Les benzodiazépines et les agonistes non-benzodiazépines (médicaments Z: zolpidem, zopiclone) font partie des médicaments les plus prescrits en raison de leur large éventail d’indications. Ces substances sont souvent prises en surdose ou consommées dans une intention abusive.
Tox Info Suisse reçoit chaque année environ 1000 demandes de renseignements sur des surdoses de benzodiazépines et de substances Z chez l’homme. Neuf des dix personnes concernées sont des adultes. Dans environ la moitié des cas, il s’agit d’une intoxication combinée (benzodiazépine ou substance Z toxicologiquement au premier plan).
En raison de leur large marge thérapeutique, les intoxications aux benzodiazépines seules ont généralement un pronostic favorable avec une bonne prise en charge médicale, mais les intoxications combinées et l’antagonisation de l’action des benzodiazépines comportent certains risques [1].
Mécanisme d’action et pharmacocinétique
Toutes les benzodiazépines contiennent une structure bicyclique dans laquelle un cycle benzénique est lié à un cycle diazépinique. Les benzodiazépines se lient aux récepteurs GABAA, les principaux récepteurs inhibiteurs du système nerveux central, et ont donc des effets anxiolytiques, sédatifs, myorelaxants et anticonvulsivants. L’effet maximal est déterminé par la concentration de GABA présente, ce qui entraîne un effet «plafond». Cependant, en raison de leurs propriétés pharmacocinétiques différentes, il existe des différences majeures dans la durée d’action des diverses benzodiazépines (tab. 1) [2].
Tableau 1:Pharmacocinétique des benzodiazépines et des médicaments Z [2].
Substance active/générique
Nom commercial
Dose unique* pour les adultes (orale)
Pic plasmatique (heures)
Demi-vie de la molécule mère (heures)**
Activité; demi-vie des métabolites (heures)
Alprazolam
Xanax, Xanax retard
0,25-0,5 mg
1–2; retardé: 5–11
6–27
Inactif
Bromazépam
Lexotanil
1,5–3 mg
1–2
20
Inactif
Chlordiazépoxide
Librax, Librocol
5 mg
2–4
10
Actif
Clobazam
Urbanyl
5 mg
0,5–4
36
Actif; 79
Clonazépam
Rivotril
0,25–0,5 mg
1–4
30–40
Inactif
Clorazépate
Tranxilium
5–30 mg
1–2
Prodrogue: quelques minutes
Actif; 30–150
Diazépam
Psychopax, Valium
2–10 mg
0,5–1,5
24–48
Actif; 40–100
Flunitrazépam
Rohypnol
0,5–1 mg
0,75–2
16–35
Actif; 28
Flurazépam
Dalamdorm
15–30 mg
0,5–1
2,3
Actif; 40–100
Kétazolam
Solatran
15–60 mg
3
2
Actif; 52
Lorazépam
Lorasifar, Sedazine, Temesta, Somnium
1–3 mg
2–3
12–16
Inactif
Lormétazépam
Loramet, noctamide
1–2 mg
1,5
10
Inactif
Midazolam
Dormicum
7,5–15 mg
1
1,5–2,5
Actif; <1
Nitrazépam
Mogadon
5 mg
2
30
Inactif
Oxazépam
Anxiolite, Séresta
30–60 mg
2–4
5–20
Inactif
Prazépam
Demetrin
10–20 mg
Absorption lente
Prodrogue
Actif; 50–80
Témazépam
Nomison
10–20 mg
1
7–11
Inactif
Triazolam
Halcion
0,125–0,25 mg
1–2
1,5–5,5
Actif; 4
Zolpidem
Stilnox, Zoldorm, Stilnox XR
5–10 mg
0,5–3; retardé: Absorption initiale rapide
2–3
Inactif
Zopiclone
Imovane
7,5 mg
1,5–2
5
Actif; 4,4
* Les recommandations de dosage dépendent également de l’indication. ** Classification basée sur la demi-vie: courte durée d’action: <12 heures, intermédiaire: 12–24 heures, longue durée d’action: >24 heures. Les déterminants de l’effet sont la demi-vie, la vitesse d’absorption et la lipophilie.
Les «benzodiazépines de synthèse», telles que l’étizolam, le clonazolam, le flubromazolam, sont utilisées avec une intention abusive. Les effets cliniques sont comparables à ceux des autres benzodiazépines [3].
Les médicaments dits «Z» (zolpidem, zopiclone) présentent des similitudes structurelles avec les benzodiazépines mais n’ont pas de structure benzodiazépine. Les médicaments Z se lient principalement à la sous-unité alpha1 du récepteur GABAA, ce qui modifie légèrement leurs propriétés pharmacologiques. Par exemple, le zolpidem est principalement sédatif, mais peu myorelaxant, anxiolytique et anticonvulsivant.
Les benzodiazépines et les médicaments Z ont un potentiel élevé de dépendance en raison de leurs propriétés [4].
Symptômes de l’intoxication aux benzodiazépines – le toxidrome hypnotique
– Le toxidrome hypnotique se caractérise par une dépression du SNC (de la somnolence au coma) accompagnée d’un examen clinique généralement sans particularité, d’un ECG et de signes vitaux normaux.
– Outre la dépression du SNC, une ataxie, une dysarthrie, des vertiges, un nystagmus, une mydriase, une hypotonie musculaire et une hypotension peuvent également survenir [1, 5].
– Dans de rares cas, des troubles respiratoires ont été décrits. La dose pouvant conduire à une insuffisance respiratoire n’est pas quantifiable et dépend de divers facteurs, tels que des maladies (cardio-)pulmonaires antérieures, des coingestions, l’âge, le poids, l’accoutumance et la génétique.
– Des blocs AV I sont parfois observés lors de surdosages de benzodiazépines [7].
– Il faut également tenir compte des conséquences possibles d’un coma, comme le traumatisme du décubitus et/ou la broncho-aspiration.
– Une réaction paradoxale avec agitation, confusion et hallucination est également possible. Dans ce cas, une augmentation de la dose entraîne une aggravation des symptômes. Le pathomécanisme exact n’est pas clair; les enfants et les personnes très âgées semblent être plus fréquemment affectés [1, 6].
Symptômes du sevrage d’une benzodiazépine
Le sevrage des benzodiazépines entraîne des tremblements, une dysphorie, une anxiété, des troubles de la perception, une psychose, un délire et des crises d’épilepsie [8].
Diagnostic
Le diagnostic est posé sur la base de la situation clinique et de l’anamnèse. Selon la méthode utilisée, toutes les benzodiazépines ne sont pas détectées par les tests toxicologiques urinaires standard. Un résultat négatif n’exclut pas l’utilisation de benzodiazépines. Les déterminations quantitatives ne sont pas utiles car il n’y a pas de corrélation entre la concentration sérique et les effets cliniques. Les métabolites peuvent présenter un résultat positif jusqu’à plusieurs semaines après l’ingestion. Des réactions croisées, par exemple pour l’efavirenz, ont été décrites.
Mesures thérapeutiques
Mesures générales
– Normalement, aucune décontamination n’est nécessaire en cas de mono-intoxication.
– Une seule administration de charbon peut être utile dans les cas précoces (patient conscient) et à fortes doses, notamment avec les benzodiazépines à action prolongée. Attention: risque d’inhalation de charbon chez les patients somnolents.
– La conscience, la pression sanguine et la respiration doivent être surveillées jusqu’au réveil complet.
– Thérapie de soutien telle que l’administration d’oxygène, la ventilation si nécessaire; volumes pour l’hypotension [3].
Antidote: flumazénil
Le flumazénil, antagoniste compétitif non spécifique du récepteur des benzodiazépines, est l’antidote spécifique de la dépression grave du SNC en cas de surdosage, après une anesthésie ou une narcose de courte durée pendant les interventions [8].
Cependant, le flumazénil a une courte durée d’action d’environ deux heures, et, en cas d’action continue des benzodiazépines, une somnolence peut survenir à nouveau. Le flumazénil peut être administré de manière répétée ou en perfusion continue le cas échéant.
Le flumazénil peut également être utilisé en cas de réaction paradoxale.
Attention
– En cas d’intoxication combinée avec des drogues et des médicaments anticonvulsivants et excitants, le flumazénil peut neutraliser les effets anticonvulsivants ou sédatifs des benzodiazépines.
– En cas de dépendance aux benzodiazépines, des symptômes de sevrage apparaissent après l’administration de flumazénil.
Le surdosage oral de benzodiazépines est associé à un faible taux de morbidité et de mortalité. L’utilisation du flumazénil est associée à certains risques et doit donc être soigneusement évaluée en matière de bénéfices et de risques. Pour éviter une intubation endotrachéale en cas de dépression profonde du SNC, l’administration de flumazénil peut être justifiée. En cas de guérison complète après l’antagonisation de l’effet des benzodiazépines, des examens complémentaires tels qu’une ponction lombaire ou un scanner pour exclure d’autres causes de coma ne sont plus nécessaires [9].
Cas particulier: empoisonnement au propylène glycol
Le propylène glycol (1,2-propanediol) est le solvant de la forme galénique parentérale du diazépam et du lorazépam et est à l’origine d’un syndrome d’empoisonnement rare associé à l’administration parentérale à long terme ou à forte dose de ces benzodiazépines. Les symptômes possibles sont les suivants: hémolyse, arythmies cardiaques, hypotension artérielle, acidose lactique, convulsions, coma et défaillance de plusieurs organes [10].
Prophylaxie
Une prescription critique et prudente des benzodiazépines et des médicaments Z, avec sélection de la dose efficace la plus faible sur une période limitée, pourrait à la fois minimiser le risque de surdose massive de benzodiazépines et contrer le développement de la dépendance [1].
Remarque
Cette série est le fruit d’une collaboration avec des employés de Tox Info Suisse. La rédaction du PHC les remercie chaleureusement pour cette collaboration!
Correspondance
Dr. med. Katharina E. Hofer Tox Info Suisse Freiestrasse 16 CH-8032 Zürich Katharina.Hofer[at]toxinfo.ch
Références
1 Gaudreault P, Guay J, Robert L, et al. Benzodiazepine Poisoning. Clinical and Pharmacological Considerations and Treatment. Drug Safety. 1991;6:247–65.
3 Carpenter JE, Murray BP, Dunkley C, et al. Designer benzodiazepines: a report of exposures recorded in the National Poison Data System, 2014–2017. Clin Toxicol (Phila). 2019;57:282–86.
4 Lader M. Benzodiazepines revisited – will we ever learn? Addiction. 2011;106:2086.
5 Höjer J. Management of Benzodiazepine Overdose. CNS Drugs. 1994;2:7–17.
6 Ansseau M, Pitchot W, Hansenne M, et al. Psychotic reactions to zolpidem. Lancet. 1992;339:809.
7 Arroyo AM, Ballentine LM, Mowry JB, et al. Benzodiazepine-Associated Atrioventricular Block. Am J Ther. 2012;19:e48–52.
9 Tote S, Mulleague L. The role of flumazenil in self harm with benzodiazepines: to give or not to give? Hosp Med. 2005;66:308.
10 Wilson KC, Reardon C, T et al. Propylene glycol toxicity: a severe iatrogenic illness in ICU patients receiving IV benzodiazepines: a case series and prospective, observational pilot study. Chest. 2005;128:1674–81.