Quel bilan et quelles perspectives pour l’avenir?

Adaptations dans l’enseignement aux étudiants en médecine suisses depuis la pandémie du SARS-Cov-2

Lehre
Édition
2023/01
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2023.10474
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2023;23(01):
Data Supplement
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Affiliations
a Institut universitaire de Médecine de Famille, Faculté de Médecine, Université de Bâle; b Responsable de l’enseignement, vice-directeur de l’Institut de Médecine de Famille (IMF), Université de Fribourg; c Responsable d’enseignement en contexte de stage, Institut universitaire de Médecine de la Famille et de l’Enfance (IuMFE), Faculté de Médecine, Université de Genève

Publié le 10.01.2024

Et si la crise du SARS-Cov-2 était une occasion de se dire merci entre enseignants, cliniciens et étudiants pour les expériences aussi inattendues qu’originales vécues ensemble en une année de pandémie? Après analyse du vécu des étudiants, il se dégage comme une énergie vivifiante, où la plus-value découle de l’esprit d’initiative et d’innovation que le climat hostile semble, contre toute attente, avoir stimulé. Cet article aborde quelques retours d’expériences d’une année d’enseignement en période de crise.

Introduction

Comme tous les enseignants universitaires en Suisse et ailleurs, les chargés d’enseignement (CE) des instituts de médecine de famille en Suisse ont dû s’adapter très rapidement à de profonds changements dans leur mission de transmission du savoir et du savoir-faire médical aux étudiants en médecine depuis la première vague du SARS-Cov-2 en mars 2020 [1]. Les étudiants en médecine ont vu leur enseignement en présentiel annulé, fortement modifié ou diminué. Les CE et les étudiants ont dû se familiariser avec des outils d’enseignement innovants, ce qui a demandé un important effort d’adaptation de part et d’autre. De nombreuses initiatives personnelles de solidarité estudiantine ont également caractérisé la «1re vague» de la pandémie lors du semi-confinement de la population suisse en mars 2020. Ainsi, les étudiants ont prêté main forte aux hôpitaux menacés de surcharge et se sont portés volontaires en fonction des besoins des différents cantons (help-line, soutien pour tests PCR organisés dans l’urgence, etc.) [2].
Dans ce contexte et après plus d’un an de changements profonds qui ont mobilisé les CE et les étudiants, le groupe «enseignement» de la Swiss Academy of Family Medicine (SAFMED), qui regroupe les CE des instituts suisses de médecine de famille des universités suisses, décrit quelques aspects marquants et souvent inspirants de cette période stressante et exigeante sur le plan professionnel et pédagogique. Nous nous basons sur plusieurs sources d’informations:

Une enquête auprès des étudiants en médecine de Bâle

Le taux de réponse à une enquête de la Faculté de Médecine de Bâle adressée à tous les étudiants était légèrement inférieur à 20%, sauf chez les étudiants de 2e année de Master (2MA; 3,4%). Les étudiants de 2MA étaient en année facultative au début de la pandémie et n’ont donc pas été directement touchés par l’enseignement, ce qui pourrait expliquer le faible taux de réponse.
L’enquête a porté sur la gestion de l’information, l’apprentissage numérique et l’étude indépendante. Avec une médiane de 5 (sur une échelle de 1 pour «sans objet» à 6 «pleinement applicable»), les étudiants étaient satisfaits des informations fournies par l’Université. En revanche, l’information sur les examens a été jugée simplement suffisante avec une médiane de 4.
La disponibilité et la qualité du matériel pédagogique fourni ont également été jugées seulement suffisantes. Les étudiants préféraient nettement que les conférences soient enregistrées. Le streaming sans enregistrement n’était pas apprécié.
L’auto-apprentissage a été une source de difficultés pour de nombreux étudiants. Ils ont eu du mal à se motiver et n’ont jugé leur apprentissage que suffisant.
La plupart des étudiants ont beaucoup regretté les cours pratiques et les interactions sociales.

Des voix singulières d’étudiants en médecine

Pour nous rendre compte des expériences individuelles des étudiants en médecine de trois de nos facultés de médecine (Bâle, Fribourg et Genève), nous avons demandé par mail aux représentants des volées quels étaient les défis et surtout quelles étaient leurs perspectives et leurs envies pour l’avenir en s’appuyant sur l’expérience qu’ils ont vécue pendant les différentes vagues de la pandémie entre mars 2020 et mars 2021. Voici ainsi, une synthèse de leurs réponses.

Bâle

A la Faculté de Médecine de Bâle, cinq étudiants de différentes années ont répondu aux questions. Ce qui est impressionnant est la capacité d’adaptation de ces jeunes adultes. Bien qu’ils soient considérablement limités dans un moment éminemment important de leur vie, celle de la socialisation, et qu’ils soient parfois même confrontés à des épisodes dépressifs, ils ont tous trouvé le moyen de se motiver et de continuer. Certains d’entre eux se sont réunis en petits groupes afin de pouvoir continuer à suivre des cours ensemble et échanger des idées, ou se sont même rencontrés à l’extérieur afin de pouvoir étudier ou travailler sur des projets ensemble. Bien que leur structure quotidienne habituelle, leurs contacts sociaux, le sport ou même leur emploi d’étudiant leur manquaient à tous, ils ont pu trouver une nouvelle structure et étaient encore capables de souligner les aspects positifs, tels que la plus grande flexibilité dans l’apprentissage grâce aux conférences enregistrées.

Genève

A Genève, les étudiants en Bachelor ont relevé «l’importance des médecins comme vecteurs de connaissances» et la nécessité d’avoir des outils pour remplir leur rôle de promoteurs de santé. Les mêmes étudiants mettaient leurs espérances dans «un monde où les faits sont plus importants que les croyances personnelles» et soulignaient l’importance à leurs yeux que l’expérience de la pandémie et les outils développés pour aider la population à comprendre la pandémie puissent «s’appliquer à d’autres problèmes (…) notamment la crise climatique et son impact sur la santé des populations». Ils expliquaient leur impression d’avoir été «laissés pour compte par les autorités et même d’être une génération d’étudiants sacrifiés». Cela en a amené certains en fin de formation à minimiser leur investissement en médecine en prenant du temps pour soi. Le ton des réponses n’était pas toujours aussi dramatique: une étudiante débutant son stage clinique a proposé, concernant les éventuelles perspectives d’avenir suite à la pandémie, l’aspect pragmatique «on pensera plus à se désinfecter les mains».

Fribourg

A Fribourg aussi, les étudiants se confient au sujet de leurs craintes quant à leur avenir. Certains redoutent les répercussions du confinement et du travail à distance sur la qualité de leur formation alors que d’autres relèvent l’impact de l’isolement social lié au confinement. Les mêmes solutions que leurs homologues genevois et bâlois semblent avoir été explorées, notamment le regroupement par petites cellules de travail pour préserver les interactions avec leurs pairs. Tous disent avoir particulièrement apprécié les occasions offertes par la faculté d’avoir des cours en petits groupes lors de séminaires et tous saluent le fait que les stages cliniques ont pu avoir lieu en dépit des restrictions sanitaires. Cette période semble avoir été l’occasion de développer leur sens de l’autonomie et leur recherche d’un autre équilibre entre études et activités de loisirs, notamment en pleine nature. Enfin, il semble que la généralisation du travail à distance ait attisé leur curiosité pour la clinique et agit comme un facteur de motivation pour les stages pratiques.

Des voix singulières de CE en médecine de famille

Organiser en un temps record l’enseignement à distance avec les étudiants dès les premiers jours du «lockdown» était le défi majeur relevé par tous les instituts suisses. Les enseignants soulignaient leur sentiment de solitude en se retrouvant seuls face à un auditoire vide, parlant à une caméra et déplorant l’absence de contact personnel avec les étudiants sur une longue période. Les solutions trouvées, avec le soutien très apprécié des instances facultaires particulièrement réactives, ont permis de rester en contact avec les étudiants via les techniques d’enseignement en ligne en petits groupes. L’enseignement est aussi devenu inventif en combinant par exemple présentiel et enseignement à distance avec l’aide d’un ou deux étudiants sur site pour la démonstration des gestes cliniques par exemple. Les auditoires vides ont pu être remplacés par des studios d’enregistrement à Lausanne pour une meilleure expérience d’enseignement.
L’enseignement en général a pu être maintenu, même si la manière de le donner était différente. En général, l’enseignement clinique sur les différents sites hospitaliers et dans les cabinets a été maintenu, ce qui représentait un point fort de cette période déstabilisante pour enseignants et apprenants.

Perspectives d’avenir

Il est un fait qui semble se dégager des réponses tant des étudiants que des enseignants: la crise sanitaire du SARS-Cov-2, de par son caractère imprévu, a eu un effet mobilisateur sur les initiatives personnelles et a été l’occasion de stimuler l’expression de mouvements de résilience individuelle, numérique, relationnelle ou sociale. Cette période a aussi stimulé l’expérimentation de nouvelles approches didactiques dont certaines survivront certainement à cette période troublée, en particulier l’enseignement distanciel au sujet duquel de nombreuses voix s’élèvent pour un maintien facultatif. Ce sujet suscite un débat dans la littérature internationale [4]. En parallèle, nous constatons que cette période a également révélé, en creux, l’importance des relations personnelles dans la transmission de la connaissance et de compétences cliniques au sens large qui sont l’apanage des enseignements par compagnonnage comme les étudiants ont pu l’expérimenter dans leurs stages. Nombreux sont ceux qui voient dans la médecine de famille un lieu privilégié pour ce type d’apprentissage plus traditionnel qui semble avoir le vent en poupe.

Conclusions

Plus généralement, cette période tourmentée a suscité une prise de conscience de la nouvelle génération en particulier sur la place de l’individu dans un monde en profonde mutation. Cette posture propice à l’expression des élans philosophiques de toute une frange de la population estudiantine pourrait se traduire par une prise de participation de ces derniers dans la construction d’institutions plus résilientes face aux crises que celles que nous avons héritées du passé. Pour que la nouvelle génération puisse avoir sa part de rêve en l’avenir et que celui-ci devienne réalité, nul doute qu’il faudra un alliage astucieux entre esprit d’innovation et un certain assouplissement des tendances normatrices en vogue ces dernières décennies dans notre société.
Arabelle Rieder, MD
Chargée d’enseignement
Institut de Médecine de Famille et de l’Enfance
Rue Michel-Servet 1
CH-1206 Genève
1 Dost S, Hossain A, Shehab M, Abdelwahed A, Al-Nusair L. Perceptions of medical students towards online teaching during the COVID-19 pandemic: a national cross-sectional survey of 2721 UK medical students. BMJ Open. 2020 Nov 5;10(11):e042378. doi: 10.1136/bmjopen-2020-042378.
2 Aebischer O, Porret R, Pawlowska V, Barbier J, Caratsch L, Moreira De Jesus M, et al. Étudiant·e·s en médecine engagé·e·s au chevet des patient·e·s hospitalisé·e·s pour COVID-19 Motivations et enjeux. Rev Med Suisse. 2020 May 6;16(692):958–61.
3 Semesterabschluss-Evaluation Online-Formate, Frühjahrsemester 2020, Medizinische Fakultät, Universität Basel.
4 Everard KM, Zoberi Schiel K. Changes in Family Medicine Clerkship Teaching Due to the COVID-19 Pandemic. Fam Med. 2021 Apr;53(4):282–4.