Pour une prise en charge moins pathologisante et stigmatisante

La place accordée à l’intersexuation dans la formation des médecins et des enseignant.e.s

Lehre
Édition
2022/11
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2022.10612
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2022;22(11):337-339

Affiliations
Étudiantes en 3e année de médecine à l’université de Lausanne

Publié le 02.11.2022

L’intersexuation concerne des personnes qui naissent avec des caractéristiques sexuelles, qu’elles soient génitales, gonadiques, chromosomiques ou hormonales, ne correspondant pas aux définitions binaires typiques des organismes masculins ou féminins. Elle touche jusqu’à 1,7% de la population.

Introduction

L’intersexuation concerne des personnes qui naissent avec des caractéristiques sexuelles, qu’elles soient génitales, gonadiques, chromosomiques ou hormonales, ne correspondant pas aux définitions binaires typiques des organismes masculins ou féminins. Elle touche jusqu’à 1,7% de la population [1].
La représentation collective selon laquelle une personne appartient soit à l’un soit à l’autre des deux sexes et la méconnaissance générale des professionnels au sujet de l’intersexuation contribuent à la stigmatisation ressentie par ce groupe de personnes. Il en découle de nombreuses violations des droits humains, telles que des opérations chirurgicales injustifiées ou des traitements non consentis. Les personnes intersexes font également l’objet de discriminations, notamment dans l’enseignement, l’emploi, les sports, l’inscription à l’état civil, l’obtention de documents d’identité, la santé et en particulier l’accès à des soins adaptés [2].
En effet, une étude menée auprès d’étudiants en médecine de Boston confirme que les personnes LGBTI (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres, Intersexes) sont confrontées à de nombreuses disparités en matière de soins. Ces dernières sont le plus souvent attribuables au manque de connaissances des professionnel.le.s de santé. Pour y remédier, les répondant.e.s à l’étude ont sollicité davantage de possibilités d’apprentissage sur la santé des personnes transgenres et intersexes par comparaison avec celle des LGB, invoquant un enseignement faible sur cette thématique dans les études de médecine [3].
Des lacunes sont également documentées dans la littérature. En effet, peu de recherches ont été menées concernant les déterminants sociaux influençant la santé des personnes intersexes [4]. A Lausanne, la création d’équipes multidisciplinaires et de recommandations éthiques a permis des avancées en termes de réflexions et d’actions dans la prise en charge des variations du développement sexuel; cependant, aucune directive professionnelle n’a été définie à ce jour [5].
Ces constats nous conduisent à notre question de recherche: Comment le thème de l’intersexuation est-il abordé auprès des médecins et des enseignant.e.s, et quelles améliorations dans leur formation pourraient-elles faciliter l’intégration communautaire et l’accès aux soins des personnes intersexes?

Méthode

Une revue d’articles scientifiques a permis de définir le terme «intersexe» et d’évaluer l’état actuel de la question de l’intersexuation dans la littérature.
Notre étude est basée sur onze entretiens semi-structurés menés avec des personnes supposément impliquées dans la prise en charge médicale et l’éducation des personnes intersexes. Ces entrevues ont été réalisées à partir d’un guide d’entretien préétabli, dans le but d’évaluer les connaissances acquises au sujet de l’intersexuation par les intervenant.e.s au cours de leur formation et d’identifier les lacunes, tout en proposant des pistes pour pallier celles-ci. Dans cette optique, nous avons interrogé une enseignante de 5H/6H (enfants de 8 à 10 ans), une jeune enseignante de 3H/4H (6 à 8 ans), une pédiatre, une pédopsychiatre, une endocrinologue, une jeune gynécologue, un gynécologue expérimenté, une médecin spécialiste en prévention et santé publique, une représentante d’une association de personnes intersexes, une étudiante en 6ème année de médecine et une éducatrice en santé sexuelle.

Résultats

Les connaissances au sujet des personnes intersexes tendent à s’améliorer et à se globaliser. En effet, les éducateurs·trices en santé sexuelle et reproductive introduisent brièvement la notion d’intersexuation et sa signification aux enfants dès l’âge de 6–7 ans. En outre, la majorité de nos intervenant.e.s en ont déjà entendu parler et étaient capables de définir le terme intersexe. Néanmoins, certains ont dû se référer à Internet pour le clarifier. Nous avons aussi constaté une certaine confusion entre les concepts d’intersexuation et de transidentité, ce qui est confirmé par l’association de personnes intersexes. En effet, sa représentante nous affirme qu’un de leurs objectifs est de faire comprendre la distinction entre ces deux concepts, car les revendications et besoins de ces deux groupes de personnes ne sont pas les mêmes.
Concernant la formation, les enseignantes interrogées n’ont acquis aucune connaissance durant leurs cours et ont principalement entendu parler de la cause intersexe par le biais d’articles de presse ou d’émissions télévisées. Quant aux médecins, tou.te.s s’accordent à dire qu’aucun cours spécifique n’a été donné durant leur formation de base et que les informations reçues sur cette thématique provenaient essentiellement de leur formation continue ou de leur pratique clinique. En effet, le cursus de médecine lausannois ne comporte aucun cours spécifique à ce sujet excepté le cours à option de 3ème année « Ni fille, ni garçon: anomalie ou différence?» suivi par une minorité des étudiant.e.s. Seule la formation post-graduée de spécialiste en endocrinologie consacre des cours particuliers à ce sujet.
Lors des entretiens, les intervenant.e.s ont mis en lumière plusieurs types de lacunes (fig. 1). Tout d’abord, toutes les personnes interrogées, exceptés l’endocrinologue et le gynécologue, considèrent ne pas disposer des aptitudes et connaissances nécessaires pour assurer une prise en charge adéquate d’une personne intersexe. Elles n’ont pas non plus les ressources pour rediriger les personnes intersexes vers une association ou des spécialistes qualifié.e.s. Les intervenant.e.s jugent donc utile d’obtenir plus d’informations et cela précocement afin de répondre, dès l’assistanat, de manière adaptée aux besoins de ces personnes.
Un autre point mis en exergue par les médecins est le manque de compétences pratiques, de recommandations éthiques et de qualifications psychologiques dans le suivi de ces patient.e.s, qui pourrait entraîner une inégalité dans leur accès aux soins.
Enfin, l’association dénonce une approche médicale pathologisante utilisant des termes tels que «anormal», «désordre», «maladie» ou encore «malformation», vécus à la fois comme stigmatisants et comme des violences verbales. Elle revendique également de nommer ces personnes «intersexes» afin qu’elles puissent s’identifier comme telles dans leur nature et ne se sentent plus réduites à un pur problème somatique ou psychologique. Cela les aiderait à s’orienter vers une association ou un groupe de soutien.

Discussion

Ces entretiens ont mis en évidence une formation et des connaissances insuffisantes chez les professionnel.le.s au sujet de l’intersexuation, compromettant de ce fait une prise en charge adaptée des personnes intersexes. Nous constatons, toutefois, une volonté de changement et d’amélioration dans ce domaine.
Les enseignantes ne ressentent pas le besoin d’être formées spécifiquement sur cette thématique, car elles délègueraient le cas aux infirmières scolaires. Cependant, un biais de sélection ne peut pas être exclu, les enseignantes interrogées n’ayant jamais été confrontées à ce type de situation.
Le manque de compétences des médecins pourrait être amélioré par des cours théoriques accompagnés d’ateliers pratiques, de cas cliniques et de témoignages. En effet, un retour des patient.e.s sur leur vécu favoriserait une prise en charge moins pathologisante et stigmatisante.
Au vu de l’interdisciplinarité de cette thématique, nous recommanderions d’introduire ce sujet dans des cours par exemple d’éthique, de psychologie et de chirurgie. Par ailleurs, il semblerait propice au bon développement de ces enfants d’assurer une mise en contact planifiée et systématique entre ceux-ci, leur famille, les professionnel.le.s impliqué.e.s dans leur suivi éducatif et médical et une association. Sur ce point, une mesure simple consisterait à ajouter les coordonnées d’une association intersexe sur les documents distribués lors des cours d’éducation sexuelle et dans les services hospitaliers.
Grâce à une formation visant à combler les lacunes des professionnel·le·s dans leur connaissance et leur compréhension de la santé des personnes intersexes, et en collaborant avec ces dernières, les services de soins pourraient devenir plus inclusifs et accessibles à tous [4].

Le poster accompagnant le texte est disponible sous forme d’annexe en ligne en tant que document séparé à l’adresse www.primary-hospital-care.ch

Dr méd. Alexandre Ronga
Rue du Bugnon 44
CH-1011 Lausanne
dvms.imco[at]unisante.ch
1 HCDH. Personnes intersexes. [En ligne]. [cité 1 juillet 2021]. Disponible sur: https://www.ohchr.org/FR/Issues/LGBTI/Pages/IntersexPeople.aspx
2 HCDH. Une avancée dans la visibilité des personnes intersexuées et la promotion de leurs droits. [En ligne]. [cité 1 juillet 2021]. Disponible sur: https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/Astepforwardforintersexvisibility.aspx
3 Liang JJ, Gardner IH, Walker JA, Safer JD. Observed Deficiencies in Medical Student Knowledge of Transgender and Intersex Health. Endocrine Practice. 2017;23(8):897–906. doi:https://doi.org/10.4158/EP171758.OR
4 Zeeman L, Sherriff N, Browne K, McGlynn N, Mirandola M, Gios L, et al. A review of lesbian, gay, bisexual, trans and intersex (LGBTI) health and healthcare inequalities. Eur J Public Health. 2019;29(5):974–80. doi:10.1093/eurpub/cky226
5 Kraus C, Phan-Hug F, Ansermet F, Meyrat BJ. Améliorer les pratiques de soins pour les personnes présentant une variation du développement du sexe en Suisse. L’École de Lausanne (depuis 2005). Droit et cultures Revue internationale interdisciplinaire. [En ligne]. 2021. [cité 1 juillet 2021]. Disponible sur: https://journals.openedition.org/droitcultures/6610