Genre en médecine de premier ­recours

Themenschwerpunkt
Édition
2022/07
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2022.10540
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2022;22(07):217-219

Publié le 06.07.2022

De nombreuses différences existent entre femmes et hommes, tant biologiques que sociales. Cet article présente trois illustrations de l’impact que peut avoir le genre sur des thématiques importantes en médecine de premier recours: la douleur, le vieillissement et la violence.

Introduction

Le sexe biologique et le genre social impactent directement la santé des femmes et des hommes [1]. Souvent, ces deux concepts sont confondus [2]. L’institut canadien de recherche en santé les définit de la façon suivante (Tab. 1):
Quelques illustrations
Tableau 1: 
Définition du sexe et du genre selon l'institut canadien de recherche en santé [3].
SexeAttributs biologiques des humains et des animaux, y compris les caractéristiques physiques, les chromosomes, l'expression des gènes, les hormones et l'anatomie.
GenreRôles, comportements, expressions et identités socialement construits des filles, des femmes, des garçons, des hommes et des personnes de genre différent.
Distinguer ces deux notions est utile pour savoir si les différences observées en santé sont dues à des effets biologiques ou à des effets sociaux, car les interventions à mener dans ces deux cas de figure sont différentes. Il existe deux biais de genre fréquents en santé. Le premier est de croire que les corps et la santé des femmes et des hommes sont similaires. Le deuxième est d’imaginer des différences là où il n’y en a pas [4]. On parle respectivement d’aveuglement et de stéréotype face au genre.
Ces concepts sont étudiés dans la discipline médicale de médecine et genre. Cette dernière touche tous les domaines de la médecine dont la médecine de premier recours. Cet article propose d’aborder différentes thématiques spécifiques au genre dans la perspective de la médecine de premier recours. Il s’inspire de points clefs qui ont été abordés durant le module «Sex and Gender in Primary Care» de la formation Certificate of Advanced Studies in Sex- and Gender- Specific Medicine [5] qui a eu lieu dans sa première édition les 6 et 7 décembre 2021 à Berne.
Nous avons sélectionné les sujets de la douleur, du vieillissement et des violences en raison de leur importance dans une consultation de médecine de premier recours. Ces thématiques illustrent bien l’étendue de l’impact du sexe et du genre en santé ainsi que l’influence des stéréotypes de genre sur la prise en charge des patient·e·s.

Genre et douleur

Des différences existent entre femmes et hommes dans les voies de signalisation, l’expression et le traitement des douleurs. Tant des dimensions biologiques, psychologiques que socioculturelles induisent ces différences [6]. Sur le plan biologique, les voies de signalisation qui conduisent les stimuli nociceptifs sont modulées de façons différentes entre femmes et hommes, notamment par les hormones sexuelles [7] et par certains gènes qui sont exprimés de façon différente entre les sexes [6]. Les différences biologiques expliquent en partie pourquoi les femmes souffrent plus de douleurs chroniques [8] et ont un seuil à la douleur plus bas [9].
L’expression de la douleur, elle, est principalement modulée par les attentes socioculturelles liées au genre [7]. En effet, bien qu’il soit plus accepté qu’une femme exprime sa douleur qu’un homme [6], la douleur est plus volontiers interprétée comme psychique et exagérée chez celle-ci. Ce paradoxe est en partie engendré par les biais de genre existant dans les soins [7]. Ainsi, certaines études ont montré que les médecins tendent à conclure à tort plus souvent à une cause psychologique de la douleur chez les femmes et somatiques chez les hommes [10]. En conséquence, les femmes reçoivent en moyenne moins d’antidouleurs et plus d’antidépresseurs [7].
Selon Hamberg et al. [10], des différences sont également notables lorsque l’on compare la prise en charge de la douleur proposée par des médecins femmes avec celle faite par des médecins hommes. En moyenne, les médecins femmes posent plus de questions concernant la dimension psychosociale. Les médecins hommes tendent à poser plutôt des questions concernant le travail aux patients hommes et plus de questions par rapport à la vie domestique chez les femmes.
Les biais de genre des soignant·e·s sont une des raisons expliquant la prise en charge inégale de la douleur entre homme et femme. Pour une prise en charge optimale de la douleur, intégrer le sexe et le genre et reconnaître la présence des biais de genre sont des étapes nécessaires [11].

Messages-clés

  • Le fait que la prévalence de la douleur soit plus haute chez les femmes et que leur seuil de tolérance soit plus bas est expliqué en partie par des facteurs biologiques.
  • L’expression de la douleur est fortement influencée par la socialisation des personnes qui diffère en fonction du genre.
  • Les biais de genre des médecins impactent leur prise en charge de la douleur en clinique, les reconnaître est une étape indispensable pour une meilleure prise en charge.

Genre et vieillissement

Il y a plus de femmes que d’hommes dans le groupe d’âge des ≥65 ans en Suisse (899 207 femmes et 730 463 hommes en 2020). Les personnes âgées, particulièrement à partir de 80 ans, sont donc plus souvent des femmes (ratio 1,6; 281 977 femmes : 176 312 hommes) [12]. À un âge avancé, celles-ci vivent aussi plus souvent seules, alors que les hommes vivent encore avec leur conjoint·e [13]. Dans une perspective de parcours de vie, les inégalités de genre s’accumulent au fil des années. Cela engendre des différences notables dans l’état de santé, dans la manière d’appréhender celui-ci et dans le vécu des personnes âgées entre femmes et hommes. Notamment, les femmes ont un comportement plus proactif et préventif dans la santé que les hommes [14], par exemple face au tabagisme [15] ou à l’alimentation, mais elles sont moins actives physiquement. En terme de déterminants sociaux, les femmes ont par contre un niveau de formation moins élevé et sont plus à risque de pauvreté que les hommes [16].
Afin d’illustrer les différences entre femmes âgées et hommes âgés, nous avons sélectionné l’exemple des démences. Par exemple, deux tiers des personnes souffrant de la démence d’Alzheimer sont des femmes, mais il n’est pas clair si le risque ajusté à l’âge est effectivement supérieur chez les femmes. Parmi les facteurs liés au sexe et au genre favorisant cette maladie, nous pouvons citer la dépression ainsi qu’un bas niveau socioéconomique. Les femmes ont moins d’opportunités tant éducatives que professionnelles, alors que le niveau socio-éducatif est reconnu comme un facteur protecteur des démences. En ce qui concerne les démences vasculaires, le tabagisme et la maladie coronarienne augmentent le risque chez les hommes. Chez les femmes, c’est la présence du diabète et de l’hypertension sur une plus longue durée qui les expose [17].
Jusqu’à présent, le sexe et le genre n’ont peu ou pas été pris en compte pour la détection et la prise en charge des démences. Etudier les différences entre sexes permettrait une meilleure compréhension de ces maladies et probablement des améliorations dans leur prise en charge et leur traitement [18].

Messages-clés

  • Femmes et hommes accumulent des inégalités au cours de la vie, créant des différences dans leur lien à la santé.
  • Des différences existent entre femmes et hommes dans les facteurs de risque de démence tant sociaux que biologiques.
  • Une prise en compte différenciée selon le genre permettrait probablement une amélioration de la prise en charge et du traitement de ces maladies.

Genre et violence par un partenaire intime

L’OMS définit la violence exercée par un partenaire (ou ex-partenaire) intime comme tout comportement ­causant un préjudice ou des souffrances physiques, psychologiques ou sexuelles aux personnes au sein d’une relation [19]. Il s’agit entre autres d’agressions physiques, de la coercition sexuelle, de la violence ­psychologique (rabaissement, insultes, intimidation, menaces) et de comportements autoritaires ou tyranniques (isoler une personne de sa famille ou ses ami·e·s, surveiller ses faits et gestes, limiter son accès aux ressources financières, d’aide ou d’information).
La violence par le partenaire intime touche particulièrement les femmes, de tous milieux socio-culturels et de tous âges [20]. De 2016 à 2020, en Suisse, 10 homicides ont eu lieu dans le cadre de relation entre (ex-) partenaires intimes. Parmi les 10 victimes, 9 étaient des femmes [21]. Cette violence fondée sur le genre découle des rapports de pouvoir inégaux entre les femmes et les hommes dans la société [22]. Elle a des conséquences particulièrement importantes sur la santé mentale et physique des femmes [23]. En Suisse, une femme sur cinq a subi des violences physiques et/ou sexuelles par un partenaire intime au cours de sa vie [24].
Pour les médecins de premier recours, il n’est pas toujours aisé d’aborder le sujet de la violence dans le couple avec les patient·e·s. Un protocole d’intervention à l’usage des professionnel·le·s, le DOTIP est disponible. Cet acronyme correspond à: «détecter la violence, offrir un message clair de soutien, traiter la situation, informer, protéger et prévenir la récidive» [25, 26].

Messages-clés

  • La violence par un·e partenaire ou ex-partenaire intime est fréquente et les femmes en sont les principales victimes.
  • Les conséquences de cette violence sur la santé sont importantes.
  • Le DOTIP est un outil d’aide à la détection et à l’orientation des victimes à disposition des médecins de premier recours.

Conclusion

En conclusion, les différences observées en santé entre les femmes et les hommes sont dues parfois à des facteurs biologiques, parfois à des facteurs socioculturels de genre, et souvent aux deux à la fois. De plus, le système de santé contribue parfois à renforcer ces différences, comme nous l’avons vu à travers les exemples de prise en charge de la douleur, de la démence et des violences. Pour agir sur les biais de genre dans la prise en charge clinique, la première étape est de reconnaître que médecins et soignant·e·s, comme tout un chacun·e, sont influencé·e·s par des stéréotypes. Il est important de savoir les repérer pour les remettre en question, afin d’offrir des prestations optimales aux patient·e·s. Lors d’une consultation, il s’agirait en premier de se demander ce qui aurait été différent si le/la patient·e était d’un autre sexe/genre. Une autre question est de savoir comment notre identité – le fait par exemple d’être une femme/un homme – influence notre pratique médicale. Ces questionnements peuvent s’inscrire dans le cadre d’une approche réflexive [27] et peuvent s’appliquer à d’autres caractéristiques socioculturelles comme l’origine ethnique ou la classe sociale.
Marie-Garance Meuwly
Département de Médecine de Famille
Centre universitaire de médecine générale et santé publique (Unisanté)
Université de Lausanne
Rue Pré-du-Marché 23
CH-1004 Lausanne
mariegarance.meuwly[at]gmail.com
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