Importance de l’anamnèse, des analyses de laboratoire et de l’imagerie dans l’investigation de l’insuffisance rénale aiguë

Insuffisance rénale aiguë anamnèse, analyses de laboratoire et IRM conduisent au diagnostic

Case reports
Édition
2023/02
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2023.10497
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2023;23(02):20-22

Affiliations
Zentrum für Innere Medizin, Hirslanden Klinik Aarau

Publié le 08.02.2023

Importance de l’anamnèse, des analyses de laboratoire et de l’imagerie dans l’investigation de l’insuffisance rénale aiguë

Antécédents

Une patiente de 79 ans s’est présentée à un cabinet d’urgence en raison d’une fatigue persistant depuis une semaine, de perte d’appétit, de sécheresse buccale et de pollakiurie. En matière d’affections préexistantes, la patiente présentait une hypertension artérielle traitée par amlodipine et périndopril ainsi qu’une dyslipidémie traitée par atorvastatine et ézétimibe. Quatre semaines auparavant, son médecin de famille lui avait prescrit de la ciprofloxacine en raison d’une infection urinaire. Par ailleurs, la patiente a déclaré n’avoir pris aucun autre médicament au cours des derniers mois. En raison de paramètres inflammatoires et rénaux nettement accrus, la patiente nous a été adressée pour investigation.

Observations initiales et autres investigations

Lors de son arrivée, la patiente se trouvait dans un état général correct, elle était afébrile, normocarde et légèrement hypertendue (152/54 mm Hg). Abdomen et flancs étaient indolores à la pression ou au tapotement. Hormis de légers œdèmes bilatéraux au niveau des mollets et des chevilles, l’examen physique était sans particularité.
Les analyses de laboratoire initiales ont révélé des valeurs de rétention rénale massivement accrues (créatinine sérique 836 µmol/l [DFGe ~4 mL/min/1,73 m², CKD-EPI], urée 74 mmol/l) avec une acidose métabolique sévère et une alcalose respiratoire (pH 7,35, bicarbonate 10 mmol/l, pCO2 19 mm Hg, pO2 88 mm Hg) avec trou anionique sérique agrandi de 22 mmol/l, valeur de sodium légèrement diminuée (124 mmol/l) et valeur de potassium normale (4,6 mmol/l). Les excrétions fractionnelles de sodium (6%) et d’urée (38%) indiquaient une insuffisance rénale d’origine rénale.
Il y avait une nette leucocytose de 27 g/l avec neutrophilie et lymphopénie, ainsi qu’une élévation de la CRP à 137 mg/l. L’analyse urinaire a révélé une leucocyturie, une érythrocyturie et une bactériurie. L’échographie a pour sa part mis en évidence des reins non congestionnés, mais une urine résiduelle de 500 ml qui a donné lieu à la pose d’un cathéter urinaire transurétral.
Aucune affection rénale préexistante n’était connue et, lors d’un contrôle chez le médecin de famille 13 mois auparavant, la créatinine était de 80 µmol/l. La cause de l’insuffisance rénale aiguë manifestement d’origine rénale était imprécise. En ce qui concerne les résultats d’analyse du sang et des urines, nous sommes en outre partis de l’hypothèse d’une nouvelle infection urinaire et avons initié un traitement par ceftriaxone par voie intraveineuse après mise en culture d’urines. Pour le traitement de l’acidose, nous avons administré du bicarbonate de sodium.

Commentaire

En présence de valeurs rénales accrues, les valeurs antérieures (dans ce cas fournies par le médecin de famille) sont utiles pour évaluer s’il s’agit d’une insuffisance rénale aiguë ou chronique. L’insuffisance rénale aiguë (IRA) décrit une dégradation de la fonction rénale survenant en quelques heures à quelques jours. Pour distinguer une IRA pré-rénale d’une IRA rénale, il est utile de déterminer l’excrétion fractionnelle de l’urée (<35%: IRA pré-rénale, >35%: IRA rénale) et du sodium (<1%: IRA pré-rénale, >2%: IRA rénale). Afin d’exclure une origine post-rénale, il convient en outre de réaliser une échographie des reins et des voies urinaires excrétrices lors de toute IRA.

Suite du diagnostic et déroulement

La culture d’urines a révélé une croissance de E. coli (105 UFC/ml). Après cinq jours, le traitement par antibiotiques est passé à la ciprofloxacine puis a été interrompu au bout d’une semaine, car les paramètres inflammatoires étaient en repli et que l’état général de la patiente s’améliorait.
L’insuffisance rénale sévère avec un DFGe de 4 mL/min/1,73 m² a toutefois persisté intacte jusqu’au cinquième jour. Une échographie réalisée au quatrième jour a mis en évidence deux reins de taille normale avec un parenchyme légèrement hyperdense ainsi que des pyramides rénales gonflées et donc bien visibles (fig. 1).
Figure 1: Echographie rénale au quatrième jour: les deux reins sont gonflés. Contrairement aux pyramides rénales, le parenchyme est hyperdense, raison pour laquelle ces dernières apparaissent foncées.
Les observations dans le sédiment urinaire sont, outre la leucocyturie et l’érythrocyturie déjà connues, l’absence de cylindres ou érythrocytes dysmorphiques. Le profil protéique urinaire a révélé une protéinurie mixte à forte prédominance tubulaire (albumine/créatinine × 12,8, alpha-1-microglobuline/créatinine × 10,1, protéine de liaison du rétinol/créatinine × 89,1). L’électrophorèse et immunofixation n’indiquait pas de gammopathie monoclonale. Un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) des reins a été réalisé pour approfondir l’investigation.
Celui-ci a montré un œdème parenchymateux généralisé des deux reins, avec différenciation cortico-médullaire inversée et forte hypo-intensité en T2 avec trouble de la diffusion multifocal des papilles des deux côtés (fig. 2). Considérés ensemble, l’échographie (papilles gonflées), l’IRM (trouble de la diffusion papillaire) et le profil protéique urinaire (protéinurie tubulaire) indiquaient clairement un trouble tubulaire inflammatoire non infectieux, c’est-à-dire une néphrite interstitielle aiguë.
Figure 2: En haut: IRM des reins en pondération T2. En bas: assemblage de deux clichés individuels des reins dans la séquence pondérée en diffusion pour une représentation optimale. Les images montrent un œdème parenchymateux généralisé et un trouble de la diffusion des papilles avec différenciation cortico-médullaire inversée (dans la séquence pondérée en diffusion, le cortex rénal et la médullaire rénale sont habituellement difficilement distinguables l’un de l’autre – les différences nettes sur ces images sont l’expression du trouble de la perfusion avec irrigation réduite des papilles rénales).
Suite à cela, l’anamnèse médicamenteuse a de nouveau fait l’objet de discussions approfondies avec la patiente. Elle a alors mentionné pour la première fois la prise répétée d’ibuprofène en raison de céphalées au cours des derniers mois. Sa dernière prise d’ibuprofène remontait à deux semaines avant l’hospitalisation. L’ibuprofène tout comme la première prescription de ciprofloxacine quatre semaines auparavant se présentaient donc comme des causes médicamenteuses fréquentes de néphrite interstitielle.

Commentaire

Une néphrite interstitielle aiguë est une cause fréquente d’IRA. Une étude ayant analysé les causes de l’IRA mises en évidence par biopsie a révélé que 11% des cas d’IRA d’origine rénale étaient déclenchés par une néphrite interstitielle [1]. La principale cause d’une IRA d’origine rénale confirmée par biopsie était une glomérulonéphrite rapidement progressive (GNRP, 33%). D’autres causes telles une nécrose tubulaire aiguë ou une néphropathie à IgA étaient inférieures à 10% des cas.
Les déclencheurs fréquents d’une néphrite interstitielle aiguë sont les réactions allergiques aux AINS, aux antibiotiques ou aux inhibiteurs de la pompe à protons [2]. L’œdème inflammatoire de l’interstitium rénal ainsi provoqué conduit à l’IRA. Typiquement, certaines fonctions rénales sont préservées: dans le cas présent, le taux de potassium est tout à fait normal malgré l’acidose sévère et l’insuffisance rénale. Etant donné que plusieurs semaines à plusieurs mois peuvent s’écouler entre la prise du médicament déclencheur et le début des symptômes, une anamnèse médicamenteuse précise comprenant aussi et surtout les préparations en vente libre est absolument essentielle.

Déroulement ambulatoire

Par la suite, la fonction rénale s’est légèrement améliorée. Au bout de 21 jours, la patiente présentait un bon état général avec une créatinine à 395 µmol/l et a pu rentrer chez elle.
Lors d’un contrôle ambulatoire une semaine plus tard, la patiente a fait état d’une nouvelle amélioration de son état général. En ce qui concerne les analyses de laboratoire, l’insuffisance rénale s’était encore améliorée mais restait nette (créatinine 340 µmol//l, DFGe 11 ml/min/1,73 m2). En vue de réduire l’inflammation interstitielle et de contrecarrer une fibrose interstitielle, nous avons initié une corticothérapie à faible dose (prednisolone 0,5 mg/kg de poids corporel; fig. 3).
Figure 3: Néphrite interstitielle aiguë: évolution du DFGe avant et après la corticothérapie.
Des contrôles réalisés par la suite après deux et six semaines ont montré de nouveaux progrès chez la patiente, avec une amélioration de la fonction rénale jusqu’à atteindre un DFGe de 22 mL/min/1,73 m2. La prednisolone a alors été complètement arrêtée de façon progressive, sur plusieurs semaines. Par la suite, la patiente a bénéficié d’une prise en charge par le médecin de famille/l’interniste à proximité de son domicile, et des contrôles néphrologiques ont également été planifiés. Six mois après l’hospitalisation (lors des contrôles du médecin de famille), le DFGe était de 25 mL/min/1,73 m2, puis de 23 mL/min/1,73 m2 deux mois plus tard.
En interrogeant le médecin de famille, celui-ci nous indique que la patiente a été retrouvée morte dans son lit un beau matin à son domicile, neuf mois après sa sortie de l’hôpital. Son décès était survenu de façon inopinée, sans signe précurseur d’une affection aiguë. Les contrôles néphrologiques qui avaient été planifiés n’avaient pas encore eu lieu. Etant donné qu’aucune autopsie n’a été réalisée, la cause du décès reste floue.

Discussion

L’insuffisance rénale aiguë est un problème clinique fréquent au vaste diagnostic différentiel vis-à-vis des trois catégories principales que sont les insuffisances rénales de type pré-rénal, rénal et post-rénal. Outre l’anamnèse, les antécédents et différents examens sanguins et urinaires comprenant le sédiment urinaire, le bon diagnostic demande au moins une échographie. Les procédés d’imagerie servent avant tout au diagnostic et à l’exclusion d’une insuffisance rénale d’origine post-rénale ainsi qu’à la constatation d’éventuelles lésions préexistantes, comme la présence d’une atrophie rénale. Les examens d’imagerie sont parfois en mesure de donner de nettes indications des causes rénales d’une IRA, comme la néphrite interstitielle aiguë.
Si le sédiment urinaire montre des signes d’une glomérulonéphrite, une détermination des auto-anticorps (ANCA, ANA, anti-GBM) est à réaliser d’urgence. En cas d’IRA d’origine rénale incertaine, et avant tout chez les personnes âgées, il convient de rechercher dans le sérum la présence de chaînes légères libres en lien avec une défaillance rénale associée au myélome (néphropathie à cylindres myélomateux). En cas d’insuffisance rénale avec thrombocytopénie et/ou hémolyse, il faut penser à un syndrome hémolytique et urémique (complément C3 et C4) ou à un purpura thrombotique thrombocytopénique (activité ADAMTS13), et rechercher des schizocytes à l’hémogramme.
Le standard éprouvé pour l’investigation d’une IRA d’origine rénale reste néanmoins la biopsie rénale, qui peut non seulement livrer des diagnostics initialement délaissés mais donne aussi des indications d’ordre pronostique.
Dans le cas présenté ici, la patiente présentait une IRA d’origine rénale initialement incertaine. Le profil protéique urinaire (protéinurie tubulaire), l’échographie (papilles gonflées hypodenses) et l’IRM (différenciation cortico-médullaire inversée et trouble de la diffusion papillaire généralisé) ont fourni des indications sur la pathologie sous-jacente pouvant suggérer une néphrite interstitielle. La nouvelle anamnèse réalisée suite à ces examens a mis en évidence des médicaments pouvant plausiblement déclencher une néphrite interstitielle aiguë. Par conséquent, et compte tenu du début d’amélioration, aucune biopsie rénale n’a été réalisée.
Les signes de néphrite interstitielle auparavant considérés comme classiques tels que la fièvre, un exanthème ou une éosinophilie font souvent défaut [3], comme dans le cas présent. Les signes typiques dans les urines tels qu’une leucocyturie (et en particulier une éosinophilurie), des cylindres leucocytaires ou une protéinurie, ne peuvent pas toujours être mis en évidence. Sur la base de la lésion tubulaire, une protéinurie tubulaire est typique, et elle peut être mise en évidence dans le profil protéique urinaire (différenciation de la protéinurie en «grandes protéines» [glomérulaire] comme avec l’immunoglobuline G, l’albumine et la transferrine, et «petites protéines» [tubulaire] comme avec l’alpha-1-microglobuline et la protéine de liaison du rétinol).
Les examens d’imagerie peuvent également révéler des signes de néphrite interstitielle aiguë. L’échographie permet souvent de mettre en évidence une augmentation de volume des reins hyperdenses, dans lesquels les papilles gonflées hypodenses se présentent comme des cônes sombres [4]. A l’IRM, l’hypoperfusion des papilles provoquée par l’œdème peut révéler l’image – observée ici – d’un trouble de la diffusion papillaire sévère avec différenciation cortico-médullaire inversée [5, 6].
Le traitement de la néphrite interstitielle aiguë se compose de l’abandon de l’agent déclencheur et d’un traitement de soutien des symptômes rénaux et systémiques consécutifs de l’insuffisance rénale tels que l’hypertension ou l’acidose. Etant donné qu’une durée prolongée de la néphrite peut entraîner une fibrose interstitielle croissante ayant pour conséquence une limitation fonctionnelle permanente, des corticostéroïdes sont souvent utilisés lors de telles évolutions, malgré le faible niveau de preuves [7]. La médication prophylactique avec des thérapies anti-résorptives (par ex. bisphosphonates) et des inhibiteurs de la pompe à protons sert à prévenir les effets indésirables typiques comme la perte osseuse et les ulcères gastro-intestinaux. Même en cas d’évolution favorable, des contrôles de suivi néphrologiques doivent être réalisés jusqu’à la stabilisation de la fonction rénale.

L’essentiel pour la pratique

La néphrite interstitielle aiguë, cause fréquente d’insuffisance rénale aiguë, est souvent d’origine médicamento-allergique, provoquée par des AINS, des antibiotiques ou des inhibiteurs de la pompe à protons.
Les valeurs de créatinine mesurées antérieurement (par ex. au cabinet du médecin de famille) sont très précieuses pour pouvoir distinguer une insuffisance rénale aiguë d’une insuffisance rénale chronique.
Le profil protéique urinaire ainsi que les examens d’imagerie au moyen d’une échographie rénale et d’une IRM rénale peuvent fournir de précieuses indications. En matière de diagnostic, le standard éprouvé reste la biopsie rénale.
Dans les cas incertains d’insuffisance rénale aiguë, en particulier, une anamnèse médicamenteuse détaillée est «mère de diagnostic».
Sur le plan thérapeutique, l’abandon de l’agent déclencheur se trouve au premier plan, et une médication par corticostéroïdes peut être envisagée.
Nous remercions le Docteur J. Schneider, du département de radiologie de la Hirslanden Klinik Aarau, pour son aide dans l’interprétation de l’imagerie par résonance magnétique.
Hans Felix Hofmann
Klinik Hirslanden
Witellikerstrasse 40
CH-8032 Zürich
1 López-Gómez JM, Rivera F; Spanish Registry of Glomerulonephritis. Renal biopsy findings in acute renal failure in the cohort of patients in the Spanish Registry of Glomerulonephritis. Clin J Am Soc Nephrol. 2008 May;3(3):674–81.
2 Moledina DG, Perazella MA. Drug-induced acute interstitial nephritis. Clin J Am Soc Nephrol. 2017 Dec;12(12):2046–9.
3 Nussbaum E, Perazella M. Diagnosing acute interstitial nephritis: considerations for clinicans. Clin Kidney J. 2019;12(6):808–13.
4 Tuma J, Selbach J, Dietrich CF. Nierensonografie und Sonografie der ableitenden Harnwege. Endosk Heute. 2015;28(1):50–64.
5 Quaia, E. Renal Parenchymal and Inflammatory Diseases. In: Quaia, E., editor. Radiological Imaging of the Kidney. Berlin: Springer; 2011. p. 340–2.
6 Su T, Yang X, Wang R, Yang L, Wang X. Characteristics of diffusion-weighted and blood oxygen level-dependent magnetic resonance imaging in Tubulointerstitial nephritis: an initial experience. BMC Nephrol. 2021 Jun;22(1):237.
7 Fernandez-Juarez G, Perez JV, Caravaca-Fontán F, Quintana L, Shabaka A, Rodriguez E, et al.; Spanish Group for the Study of Glomerular Diseases (GLOSEN). Duration of Treatment with Corticosteroids and Recovery of Kidney Function in Acute Interstitial Nephritis. Clin J Am Soc Nephrol. 2018 Dec;13(12):1851–8.