Rester en bonne santé dans le quotidien médical

Lehre / Didactique
Édition
2022/06
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2022.10459
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2022;22(06):174-177

Publié le 08.06.2022

La charge de travail élevée des médecins peut avoir une influence négative sur leur santé psychique et physique et sur la qualité du traitement des patients. Les facteurs de personnalité et les compétences qui s’apprennent peuvent aider à surmonter ces défis de taille et à rester soi-même en bonne santé.

Introduction

Un atelier pour renforcer la résilience des futurs médecins
La profession de médecin possède de nombreux aspects radieux, mais elle s’accompagne également d’une charge de travail élevée, d’une incidence élevée des burn-out, et d’une part grandissante de tâches administratives [3, 4]. En Suisse, près de 20% des médecins-assistants souffrent d’un mal-être, regrettent leur choix de carrière ou présentent des symptômes d’épuisement émotionnel et de dépersonnalisation [1]. Le mal-être est corrélé à une faible satisfaction professionnelle, à la multiplication d’erreurs médicales, aux idées suicidaires, et au souhait de quitter la profession [1]. Une étude suisse de 2019 a montré que sur la période de promotion 1980–2009, un médecin sur sept avait quitté le domaine des soins avant août 2015 [2]. Cela renforce la pénurie de médecins qui existe en Suisse depuis des années. Outre la création de nouvelles places de formation, il est indispensable de réduire le taux de médecins qui quittent la profession.
La résilience des médecins est influencée par des facteurs internes et externes. Parmi les facteurs internes, on compte le rôle du système de santé, les facteurs personnels ainsi que certaines compétences et aptitudes [5]. Parmi les facteurs externes, on compte les réalités socioculturelles et organisationnelles, l’environnement d’apprentissage et les conditions cadre règlementaires (par ex. autonomie, compétences, salaire, part de tâches administratives) [5]. La littérature contient diverses études qui ont analysé les interventions pour la réduction du stress chez des médecins exerçant dans le contexte clinique. Des effets positifs ont été montrés pour les mesures individuelles (par ex. temps de réflexion structurel, formats de groupe) comme pour les changements organisationnels/structurels (par ex. rotations moins longues) [6].
Au cours des études de médecine, l’accent est mis sur l’apprentissage des tableaux cliniques, des diagnostics et des traitements. Les façons de s’y retrouver parmi les divers fardeaux et rôles, très exigeants pour les jeunes médecins, ne sont en revanche guère abordées.
Par conséquent, sous la direction de l’Institut de médecine de famille, un nouvel atelier facultatif a été développé à l’université pour les étudiants en cinquième année de médecine. Dans cet atelier, les étudiants sont sensibilisés aux défis d’avenir et formés pour les surmonter. En ce qui concerne le contenu, l’atelier est orienté vers des expériences vécues dans le contexte clinique ainsi que vers des interventions de groupe établies [7]. Un premier cours a eu lieu en février 2020 sous forme de projet pilote, avec pour titre «Bald Ärztin, bald Arzt – und jetzt?» («Bientôt médecin – et maintenant?»). Cet article traite du développement et du contenu de ce cours, ainsi que de ses bénéfices et de son effet du point de vue des étudiants.

Contenu du cours

Le cours s’est déroulé avec 12 participants lors de deux matinées espacées de deux semaines, pendant la période entre le stage en bloc et l’année d’études à option. Le cours a traité sept thématiques différentes. Les objectifs d’apprentissage, le format et les contenus des blocs thématiques des deux demi-journées sont présentés dans la figure 1.
Figure 1:
Demi-journées 1 et 2.

Méthodologie de l’évaluation

Le cours a été évalué en deux étapes. A la fin du cours, il a été discuté par groupes de spécialité de six participants comment ont été perçues les différentes composantes du cours et comment le cours pourrait être amélioré. Il a en outre été demandé aux étudiants ce qu’ils avaient retenu de ce cours et ce qu’ils souhaitaient mettre en application dans le quotidien clinique de l’année d’études à option.
Tous les participants ont en outre remplis un questionnaire. La première partie de ce questionnaire contenait des questions auxquelles il fallait répondre au moyen d’une échelle de Likert à cinq niveaux (1 = pas du tout pertinent; 5 = tout à fait pertinent). La seconde partie était composée de questions ouvertes et d’une évaluation ­globale avec une note allant de 1 à 6. Quatre mois après le cours, une nouvelle enquête auprès des membres a eu lieu avec certaines questions identiques ainsi que des questions supplémentaires pour la mise en œuvre des aptitudes apprises. Les participants ont pendant ce temps démarré l’année d’études à option et ont pu y appliquer dans leurs stages les compétences acquises.

Résultats

En moyenne, les participants ont attribué au cours une note globale de 5,6 sur 6. 36,4% ont attribué au cours un 5, et 63,6% un 6. Le cours a majoritairement été considéré comme utile et pertinent pour l’avenir en tant que médecin (4,6 sur 5). Les étudiants ont indiqué avoir approfondi leur connaissance d’eux-mêmes. Ils ont en outre affirmé avoir découvert de nouvelles ressources grâce au cours (4,7 sur 5).
A la fin du cours, les étudiants se sont vu confier la mission de noter trois points qu’ils souhaitaient utiliser lors de l’année d’études à option. Lors du sondage réalisé quatre mois plus tard, les participants ont indiqué n’avoir pu atteindre que partiellement leurs objectifs (3,5 points en moyenne sur une échelle de Likert). Le tableau 1 représente les valeurs moyennes de toutes les réponses.
Tableau 1:
Evaluation du cours directement à l’issue de celui-ci ainsi que quatre mois plus tard; les données indiquées sont des moyennes sur une échelle de Likert à cinq ­niveaux.
 1. Evaluation (échelle: 1–5) n = 112. Evaluation (échelle: 1–5) n = 9
Les informations sur le cours étaient suffisantes (temps, lieu, documents)4,2 
L’information sur l’objectif et le but du cours était claire3,6 
Les locaux étaient adaptés et appropriés4,7 
Le cours était bien structuré5 
Une réponse a été apportée à mes questions durant ce cours4,2 
Mes attendes ont été comblées4,3 
La durée du cours était optimale4,3 
Les contenus sont pertinents pour moi4,64,2
J’ai appris à mieux me connaître4,64,3
J’ai découvert de nouvelles ressources/techniques4,74,3
Le cours était a été utile pour moi4,54,7
Le cours est utile pour mon avenir en tant que médecin4,64,4
Je suis parvenu à mettre en œuvre les trois points 3,5
Dans les questions ouvertes du questionnaire et les groupes de spécialité, les quatre parties de cours suivantes ont été considérées comme particulièrement positives:
1. Analyse de la situation
L’exercice d’analyse des situations difficiles a été considéré comme essentiel par les étudiants. Concrètement, une personne s’est par exemple proposé d’appliquer la technique d’analyse dans les situations difficiles afin de distinguer ce qui relève des pensées, des sentiments, des besoins et des observations.
Un autre participant a ajouté: «Je pense qu’il ne faudrait surtout pas réduire cet exercice. C’est presque comme une séance de psychiatrie. Les émotions présentes pendant l’exercice montrent également que c’est nécessaire.»
2. Communication dans le quotidien hospitalier
Les exercices de communication ont également été perçus comme stimulants et utiles par les étudiants. Ces derniers ont été encouragés à aborder ouvertement les problèmes, à rechercher des solutions et à rechercher par miroitement le réel souhait de l’Autre. En outre, ils souhaitent entretenir une culture ouverte du feedback et contribuer à une atmosphère dans laquelle personne ne redoute de poser des questions en cas de situation complexe.
«L’exercice de communication non violente m’a beaucoup impressionné car je n’avais pas conscience [...] qu’en fonction de ce qu’on interprète et de ce qu’on ressent, [...] on peut avoir une perception totalement erronée de la situation.»
3. Gestion des émotions
Les étudiants souhaitaient aborder de façon plus approfondie la gestion des émotions. Une personne s’est proposé de commencer un journal de bord dans lequel elle noterait les beaux moments et les situations drôles. Une personne voulait utiliser la liste discutée d’émotions et de stratégies adaptées. Une personne a reconnu avoir la capacité de transmettre de la joie aux collègues et aux patients.
4. Intentions plus profondes en tant que médecin
Les étudiants ont apprécié l’exercice sur leurs intentions en tant que médecin. La carte contenant les propres intentions est renvoyée aux participants une fois l’examen d’Etat passé; cette idée leur a plu.
«J’ai trouvé ça excellent qu’on ait dû réfléchir à ce qu’on voulait vraiment. Pourquoi est-ce que je fais ce métier-là? What keeps me on the line?»
Comme adaptation potentielle du cours, une extension contenant différents autres thèmes a été proposée: équilibre vie professionnelle/vie privée, projet d’enfant et profession, surprises en début de carrière, gestion des erreurs et communication avec la hiérarchie. Lors du second sondage, d’autres thèmes ont été mentionnés, comme la gestion de la mauvaise humeur dans l’équipe ou les relations avec les autres professions. Comme amélioration, les participants recommandent de prolonger le cours d’une demi-journée sans modifier la taille des groupes.

Discussion

L’atelier de résilience a été piloté avec succès avec 12 participants et affichait une grande satisfaction des participants, avec une note globale de 5,6. Les étudiants qui y ont pris part ont perçu comme très utiles les compétences acquises dans les domaines de la communication ou de la gestion des émotions.
La limite de l’atelier, c’est son caractère optionnel; il est probable que les étudiants qui s’y sont inscrits soient majoritairement des personnes ayant un intérêt pour une extension des connaissances dans ce domaine. Par conséquent, il n’est que partiellement possible d’évaluer quels seraient les besoins dans le domaine chez les autres étudiants. L’évaluation du projet pilote s’appuyait en outre exclusivement sur l’enquête auprès des participants. Cette évaluation ne permet donc de répondre que partiellement à la question de savoir dans quelle mesure ce cours aidera les participants dans la gestion des situations professionnelles difficiles.
Dans la seconde enquête menée après quatre mois, il a été constaté que l’utilité du cours pendant les stages de l’année d’études à option était encore plus grande que ce qui était estimé initialement, ce qui souligne la bonne applicabilité des thèmes. Cependant, chez la plupart des étudiants, la mise en œuvre des stratégies discutées ne fonctionnait que moyennement. D’une part, les participants pouvaient appliquer les principes appris, mais d’autre part, l’analyse de situation ou la création de cercles de pairs était difficile au quotidien. La phase de mise en œuvre a également été impactée par la pandémie de Covid-19, ce qui s’est par exemple traduit par l’impossibilité de rencontrer régulièrement les pairs en personne. Des améliorations seraient possibles en ce qui concerne l’activation des acquis au quotidien et le soutien d’autres réunions ou d’autres «refresher» même au format numérique, afin de pouvoir encore mieux appliquer au quotidien les compétences acquises. Des formats établis issus du domaine de la promotion de la santé par les médecins vont également dans le sens d’un rafraîchissement fréquent. Ainsi, l’étude anglaise mentionnée en début d’article prévoyait par exemple une heure de réflexion individuelle ou de réflexion de groupe tous les 14 jours pendant 9 mois [7].
Le feedback globalement excellent des participants incite le BIHAM à proposer à l’avenir le cours comme une offre permanente à l’université de Berne, et à développer ses offres visant à renforcer la résilience des futurs médecins.
Figure 2:
Travail de groupe dans le cadre de l’atelier de ­résilience.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Cand. med. Sarah Oppliger
Berner Institut für ­Hausarztmedizin (BIHAM)
Universität Bern
Mittelstrasse 43
CH-3012 Bern
sarah.raetz[at]students.unibe.ch
1 Zumbrunn B, Stalder O, Limacher A, Ballmer P, Bassetti S, Battegay E, et al. The well-being of Swiss general internal medicine residents. Swiss medical weekly. DOI: https://doi.org/10.4414/smw.2020.20255
2 Streit S, da Costa B, Christensen S, Tal K, Tandjung R, Jüni P. One in seven Swiss physicians has left patient care – results from a national cohort study from 1980 – 2009. Swiss medical weekly. DOI: https://doi.org/10.4414/smw.2019.20116
3 Bornschein S, Erbas B, Borelli S, Emminger C, Hesse J, Pilz J, et al. Arbeitszeit und Arbeitszufriedenheit angestellter und beamteter Arzte in München. Ergebnisse einer anonymen Befragung [Working hours and job satisfaction among physicians in hospitals and general practice in Munich. Results of an anonymous questionnaire]. Gesundheitswesen. 2006;68(8-9):535–44. In German. doi:. http://dx.doi.org/10.1055/s-2006-927070 PubMed
4 Pantenburg B, Luppa M, König HH, Riedel-Heller SG. Burnout among young physicians and its association with physicians’ wishes to leave: results of a survey in Saxony, Germany. J Occup Med Toxicol. 2016;11(1):2. doi:. http://dx.doi.org/10.1186/s12995-016-0091-z PubMed
5 Brigham T, B. C., Dopp AL. (2019). A journey to construct an all-encompassing conceptual model of factors affecting clinician well-being and resilience. Retrieved from https://nam.edu/journey-construct-encompassing-conceptual-model-factors-affecting-clinician-well-resilience/
6 West, C. P., Dyrbye, L. N., Erwin, P. J., & Shanafelt, T. D. (2016). Interventions to prevent and reduce physician burnout: a systematic review and meta-analysis. Lancet (London, England), 388(10057), 2272-2281. doi:10.1016/S0140-6736(16)31279-X 7 West, C. P., Dyrbye, L. N., Rabatin, J. T., Call, T. G., Davidson, J. H., Multari, A., . . . Shanafelt, T. D. (2014). Intervention to promote physician well-being, job satisfaction, and professionalism: a randomized clinical trial. JAMA internal medicine, 174(4), 527-533. doi:10.1001/jamainternmed.2013.14387