La coalition tarsienne – une pathologie souvent négligée au quotidien clinique

Fortbildung
Édition
2022/02
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2022.10447
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2022;22(02):61-64

Publié le 09.02.2022

Souvent, de jeunes patientes et patients se présentent au cabinet de médecine de famille avec des douleurs spécifiques de longue date au niveau du médio-pied et/ ou de l’arrière-pied sans étiologie évidente. Que cela pourrait-il dissimuler? Il est possible qu’il existe une coalition tarsienne non détectée par le patient et susceptible d’entraîner des troubles à long terme.

Issu du cabinet de médecine de famille

Etiologie

La cause la plus fréquente d’une coalition tarsienne est due à une malformation embryonnaire dans laquelle des ponts non naturels se forment entre deux ou plusieurs os du médio-pied et de l’arrière-pied, provoquant à leur tour un pied plat (valgus) susceptible d’entraîner des douleurs apparentes [1]. La distinction peut être faite entre des ponts de type osseux (synostose), cartilagineux (synchondrose) et fibreux (syndesmose) [2, 3]. Cette symptomatique survient dans 25% des cas. L’incidence est de 1–2% [3].
Une coalition tarsienne devient typiquement symptomatique entre la 8e et la 16e année de vie [4]. Les deux coalitions les plus fréquentes sont la coalition calcanéo-naviculaire et la coalition talo-calcanéenne (90%) [1, 3]; il existe en outre les coalitions talo-naviculaires, calcanéo-cuboïdiennes ainsi que cubo-naviculaires [3]. Les causes secondaires incluent une genèse rhumatoïde, dégénérative ou post-traumatique [4].

Physiopathologie

La plupart des cas concerne la forme congénitale de la coalition dans laquelle un trouble des cellules mésenchymateuses est provoqué par une mutation génétique, influençant ainsi la croissance des os du tarse [2, 5].
A un jeune âge, les enfants présentent un pourcentage élevé de tissus cartilagineux [2]. Ce n’est qu’avec l’ossification croissante que des douleurs apparaissent ­progressivement - il s’agit du symptôme clé de cette ­pathologie [4]. Dans un premier temps, celles-ci sont déclenchées par les ponts d’union et les restrictions de mouvement qui en découlent au niveau des articulations du pied [1, 5].
Il apparaît souvent aussi un valgus de l’arrière-pied ­associé au tableau clinique d’un pied plat classique [1, 3]. Les deux pieds sont touchés dans 50% des cas [4, 6].

Symptômes/tableau clinique

Les patientes et patients se présentent généralement au cabinet de médecine de famille avec des douleurs existant depuis longtemps au niveau du médio-pied et/ou l’arrière-pied. L’anamnèse indique souvent des entorses récidivantes de cheville [2, 6].
Dans le cadre de l’examen clinique, il convient d’envisager une coalition calcanéo-naviculaire lorsque les douleurs se situent en particulier au-dessus du sinus du tarse ou au-dessous de la fibula distale. En cas de coalition talo-calcanéenne, les restrictions se manifestent généralement en pronation et supination, surtout au niveau de la cheville inférieure. La douleur à la pression se situe typiquement dans la partie distale de la malléole médiale.
Presque tous les patients et patientes présentent une symptomatique douloureuse aggravée par une charge croissante [6].

Diagnostic

Une anamnèse détaillée, telle que décrite ci-dessus, fournit de premières indications relatives au diag­nostic.
Lors de l’inspection du pied, il convient d’examiner la voûte plantaire en vue latérale ainsi que l’arrière-pied en vue dorsale. Dans la plupart des cas, la voûte plantaire est aplatie et la face dorsale présente une malformation en valgus [4]. Celle-ci peut également être ­détectée par le «too many toes sign» (fig. 1). Ce signe est positif lorsque plus d’un orteil et demi est visible 
Figure 1:
«Too many toes sign»: Du fait de la voûte plantaire aplatie et de la malformation en valgus du pied droit, plus d’un orteil et demi est visible.
Lors de l’examen clinique, il convient de rechercher systématiquement des douleurs à la palpation au ­niveau du sinus du tarse, au-dessous de la fibula distale et sur la partie distale de la malléole médiale. Par ailleurs, l’amplitude de mouvement doit être examinée, principalement en termes de pronation et supination de la cheville inférieure, car celle-ci présente souvent une mobilité réduite [1, 5].
L’un des points essentiels de l’examen clinique consiste à distinguer un arrière-pied souple d’un arrière-pied ­rigide. Pour cela, le «test de Jack» (fig. 2) peut être employé de manière concluante. Il consiste à exercer une dorsiflexion du gros orteil. S’il se forme une arche ­longitudinale, l’arrière-pied est souple, tandis que ­l’absence d’arche indique un arrière-pied rigide.
Figure 2: 
«Test de Jack»: A) Arche longitudinale en dorsiflexion du gros orteil – le pied plat est souple; B) En dorsiflexion du gros orteil, la voûte longitudinale reste plate – le pied plat est rigide.
Le test «single heel rise» est un autre test destiné à vérifier la rigidité de l’arrière-pied. Le patient est prié de se tenir sur un pied et de soulever le talon. Sur le plan physiologique, une correction en varus de l’arrière-pied s’observe en vue dorsale. En l’absence de varus ou si le patient ne peut pas soulever le talon, il existe une situation rigide. Une comparaison avec le côté controlatéral doit toujours avoir lieu.
Le diagnostic définitif d’une coalition tarsienne est ­généralement établi par radiographie [1, 3, 5].
Dans le cadre de l’imagerie native, il convient de noter que les radiographies sont réalisées en position debout et en trois plans (antéro-postérieur, latéral et transversal). Le «C sign» (fig. 3) visible en incidence latérale est alors typique d’une coalition tarsienne [4, 5, 6]. Il montre une arche en forme de C qui reflète le pont du talus médial avec l’aspect postéro-inférieur du sustentaculum tali.
Figure 3:
«C sign». Le «C sign», visible en raison du pont entre le talus médial et l’aspect postérieur du sustentaculum tali , est typique d’une coalition tarsienne.
Le «talar beak sign» (fig. 4) est un autre signe de radiographie native [3, 6]. Il montre une excroissance ­osseuse dorso-distale du talus supérieur en incidence latérale. Le «talar beak sign» est le plus souvent visible en cas de coalition talo-calcanéenne, mais survient aussi en présence d’une coalition calcanéo-naviculaire [8].
Figure 4: 
«Talar beak sign». La radiographie native en cas de «talar beak sign» met en évidence un ostéophyte au niveau dorso-distal du talus supérieur.
Afin de confirmer le diagnostic et d’évaluer plus précisément son ampleur, d’autres mesures diagnostiques telles que l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et, le cas échéant, la tomodensitométrie (TDM) sont pertinentes:
  • En raison de l’irradiation qui n’est pas négligeable chez les patients et patientes jeunes, une IRM est d’abord privilégiée. Cela présente l’avantage de ­pouvoir mettre en évidence, en plus des coalitions osseuses, les coalitions cartilagineuses et fibreuses.
  • Une tomodensitométrie est réalisée lorsqu’une prise en charge chirurgicale est indiquée afin de ­définir précisément l’ampleur de la coalition et de mettre en évidence ou exclure avec certitude d’autres coalitions [6].

Vignette de cas: 1ère partie*

Un patient âgé de 48 ans s’est présenté au cabinet de médecine de famille avec des douleurs augmentant depuis un an au niveau du médio-pied et de l’arrière-pied. Cette symptomatique survenait principalement en cas de contrainte répétée lors de son travail en tant que magasinier. L’anamnèse a révélé qu’il avait souffert, en 2013, d’une fracture trimalléolaire à peine déplacée à droite, qui avait guéri sans douleur de manière conservatrice. Des séances de physiothérapie et la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) n’ont pas pu soulager suffisamment les symptômes, de sorte que le patient a été adressé à un spécialiste au bout de trois mois.
La première anomalie constatée est une démarche boiteuse au détriment du côté droit. Par ailleurs, un «too many toes sign» positif est observable, confirmant ainsi une malformation en valgus de l’arrière-pied. Celui-ci se révèle rigide au «test de Jack». Il existe en outre une douleur à la pression dans la région distale de la malléole médiale. La circulation sanguine périphérique, la motricité et la sensibilité sont intactes.
La radiographie native montre un «talar beak sign» classique, le «C sign» ainsi qu’une ossification manifeste complète entre le calcanéum et le cuboïde, une variante plus rare de coalition.
Lors de l’IRM réalisée en complément, le diagnostic définitif suivant est établi: (1) coalition talo-calcanéenne fibro-cartilagineuse, (2) coalition calcanéo-cuboïdienne avec fusion complète et (3) arthrose talo-naviculaire avancée (fig. 5).
La première mesure consiste en une approche thérapeutique conservatrice faisant appel à des semelles rembourrées avec support médial et à des chaussures orthopédiques de série correspondantes. Le patient doit principalement les porter pendant le travail. Toutefois, lors de la consultation de suivi deux mois plus tard, le patient rapporte que les troubles ne présentent aucune amélioration adéquate.
Le patient est donc prié de porter les semelles et les chaussures orthopédiques également en dehors des heures de travail. Il lui est en outre expressément recommandé d’envisager une reconversion professionnelle.
Figure 5:
(1) Coalition talo-calcanéenne fibro-cartilagineuse, (2) Coalition calcanéo-­cuboïdienne avec fusion osseuse complète et (3) arthrose talo-naviculaire avancée.

Traitement

Il existe des options thérapeutiques conservatrices et chirurgicales. Les approches thérapeutiques conservatrices englobent le ménagement, les semelles réalisées sur mesure ainsi que la prescription de chaussures adaptées individuellement [2, 6] qui ont pour but de soutenir l’arche médiale et l’alignement de l’arrière-pied. Des AINS doivent être pris en complément. Dans la plupart des cas, ces mesures aboutissent certes à une amélioration passagère, mais le succès à long terme fait défaut. Lorsque la régression des symptômes est insuffisante, un traitement chirurgical est nécessaire [1, 2].
Les approches thérapeutiques chirurgicales présentent également diverses options en fonction de la coalition en question, de son ampleur et de l’âge du patient ou de la patiente.
Chez les patientes et patients jeunes, chez lesquels la soudure épiphysaire n’a pas encore eu lieu et ne présentant pas d’arthrose avancée, il convient généralement de réséquer la coalition et de procéder à l’interposition de tissu graisseux ou musculaire [2, 5]. Toute déformation supplémentaire du pied est également corrigée. Il s’agit de la procédure chirurgicale la plus courante en cas de diagnostic de coalitions.
Lorsque plus de 50% des surfaces articulaires sont touchées, une arthrodèse sous-talienne est indiquée. La résection de cette coalition n’apporterait aucun soulagement suffisant des douleurs. L’arthrodèse ne montre aucune modification significative de la mobilité puisque celle-ci était déjà restreinte avant l’opération. Dans de graves cas, généralement lorsqu’une coalition est détectée tardivement, la réalisation d’une triple arthrodèse est nécessaire pour soulager les douleurs [5]. Elle consiste à fusionner la totalité de la cheville inférieure. Cette forme d’arthrodèse est ainsi plus souvent requise chez des patients adultes.

Résultats et pronostic

Après l’établissement du diagnostic, il convient d’informer le patient ou la patiente, lors d’un entretien ­ouvert, qu’aucune réadaptation complète n’est généralement attendue. En moyenne, le traitement ne permet ­d’atteindre qu’environ 70% de la charge maximale [9], de sorte qu’il soit nécessaire d’éviter les contraintes élevées au quotidien après achèvement du traitement. Dans la plupart des cas, les douleurs peuvent toutefois être fortement réduites / disparaître complètement, sauf en cas de contrainte maximale.
Dans la littérature, les résultats relatifs aux coalitions talo-calcanéennes et calcanéo-naviculaires n’indiquent aucune différence significative [9].

Consultation d’un spécialiste

Après confirmation radiographique du diagnostic, un traitement conservateur au moyen de semelles adaptées et d’une analgésie de soutien peut être initié. En l’absence d’un soulagement suffisant des symptômes au bout de trois mois, il convient de faire appel à un spécialiste. Il ne faut pas hésiter surtout si l’expérience fait défaut ou s’il existe des incertitudes quant aux ­diagnostics pathologiques du pied.

Vignette de cas: 2e partie

Au bout de trois mois, les symptômes du patient s’avèrent réfractaires et une intervention chirurgicale avec arthrodèse de la cheville inférieure et de la région talo-naviculaire est indiquée (fig. 6). En phase postopératoire, le pied est immobilisé pendant huit semaines au moyen d’un plâtre de la jambe. Parallèlement, une charge partielle de 15 kg doit être maintenue en permanence afin que les arthrodèses puissent se consolider.
L’examen de contrôle après huit semaines révèle une consolidation progressive des arthrodèses en présence de rapports corrects de positionnement: la charge est augmentée à raison de la moitié du poids corporel pendant quatre semaines. En présence d’une évolution sans problème, la charge complète est autorisée trois mois après l’opération avec le port de semelles adaptées. Quatre mois et demi après l’opération, l’activité professionnelle habituelle peut être pour la première fois reprise à 40%.
L’examen six mois plus tard montre que le pied ne supporte pas la charge professionnelle: à la fin de la journée de travail à 40%, de nets œdèmes sont présents et de fortes douleurs apparaissent. Du point de vue orthopédique, le travail habituel n’est pas envisageable à long terme pour le pied et une reconversion professionnelle doit impérativement être initiée.
L’objectif minimum a heureusement été atteint: le patient est entre-temps exempt de symptômes au quotidien et peut même parcourir de grandes distances à pied.
Figure 6: 
Arthrodèse de la cheville inférieure avec vis canulées et arthrodèse talo-­naviculaire avec deux vis de compression.
L'auteur n'a pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Max Willem Berg
Regionalspital Emmental,
Burgdorf Traumatologie/Orthopädie
Oberburgstrasse 54
CH-3400 Burgdorf
maxwillemberg[at]gmail.com
1. . Tarsal coalition in paediatric patients. Orthop Traumatol Surg Res. 2019 Feb;105(1 1S):S123–31. http://dx.doi.org/10.1016/j.otsr.2018.01.019 PubMed
2. . Tarsal Coalition. OrthoInfo [Internet]. 2019 [cited 2021 Mar 16]. Available from: https://orthoinfo.aaos.org/en/diseases--conditions/tarsal-coalition
3 . Congenital tarsal coalition: multimodality evaluation with emphasis on CT and MR imaging. Radiographics. 2000 Mar-Apr;20(2):321-32; quiz 526-7, 532. doi: http://dx.doi.org/10.1148/radiographics.20.2.g00mc03321 . PMID: 10715334.
4. Tarsal coalition. Radiopaedia [Internet]. 2021 [cited 2021 Mar 16]. Available from: https://radiopaedia.org/articles/tarsal-coalition"Et al" found after fewer than 6 authors. Please check reference (Ref. 4 "Baba, Amini, et al., 2021")
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