Partie 7: décisions relatives à la réanimation

Fortbildung
Édition
2022/10
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2022.10554
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2022;22(10):318-320

Publié le 05.10.2022

Après être entrée dans le cabinet de la médecin de famille et avoir rempli les formalités d'inscription, Madame U., qui utilise un déambulateur pour se déplacer, s'assoit dans la salle d'attente. Soudain, l'assistante médicale travaillant à la réception entend un fracas, se précipite dans la salle d'attente et trouve Madame U. allongée sur le sol. Quelques secondes plus tard, le Dr F. se trouve dans la salle d'attente et constate qu'un arrêt circulatoire s'est produit.

Directives médico-éthiques de l’ASSM
L’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) élabore et publie depuis plus de 40 ans des directives médico-éthiques qui fournissent, aux cliniciens, aux chercheuses et chercheurs ainsi qu’aux autres professionnels de la santé dans les hôpitaux et les cabinets, des informations et des conseils pour leur pratique quotidienne. Les directives sont régulièrement vérifiées, adaptées aux expériences de la pratique ou à l’évolution des valeurs ou, au besoin, retirées en cas de changement du cadre juridique, par exemple. Une enquête [1] a révélé que le degré de notoriété des directives médico-éthiques était variable. Environ 20% des personnes interrogées connaissent le contenu de certaines directives, 35% en connaissent des contenus isolés; les autres n’ont jamais entendu parler des directives ou ne connaissent guère leur contenu.
La rédaction de Primary and Hospital Care s’est donnée pour mission de présenter le contenu de quelques directives de l’ASSM et de les associer à des exemples pratiques issus du quotidien médical. Les directives suivantes ont été choisies: 1. Directives anticipées; 2. Mesures de contrainte en médecine; 3. Soins palliatifs; 4. Attitude face à la fin de vie et à la mort; 5. Traitement médical et prise en charge des personnes en situation de handicap; 6. Prise en charge et traitement des personnes ­atteintes de démence; 7. Décisions de réanimation; 8. Collaboration corps médical – industrie.

Exemple de la pratique: Décision ­concernant l’introduction/la poursuite de mesures de réanimation

Madame U., 78 ans, ancienne couturière dans une petite entreprise, vit avec son mari, également retraité, dans une petite maison individuelle à la campagne. Son médecin de famille de longue date du village voisin part à la retraite. Dans le but d’assurer la continuité des soins, Madame U. consulte pour la première fois le Dr F., qui vient d’ouvrir un cabinet de médecine de famille dans le quartier. Le dossier médical de Madame U. se trouve encore dans le cabinet de son médecin de famille de longue date.
Après être entrée dans le cabinet de la médecin de famille et avoir rempli les formalités d’inscription, Madame U., qui utilise un déambulateur pour se déplacer, s’assoit dans la salle d’attente. Soudain, l’assistante médicale travaillant à la réception entend un fracas, se précipite dans la salle d’attente et trouve Madame U. allongée sur le sol. Quelques secondes plus tard, le Dr F. se trouve dans la salle d’attente et constate qu’un arrêt circulatoire s’est produit. Après une brève réflexion, le Dr F. commence la réanimation cardio-pulmonaire et donne en même temps l’ordre à l’assistante médicale d’appeler l’ambulance avec un médecin urgentiste de l’hôpital régional situé à 2 km. L’assistante médicale a ensuite reçu pour consigne d’appeler le mari de Madame U. pour savoir si des directives anticipées avaient été rédigées. Huit minutes après avoir demandé une ambulance, l’équipe de secours arrive. Après une seule défibrillation pour fibrillation ventriculaire, un rythme d’échappement ventriculaire bradycardique avec une fréquence cardiaque de 30 battements/minute peut être documenté. Le médecin urgentiste décide de procéder à une intubation endotrachéale pour sécuriser les voies respiratoires. Immédiatement après l’intubation, l’assistante médicale arrive dans la salle d’attente et annonce qu’elle a parlé avec le mari de Madame U: il y a quelques mois, Madame U. a été diagnostiquée d’une démence de type Alzheimer à la clinique de la mémoire de la capitale du canton. Madame U. a alors rédigé des directives anticipées dans lesquelles elle a exprimé sa volonté de n’être en aucun cas réanimée en cas d’arrêt cardiocirculatoire.
La médecin de famille F. attire l’attention de l’équipe de secours sur le fait que la réanimation doit être arrêtée immédiatement, conformément à la volonté exprimée par avance par Madame U. Le médecin urgentiste et chef de l’équipe de secours estime que l’on ne peut pas arrêter une réanimation une fois qu’elle a commencé. Une administration d’atropine et éventuellement d’adrénaline ainsi que, le cas échéant, une stimulation externe transcutanée seraient désormais indiquées. En présence d’un bloc AV de type III, il faudrait probablement procéder à une angiographie coronarienne ­rapide et, le cas échéant, à l’implantation d’un stimulateur cardiaque à l’hôpital cantonal. Madame U., intubée, est transportée directement en ambulance à l’hôpital cantonal pour la suite du traitement. La médecin de famille se demande si elle a bien fait de commencer la réanimation chez cette patiente de 78 ans qui se déplace avec un déambulateur.

Que disent les directives de l’ASSM à ce sujet [2]?

La nécessité d’un consentement explicite à un traitement s’applique en principe aussi aux mesures de réanimation. Comme la patiente n’est pas capable de discernement en cas d’arrêt circulatoire [3], il n’est pas possible d’obtenir un consentement éclairé à ce moment-là. Le Code civil (CC) suisse [4] stipule que, dans une telle situation d’urgence, la médecin ou le médecin prend les mesures médicales conformément à la ­volonté présumée et aux intérêts de la personne incapable de discernement. Si la volonté (présumée) est connue, toutes les mesures doivent s’y conformer. Dans la mesure où les circonstances le permettent (contrainte de temps, lieu de l’arrêt circulatoire, etc.), l’équipe de secours doit rechercher des indices qui permettent de déduire la volonté (présumée) de la patiente ou du patient. Si la personne concernée refuse les tentatives de réanimation, aucune mesure de réanimation ne doit être prise. S’il n’est pas possible de ­déterminer la volonté (présumée) de la patiente ou du patient, ses intérêts sont déterminants et une tentative de réanimation doit être effectuée, à moins qu’elle ne soit vouée à l’échec. Une tentative de réanimation est considérée comme vouée à l’échec lorsqu’il est hautement probable, du point de vue du pronostic, qu’une prolongation de la vie à court ou moyen terme, avec une qualité de vie supportable du point de vue de la patiente ou du patient, est exclue.
S’il s’avère seulement après le début des mesures de réanimation que celles-ci ne correspondent pas à la volonté (présumée) de la patiente ou du patient, par exemple sur la base d’une directive anticipée ou de déclarations crédibles de représentants et/ou de proches, la tentative de réanimation doit être interrompue. Les directives de l’ASSM stipulent explicitement que même si une circulation spontanée a déjà pu être rétablie avec succès à ce moment-là, l’action doit être guidée par la volonté (présumée) de la personne concernée.
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Evaluation de la démarche et conclusions

La médecin de famille, le Dr F., a agi correctement en commençant immédiatement la réanimation de Madame U. Il n’a pas été possible de déterminer une volonté présumée dans la situation d’urgence. Il fallait donc agir dans l’intérêt bien compris de la patiente. L’âge de 78 ans et l’utilisation d’un déambulateur n’étaient pas des arguments en défaveur de la mise en œuvre de mesures de réanimation. Le fait que l’arrêt circulatoire ait été quasiment observé et que la réanimation ait débuté quelques secondes plus tard était un facteur pronostique favorable. En principe, dans cette situation, il existait pour Madame U. une chance réelle de pouvoir continuer à vivre sans séquelles graves de l’arrêt circulatoire. Des études montrent qu’une réanimation peut également être couronnée de succès chez des patientes et patients très âgés hospitalisés (env. 10% de survie neurologique intacte, même chez les plus de 90 ans, selon une étude de registre suédoise portant sur plus de 10 000 cas de réanimation en milieu hospitalier chez des personnes de plus de 70 ans) [5]. Pour évaluer le succès de la réanimation, différents systèmes de score sont utilisés, comme le Prognosis after Resuscitation Score (PAR) ou le Pre-Arrest Morbidity Score (PAM) [6], qui quantifient les atteintes et/ou les maladies préexistantes. Les facteurs pronostiques les plus défavorables, tant en termes de survie que de qualité de vie, se sont avérés être les tumeurs hématologiques malignes métastatiques et actives, suivies par les limitations importantes dans les activités de la vie quotidienne. Si plusieurs de ces facteurs sont présents, le risque d’atteinte neurologique augmente encore, car le pronostic pour ces patientes et patients est déjà défavorable en raison de leur état de santé avant la survenue de l’arrêt circulatoire. Dans la situation actuelle, rien ne laissait penser au Dr F. qu’une tentative de réanimation était vouée à l’échec.
L’affirmation du médecin urgentiste selon laquelle la réanimation ne doit pas être interrompue si elle a déjà commencé n’était pas correcte. Même si une circulation spontanée (Return of Spontaneous Circulation [ROSC]) a déjà pu être rétablie après le début d’une réanimation, il convient d’agir dans le respect de la volonté (présumée) de la patiente. Les directives précisent que les mesures déjà engagées (par ex. intubation, ventilation) doivent être poursuivies jusqu’à l’arrivée à l’hôpital, mais qu’aucune mesure de réanimation supplémentaire au sens propre du terme (par ex. administration de catécholamines, d’antiarythmiques) ne doit être prise et qu’aucune mesure de réanimation supplémentaire ne doit être entreprise en cas de nouvel arrêt circulatoire. Si la patiente doit continuer à être ventilée, la ventilation doit être arrêtée et la patiente doit uniquement recevoir des soins visant à soulager ses symptômes.
Dans la situation concrète de Madame U., il était correct d’amener la patiente intubée à l’hôpital; toutefois, lors du transport en ambulance, il n’aurait en aucun cas fallu procéder à des mesures de réanimation et, après l’arrivée à l’hôpital, il aurait été indiqué d’arrêter la ventilation artificielle.
En effet, on peut supposer qu’une patiente qui a refusé la réanimation dans des directives anticipées, parce qu’elle considère que sa vie est terminée et achevée, parce qu’elle ne veut pas voir la maladie d’Alzheimer progresser ou encore parce qu’elle veut éviter les risques à long terme de la réanimation (lésions neurologiques), ne changera pas de volonté dans la situation aiguë. Le point décisif (également sur le plan juridique) est que, dans la situation qui suit un ROSC, les risques de dommages à long terme que la patiente espère éviter par son veto à la réanimation subsistent.
PD Dr. med. Klaus Bally
Facharzt für Allgemeine Medizin FMH
Universitäres Zentrum für Hausarztmedizin beider Basel | uniham-bb
St. Johanns-Parkweg 2
CH-4056 Basel
klaus.bally[at]unibas.ch
1 Die Rezeption und Implementierung der SAMW-Richtlinien im medizinischen und pflegerischen Alltag. Schweizerische Ärztezeitung 2010; 91:13/14.
2. Décisions de réanimation. Directives médico-éthiques de l'ASSM. www.assm.ch/decisions-reanimation
3. La capacité de discernement dans la pratique médicale. Directives médico-éthiques de l'ASSM. https://www.assm.ch/fr/Ethique/Apercu-des-themes/Capacite-de-discernement.html
4 Zivilgesetzbuch Art. 379
5.  Survival and neurological outcome in the elderly after in-hospital cardiac arrest. Resuscitation. 2017 Sep;118:101–6. http://dx.doi.org/10.1016/j.resuscitation.2017.07.013 PubMed
6. . Evaluation of pre-arrest morbidity score and prognosis after resuscitation score and other clinical variables associated with in-hospital cardiac arrest in southern Sweden. Resuscitation. 2014 Oct;85(10):1370–4. http://dx.doi.org/10.1016/j.resuscitation.2014.07.009 PubMed