devoir de formation continue par la participation à des manifestations correspondantes lors de congrès, dans des cercles de qualité ou autres. Les cours de niveau 1 sont annoncés sur le site internet www.medtraffic.ch. C’est également sur ce site internet que s’effectue l’auto-­déclaration.
La reconnaissance du niveau de qualification est valable pour une durée de cinq ans. Pour la prolongation de la reconnaissance, une recertification impliquant une nouvelle auto-déclaration ou la participation à un cours de rafraîchissement de la SSML est requise.
Les médecins sollicités à titre consultatif, comme par ex. les ophtalmologues, ne nécessitent pas de reconnaissance de qualification.
Les réglementations qui viennent d’être mentionnées s’appliquent à l’ensemble de la Suisse.

Exigences minimales

Dans le cadre de l’examen de niveau 1, il convient uniquement de vérifier si les exigences médicales minimales, conformément à l’annexe 1 de l’OAC, sont remplies – ni plus ni moins (tab. 1). Les exigences médicales minimales sont subdivisées en deux groupes:
Groupe 1: Cyclomoteurs, motos, voitures, véhicules agricoles;
Groupe 2: Taxis, camions, autocars, bus, moniteurs de conduite, experts de la circulation.
Pour les examens de niveau 1 des seniors, seul le groupe 1 est pertinent. La suite de l’article ne traitera dès lors que les exigences minimales pour ce groupe et fournira des explications relatives à la mise en œuvre pratique.
Tableau 1: Exigences médicales minimales (annexe 1 de l’OAC).
Facultés visuelles

Œil le meilleur: 0,5/ œil le plus mauvais: 0,2 (mesurés isolément)
Vision monoculaire (y compris acuité visuelle de l’œil le plus mauvais <0,2): 0,6
Vision binoculaire: champ visuel de 120 degrés de diamètre horizontal au minimum. Elargissement vers la droite et la gauche de 50 degrés au minimum. Elargissement vers le haut et le bas de 20 degrés au minimum. Le champ visuel central des deux yeux doit être normal jusqu’à 20 degrés.
Vision monoculaire: champ visuel normal en cas de mobilité des yeux normale.
Pas de diplopie restrictive.
Pas de réduction importante de la vision crépusculaire. Pas d’accroissement majeur de la sensibilité à l’éblouissement.
Ouïe
(uniquement pour les titulaires d’un permis de conduire pour bateau de catégorie A et D: voix normale audible à 3 mètres par chaque oreille et à 6 mètres en cas de surdité d’une oreille; pas de maladies graves de l’oreille interne ou moyenne).
Alcool, stupéfiants et ­produits pharmaceutiques psychotropesPas de dépendance.
Pas d’abus ayant des effets sur la conduite.
Troubles psychiques
Pas de troubles psychiques avec effets importants sur la perception de la réalité, l’acquisition et le traitement de l’information, la réactivité ou l’adaptation du comportement à la situation.
Pas de réduction des capacités de réserve ayant des effets sur la conduite.
Pas de symptômes maniaques ou pas de symptômes dépressifs importants.
Pas de troubles de la personnalité considérables, notamment pas de troubles du comportement asociaux marqués.
Pas de déficiences intellectuelles majeures.
Troubles des fonctions ­cérébrales d’origine ­organiquePas de maladies ou de troubles psychiques d’origine organique perturbant de façon significative la conscience, l’orientation, la mémoire, l’intellect, la réactivité et pas d’autre trouble des fonctions cérébrales.
Pas de symptômes maniaques ou dépressifs importants.
Pas de troubles du comportement ayant des effets sur la conduite.
Pas de réduction des capacités de réserve ayant des effets sur la conduite.
Maladies neurologiquesPas de maladies ou conséquences de blessures ou d’opérations du système nerveux central ou périphérique ayant des effets importants sur l’aptitude à conduire avec sûreté un véhicule automobile.
Pas de troubles ou de pertes de la conscience.
Pas de troubles de l’équilibre.
Maladies cardiovasculaires
Pas de maladies entraînant un risque élevé de crises douloureuses, de malaises, de diminution du débit sanguin cérébral réduisant les capacités, d’altérations de la conscience ou de toute autre perturbation permanente ou épisodique de l’état général.
Pas d’anomalie grave de la tension artérielle.
Maladies du métabolisme
En cas de diabète (Diabetes mellitus), régulation stable du taux de glucose dans le sang sans hypoglycémie ou symptômes généraux d’hyperglycémie ayant des effets sur la conduite.
Pas d’autres maladies du métabolisme ayant des effets importants sur l’aptitude à conduire avec sûreté un véhicule automobile.
Maladies des organes respiratoires et abdominauxPas de maladies entraînant une somnolence diurne accrue ni d’autres troubles ou réductions ayant des effets sur l’aptitude à conduire avec sûreté un véhicule automobile.
Maladies de la colonne ­vertébrale et de l’appareil locomoteurPas de déformations, de maladies, de paralysies, de conséquences de blessures ou d’opérations ayant des effets ­importants sur l’aptitude à conduire avec sûreté un véhicule automobile impossibles à corriger suffisamment par des dispositifs spéciaux.

Facultés visuelles

Les exigences médicales minimales impliquent une acuité visuelle d’au minimum 0,5/0,2. L’étendue minimale du champ visuel horizontal est de 120 degrés. Pour les problématiques ophtalmologiques particulières, des prescriptions plus détaillées s’appliquent (tab. 1). L’examen des limites périphériques du champ visuel par confrontation, tel que le réalisent habituellement les médecins de famille, est en général suffisant. En présence de signes de réduction du champ visuel ou en cas de pathologies connues pouvant s’accompagner d’une réduction du champ visuel (par ex. glaucome), un examen périmétrique supplémentaire réalisé par un ophtalmologue est indiqué.
De plus, des diplopies restrictives, des limitations importantes de la vision crépusculaire et une sensibilité à l’éblouissement fortement accrue ne doivent pas être présentes. Les deux derniers points cités ne peuvent faire l’objet que d’une évaluation purement anamnestique dans le cadre de la médecine de premier recours. Les éventuelles diplopies doivent faire l’objet d’une évaluation ophtalmologique en vue d’établir leur pertinence pour la circulation routière.

Consommation problématique de substances

Les exigences minimales stipulent explicitement qu’il ne doit pas y avoir de dépendance ou d’abus de substance ayant un effet sur la conduite. Un diagnostic de dépendance d’après la CIM-10 exclut dès lors l’aptitude à la conduite. Si l’examen de contrôle fournit des indications d’une utilisation nocive (attention aux benzodiazépines et hypnotiques Z, tels que le zolpidem), il convient d’envisager une recommandation aux autorités pour un examen de médecine du trafic par un médecin de niveau 4.

Psychisme

En ce qui concerne le psychisme, il est en particulier exigé que le conducteur ne présente pas de symptômes maniaques ou dépressifs prononcés. En cas de survenue d’un épisode maniaque ou d’un épisode dépressif modéré à sévère, l’aptitude à la conduite est déclarée après un intervalle d’au moins six mois sans symptômes avec effet sur la conduite.
Pour les sections «Troubles des fonctions cérébrales d’origine organique», «Maladies neurologiques», «Maladies cardiovasculaires» et «Maladies des organes respiratoires et abdominaux», les exigences ­minimales sont formulées de manière très générale. Pour la mise en œuvre pratique lors de l’examen des seniors, les remarques suivantes peuvent s’avérer utiles:

Déficits cognitifs

Afin de déterminer le niveau de performance cognitive des seniors, le test Mini mental state (MMS) ainsi que le Trail making test (TMT) partie A et B ont fait leurs preuves. Le test MMS peut être considéré comme connu. Le TMT se compose de deux parties. Dans la partie A, il faut relier les chiffres de 1 à 25 le plus rapidement possible; dans la partie B, il faut relier de façon alternative chiffres et lettres de la façon suivante: 1-A-2-B-3-C, etc. Le temps nécessaire pour accomplir ces exercices est mesuré. Les erreurs doivent être corrigées immédiatement par les patients; le chronomètre n’est pas interrompu.
Les résultats suivants appuient la suspicion de déficits cognitifs pertinents pour la conduite:
• Test MMS <21 points;
• TMT partie A >80 secondes;
• TMT partie B >180 secondes. En cas de temps nécessaire >300 secondes, l’aptitude à la conduite n’est pour ainsi dire jamais délivrée.
En l’absence d’anomalies lors de l’anamnèse, lors de l’examen et au cours des tests neuropsychologiques brefs, on part du principe que la personne est apte à la conduite.
En cas d’anomalies prononcées à l’anamnèse, lors de l’examen et lors des tests brefs, l’aptitude à la conduite doit être refusée.
En présence de résultats indéterminés/limites, il n’est pas possible d’émettre un jugement définitif sur l’aptitude à la conduite. Des examens supplémentaires sont alors indiqués (par ex. investigations dans une clinique de la mémoire, évaluation neuropsychologique, évaluation de médecine du trafic). La course de contrôle supervisée par un médecin est abordée plus bas.

Maladies neurologiques

Après un accident vasculaire cérébral, les déficits ­cognitifs se trouvent au premier plan. Les troubles sensori-moteurs peuvent le cas échéant être compensés par des adaptations techniques du véhicule (cf. section «Contrôle technique de fonctionnement»). Par ailleurs, il convient de songer à d’éventuelles dégradations du champ visuel.
En cas de maladie de Parkinson, les symptômes, troubles cognitifs, troubles psychiques (par ex. hallucinations) et effets indésirables médicamenteux (par ex. crise de sommeil sous pramipexole) parfois fluctuants doivent être pris en compte.
En présence d’une négligence, l’aptitude à la conduite est refusée. Pour l’évaluation de l’aptitude à la conduite des patients souffrant de crises d’épilepsie, la Ligue ­Suisse contre l’Epilepsie a émis des recommandations détaillées.

Maladies cardiovasculaires

Les patients souffrant de maladies cardiovasculaires sont aptes à conduire s’ils remplissent les conditions suivantes:
• Résistance quotidienne adéquate à l’effort (pas de ­limitations selon la classe NYHA IV);
• Absence d’angor aigu (pas de degré CCS IV);
• Absence de (pré)syncopes, absence de vertiges, ­absence de crises de malaise;
• En cas de troubles du rythme cardiaque, pas de probabilité accrue de symptômes pertinents (en particulier syncopes);
• En cas d’hypertension, absence de symptômes cérébraux ou de troubles visuels (hypertension maligne).
Pour l’évaluation de l’aptitude à la conduite en cas de maladies cardiovasculaires, des lignes directrices détaillées élaborées par la Société Suisse de Cardiologie (SSC) et la SSML sont disponibles [1].

Diabète sucré

En présence d’un diabète sucré, le patient doit présenter une glycémie stable et contrôlée sans hypo- ou hyperglycémies ayant des effets sur la conduite. L’évaluation de l’aptitude à la conduite des patients diabétiques est abordée de façon détaillée dans les recommandations de la Société Suisse d’Endocrinologie et de Diabétologie. Par ailleurs, un aide-mémoire avec des mesures de ­précaution à l’intention des conducteurs de véhicules atteints de diabète est disponible.

Maladies des poumons et des organes ­abdominaux

Les maladies avec somnolence diurne (par ex. syndrome d’apnée du sommeil) accrue sont ici particulièrement centrales, de même que la survenue de syncopes de toux. De manière générale, une résistance quotidienne adéquate à l’effort est exigée en cas de ­maladies des poumons ou des organes abdominaux. Une cirrhose hépatique et ses stades préliminaires doivent faire penser à un problème d’alcoolisme.

Course de contrôle supervisée par un ­médecin

Si des doutes quant à l’aptitude à la conduite persistent après l’examen médical, une course de contrôle supervisée par un médecin peut être indiquée pour éliminer ces doutes. La course de contrôle supervisée par un médecin est un examen éliminatoire: contrairement à une évaluation de la cognition relevant de la psychologie du trafic, par exemple, celui-ci ne peut être répété.
Une course de contrôle supervisée par un médecin ne peut être recommandée que par un médecin de niveau 4 (art. 5j, al. 2 de l’OAC).
Les «courses de contrôle» avec des moniteurs d’auto-école ou des conseillers de conduite pour seniors n’ont pas de valeur dans le cadre de l’évaluation médicale de l’aptitude à la conduite. Les moniteurs d’auto-école sont des experts en matière de compétence de conduite ­(aptitudes et connaissances pour une utilisation sûre du véhicule), pas d’aptitude à la conduite. ­Indépendamment des déclarations du moniteur ­d’auto-école, le ­médecin est, de par l’apposition de sa ­signature sur le formulaire d’évaluation administratif, le seul responsable de l’évaluation de l’aptitude à la conduite.

Permis de conduire avec restrictions

Les conducteurs qui ne remplissent plus entièrement les exigences médicales minimales peuvent se voir limiter la validité de leur permis de conduire à des zones («rayon»), des horaires (interdiction de conduire la nuit) ou des types de routes particuliers (art. 34 de l’OAC).
Une limitation à une zone géographique définie est ­volontiers discutée chez les seniors souffrant de troubles cognitifs, mais doit faire l’objet d’une remise en question critique. Les troubles cognitifs, précisément, ont aussi des implications dans les environnements connus (par ex. réactivité diminuée en cas de ­situation de survenue soudaine/inattendue).
Une limitation n’est possible que si une participation sûre au trafic est encore garantie. Les limitations du permis de conduire doivent être décidées par un médecin de niveau 4 (art. 34, al. 2 de l’OAC).

Contrôle technique de fonctionnement

Un conducteur doit à tout moment pouvoir utiliser de façon sûre les pédales et les éléments de commande du véhicule (par ex. clignotant, phares). S’il existe des ­doutes quant à cette capacité en raison de déficits ­sensoriels et/ou moteurs, par ex. en raison d’un hémisyndrome, d’une neuropathie ou d’une amputation, un contrôle technique de fonctionnement peut être demandé auprès de l’autorité cantonale compétente en matière d’admission à la circulation routière. Ce contrôle technique de fonctionnement a pour objectif de déterminer si d’éventuelles adaptations techniques du véhicule sont nécessaires.

Navigation intérieure

Depuis le 1er janvier 2020, les titulaires d’un permis de conduire pour bateau (catégorie A: bateaux motorisés, catégorie D: bateaux à voile) doivent également se soumettre à un examen de niveau 1 à partir de l’âge de 75 ans. Les mêmes exigences médicales minimales que pour la circulation routière s’appliquent, à l’exception de l’acuité auditive (voix normale audible à 3 mètres par chaque ­oreille et à 6 mètres en cas de surdité d’une oreille; pas de maladies graves de l’oreille interne ou moyenne).

Résumé pour la pratique

• L’évaluation de l’aptitude à la conduite des seniors est une activité à responsabilité de la médecine de famille, dont les composantes essentielles sont prescrites par le législateur (exigences médicales minimales).
• Diverses recommandations et lignes directrices soutiennent le médecin de famille dans cette tâche (cf. section «Références»).
• Les médecins qui souhaitent réaliser des évaluations officielles de l’aptitude à la conduite chez les seniors (examens de niveau 1) doivent suivre un cours reconnu ou auto-déclarer auprès des autorités leur compétence acquise dans le cadre du cursus de formation postgraduée ou d’autres formations continues.
Les lignes directrices et recommandations actuelles relatives aux facultés visuelles, aux troubles psychiques, à la consommation problématique de substances, à l’épilepsie, aux maladies cardiovasculaires, au diabète sucré et à la somnolence diurne sont disponibles sur https://www.irm.unibe.ch/dienstleistungen/verkehrsmedizin__psychiatrie_und__psychologie/index_ger.html
L’auteur remercie le Dr méd. A. Oswald et le Dr méd. et lic. phil. D. Zwahlen, de l’Institut de médecine légale de Berne, pour la relecture critique du manuscrit.
Dr. med. Matthias Pfäffli
Facharzt für Rechtsmedizin
Verkehrsmediziner SGRM
Institut für Rechtsmedizin der Universität Bern
Sulgenauweg 40
CH-3007 Bern
matthias.pfaeffli[at]irm.unibe.ch
1 Buser M, et al. Fahreignung und kardiovaskuläre Erkrankungen: gemeinsame Richtlinien der Schweizerischen Gesellschaft für Kardiologie und der Schweizerischen Gesellschaft für Rechts­medizin. Cardiovasc Med. 2019;22:w02023.