Directives médico-éthiques de l’ASSM

Partie 6: Prise en charge et traitement de personnes atteintes de démence

Fortbildung
Édition
2021/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2021.10374
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2021;21(07):231-233

Affiliations
a Universitäres Zentrum für Hausarztmedizin beider Basel et membre de la Commission Centrale d’Éthique (CCE) de l’ASSM; b MSN, Spital Limmattal Schlieren et Vice-Présidente de la CCE de l’ASSM; c Chargée de projet du Ressort Éthique de l’ASSM et membre de la CCE de l’ASSM

Publié le 06.07.2021

Monsieur M., 85 ans, souffre d’une forme modérée de démence de type Alzheimer. La plupart du temps, Monsieur M. ne parvient plus à s’orienter dans le temps et dans l’espace; en tant que collectionneur passionné, il réussit toutefois à classer soigneusement ses timbres par pays et par motifs. À ce jour, ni lui-même, ni autrui n’a été mis en danger en raison de sa maladie. Toutefois, son épouse se sent de plus en plus surchargée par les soins dont il a besoin.

Exemple de la pratique: Troubles ­émotionnels et comportementaux liés à la démence et placement à des fins ­d’assistance (PAFA)

Monsieur M., 85 ans, comptable auprès d’une petite entreprise d’outillage jusqu’à sa retraite, souffre d’une forme modérée de démence de type Alzheimer. Il vit avec son épouse du même âge dans un appartement de quatre pièces. La plupart du temps, Monsieur M. ne parvient plus à s’orienter dans le temps et dans l’espace; en tant que collectionneur passionné, il réussit toutefois à classer soigneusement ses timbres par pays et par motifs. À ce jour, ni lui-même, ni autrui n’a été mis en danger en raison de sa maladie. Toutefois, son épouse se sent de plus en plus surchargée par les soins dont il a besoin. Monsieur M. refuse un placement dans un établissement médico-social (EMS) de même qu’une prise en charge deux fois par semaine dans un établissement de soins de jour. Les soins corporels du matin et du soir sont assurés depuis quelques mois par un collaborateur de Spitex. Dans le cadre de ces soins, Monsieur M. connaît régulièrement des états d’agitation avec un comportement physiquement et verbalement agressif, tant envers les collaborateurs de Spitex qu’envers sa femme. Malgré un traitement à base de médicaments contre la démence, de neuroleptiques et d’antidépresseurs, ces états d’agitation n’ont pas pu être atténués. Les collaborateurs de Spitex conseillent une hospitalisation forcée (placement à des fins d’assistance) dans une clinique psychogériatrique avec un ­futur transfert dans un EMS.

Que disent les directives de l’ASSM à ce sujet [2]?

Une démence n’entraîne pas seulement des déficits au niveau cognitif et fonctionnel, mais très souvent aussi des troubles émotionnels et comportementaux, ­appelés aussi symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) ou symptômes neuropsychiatriques (SNP). Parmi ces symptômes figurent ­l’excitation et l’agression, les idées délirantes et les hallucinations, la déambulation sans but, les troubles du sommeil, la désinhibition, l’irritabilité, mais également la dépression et l’apathie.
Ces troubles sont souvent plus éprouvants que le déclin cognitif. Ils sont inversement proportionnels à la qualité de vie de la personne concernée, mais exercent aussi une pression considérable sur les soignants. Ils peuvent conduire au surmenage, à l’isolement social, à la négligence, voire à de la maltraitance. Dans le contexte ambulatoire, notamment, le soutien des proches doit être aussi un élément essentiel du concept de prise en charge et de traitement des troubles émotionnels et comportementaux liés à la démence.
Le traitement et la prise en charge professionnels de patients atteints de démence requièrent impérativement des connaissances et des compétences spécifiques dans la gestion des troubles émotionnels et comportementaux. La compréhension des facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux qui peuvent causer et amplifier de tels troubles est essentielle. Elle permet une prise en charge et un traitement ciblé, adaptés à chaque patient. En principe, les approches non médicamenteuses doivent être privilégiées par rapport à un traitement médicamenteux. Il s’agit de comprendre l’univers des patientes et des patients et d’adapter en conséquence le plan de traitement. Ce faisant, il faut mettre en œuvre des instruments spécifiques permettant d’évaluer par degrés les troubles émotionnels et comportementaux, et des instructions pour agir en conséquence. Le recours à des médicaments devient alors souvent superflu ou peut être limité au minimum.
Si la prise en charge de la personne démente dans son environnement familier ne peut plus être garantie et s’il est impossible de la convaincre de la nécessité d’un transfert dans une institution, l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA) doit être sollicitée. Le cas échéant, cette dernière peut ordonner un placement à des fins d’assistance (PAFA). Un placement provisoire peut également être ordonné par un médecin, suivant le droit cantonal applicable. Un PAFA n’est en tout cas justifié que lorsque le traitement ou la prise en charge nécessaires ne peuvent pas être assurés d’une autre manière. Le surmenage et la protection des proches doivent également être pris en considération.
Comprendre l’univers des patients constitue une recommandation centrale des directives de l’ASSM. © Lightfieldstudiosprod | Dreamstime.com.

Évaluation et possibilités de traitement des troubles émotionnels et comportementaux

Le Cohen Mansfield Agitation Inventory (CMAI) [3] est l’outil qui permet d’évaluer les comportements agités chez les personnes atteintes de démence, notamment dans le cadre des soins infirmiers. Il permet de quantifier les comportements problématiques, puis d’évaluer leur évolution après le début du traitement. Le recours à des procédés thérapeutiques, tels que la méthode de validation, la stimulation basale et la promotion de l’activité physique, qui se sont avérés efficaces dans le traitement des symptômes neuropsychologiques, devrait être privilégié avant l’administration de médicaments susceptibles d’entraîner des effets secondaires [4]. Une approche centrée sur la personne – et non pas sur la maladie – permet de réduire les états d’agitation et améliore la qualité de vie des patients concernés [5].
Dans le même temps, il importe d’être attentif à la santé et au bien-être des proches aidants. L’expérience montre que cela peut retarder le placement des personnes atteintes de démence dans un EMS [6].

Conclusions

Comment Monsieur M., son épouse et les collaborateurs de Spitex peuvent-ils être soutenus dans la gestion des symptômes neuropsychiatriques éprouvants pour toutes les personnes concernées? Avant le recours à des traitements médicamenteux, des interventions psychosociales et de soins doivent être proposées. Dans le cas présent, une psychoéducation est indiquée. Concernant Monsieur M., celle-ci consiste en des entretiens avec le patient lui-même, son épouse et les collaborateurs de Spitex, dans lesquels des connaissances sur la maladie, son évolution et son pronostic sont transmises. Par ailleurs, des stratégies d’autonomie simples sont proposées [5], par exemple en favorisant une approche calme et sans précipitation, en établissant une communication non verbale avec un contact visuel ou en expliquant les différents actes au patient. De même, les thérapies de milieu, telles que l’instauration d’un environnement structuré et sécurisé, influencent favorablement les symptômes neuro­psychia­triques. Les interventions psychosociales comprennent des activités de conseil à la personne malade et aux proches aidants sur les aspects juridiques, ­sociaux, financiers et organisationnels, une aide pour remplir les formulaires et les demandes, mais également des informations sur les possibles ­services d’aides.
Comprendre l’univers des patients constitue une recommandation centrale des directives de l’ASSM. Dans le cas de Monsieur M., cela signifie qu’il faut évaluer ses besoins et la signification de son comportement problématique et en identifier les causes. Les facteurs tels que les capacités cognitives et les traits de caractère personnels ne peuvent guère être influencés. En revanche, il est tout à fait possible d’agir sur d’autres aspects tels que les douleurs, la faim, la soif, le besoin fréquent d’uriner, la constipation, l’ennui ou les stimuli environnementaux [7]. Un «diagnostic compréhensif» suppose que les professionnels et les proches aient une approche de la personne atteinte de démence qui ne se contente pas de considérations objectives du point de vue des aidants, mais qui tienne compte et intègre également la perspective des patients. Cette approche suppose de connaître l’histoire du patient atteint de démence, en étant conscient de la malléabilité constante de l’expérience et du comportement dans la suite de son histoire [8]. Monsieur M., comptable à la retraite et collectionneur passionné de timbres, n’a pas d’enfants, presque pas d’amis et vivait très en retrait déjà avant sa maladie, avec très peu de contacts avec son épouse dans leur logement commun. En s’efforçant de comprendre l’univers dans lequel vit Monsieur M., on constate qu’il est stressé par la présence simultanée de sa femme et des collaborateurs de Spitex pendant les soins corporels du matin et du soir et que c’est la raison de ses réactions excessives.
La condition à un PAFA est un état de faiblesse du patient (troubles psychiques, déficience mentale ou grave état d’abandon) qui exige un traitement ou une prise en charge ne pouvant être fourni qu’au moyen d’un PAFA dans un établissement approprié (besoin individuel de protection). Une surcharge déraisonnable ou un fardeau excessif imposé aux proches ou à des tierces personnes peut constituer un critère décisif supplémentaire pour l’ordonnance d’un PAFA; un de ces critères ne justifie pas à lui seul un PAFA. Il est à noter qu’un PAFA n’implique pas obligatoirement l’entrée dans une unité psychiatrique fermée, mais peut également se dérouler dans une unité ouverte, un hôpital de soins aigus ou un établissement médico-social. Le choix de l’institution dépend du motif du PAFA [9].
Sur la base de ces réflexions, l’internement de Monsieur M. contre son gré dans un établissement de soins approprié n’est indiqué que si les mesures susmentionnées se sont avérées inefficaces et si, en plus de la charge excessive pour son épouse et les collaborateurs de Spitex, le patient est également atteint d’un «trouble psychique» ou est en souffrance, et a donc un besoin individuel de protection.
PD Dr méd. Klaus Bally
Spécialiste en médecine générale FMH
Universitäres Zentrum für Hausarztmedizin beider Basel | uniham-bb
St. Johanns-Parkweg 2
CH-4056 Basel
klaus.bally[at]unibas.ch
1 Pfister E. L’acceptation et l’implémentation des directives de l’ASSM dans le quotidien médical et infirmier. Bulletin des médecins suisses 2010;91:13/14.
2 Prise en charge et traitement des personnes atteintes de démence. Directives médico-éthique de l’ASSM 2017.
3 Cohen-Mansfield J, Marx MS, Rosenthal AS. A description of agitation in a nursing home. J Gerontology. 1989;44:77–84.
4 Savaskan E, et al. Empfehlungen zur Diagnostik und Therapie der behavioralen und psychologischen Symptome der Demenz (BPSD). Praxis. 2014;135–48.
5 Livingston G, Sommerlad A, Orgeta V, Costrafreda SG, Huntley J, Ames D, et al. Dementia prevention, intervention, and care. The Lancet. 2017;390:2673–734.
6 Mittelman MS, Haley WE, Clay OJ, Roth DL. Improving caregiver well-being delays nursing home placement of patients with Alzheimer disease. Neurology. 2006;67:1592–9.
7 Kolanowski A. An overview of the need-driven dementia-­compromised behavior model. J Gerontol Nurs. 1999;25:7–9.
8 Schwerdt R. Lernen der Pflege von Menschen mit Demenz bei Alzheimer-Krankheit. Zeitschrift für Medizinische Ethik 2005;51:59–75.
9 Mesures de contrainte en médecine. Directives médico-éthiques de l’ASSM 2015.