Deux problèmes dermatologiques pédiatriques fréquents dans la pratique

Dermatite atopique et hémangiomes infantiles

Fortbildung
Édition
2023/01
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2023.10504
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2023;23(01):

Affiliations
Universitätsklinik für Dermatologie, Inselspital Universitätsspital Bern, Bern

Publié le 10.01.2024

Deux problèmes dermatologiques pédiatriques fréquents dans la pratique

Lorsque vous pensez à des problèmes dermatologiques pédiatriques rencontrés au cabinet de médecine de famille/pédiatrie, la dermatite atopique (DA), également appelée neurodermite ou eczéma atopique, est probablement le premier qui vient à l’esprit de la plupart d’entre vous. Avec une prévalence de 10–30%, elle est également très fréquente chez les enfants. Chez 60% des enfants atteints, les symptômes apparaissent dès la première année de vie, mais typiquement pas avant l’âge de 4 mois. La bonne nouvelle: les symptômes s’améliorent généralement au plus tard à l’âge scolaire, et environ trois quarts des enfants ne présentent plus de symptômes à l’âge de 10 ans. La présentation clinique de l’eczéma dépend de l’âge: ainsi, chez les nourrissons, il se présente souvent sous la forme d’un eczéma aigu avec rougeur, œdème, papulo-vésicules, plaques suintantes et croûtes, et il est le plus souvent localisé au niveau de la tête (à l’exception de la partie centrale du visage), des faces d’extension des membres et du tronc. La région fessière est typiquement épargnée, ce qui constitue une caractéristique importante pour distinguer la DA de l’eczéma séborrhéique, qui touche entre autres la région fessière. Durant la petite enfance, la maladie se présente ensuite de plus en plus sous la forme d’un eczéma chronique avec des plaques squameuses et une lichénification, avec une prédilection pour les faces de flexion des membres.
Traitement de la DA: Les nourrissons atteints de DA généralisée sévère peuvent représenter une lourde charge pour les parents et toute la famille. En raison du prurit, les enfants dorment mal et sont souvent agités pendant la journée. Heureusement, un traitement adéquat permet de soigner relativement bien la majorité des DA. L’objectif principal est d’obtenir un contrôle de la DA, car une guérison au sens propre du terme n’est pas possible. Etant donné que le traitement prend beaucoup de temps et qu’il doit généralement être suivi pendant des mois, voire des années, il est essentiel de bien informer et guider les parents/les personnes qui s’occupent des enfants pour obtenir un succès thérapeutique. Lorsqu’ils comprennent un peu la pathogenèse et les différents piliers du traitement, ils sont plus motivés à mettre en œuvre le traitement exigeant. Un pilier essentiel du traitement réside dans l’application d’un bon soin cutané relipidant comme base. Cela permet de compenser la perturbation de la barrière cutanée et de réduire la perte d’eau transépidermique. J’essaie d’illustrer cela pour mes patients en présentant la peau comme un mur de briques friable qui, d’une part, est vulnérable aux irritants et à la pénétration d’éventuels allergènes et bactéries de l’extérieur et, d’autre part, perd de l’eau. Pour que la peau puisse à nouveau exercer sa fonction de barrière/protection, le «mortier» manquant doit être remplacé par des soins cutanés (cf. fig.). L’application conséquente de soins relipidants s’accompagne d’une diminution de l’eczéma et donc de l’utilisation de cortisone. Les enveloppements gras-humides permettent d’intensifier la relipidation et l’hydratation. A cet effet, il faut d’abord appliquer une couche épaisse de crème de soin, puis faire un enveloppement humide et ensuite un enveloppement sec. L’humidité permet à la peau de mieux absorber la crème et a un effet rafraîchissant et apaisant sur le prurit. Chez les jeunes enfants, il convient de ne traiter qu’une seule zone du corps à la fois avec des enveloppements gras-humides en raison du risque de refroidissement. Il existe d’innombrables produits de soin différents sur le marché. Comme les soins relipidants doivent être appliqués généreusement (env. 100 g par semaine pour un nourrisson), des produits remboursés par les caisses-maladie sont volontiers prescrits. Antidry®Lotio et Dexeryl® Crème figurent sur la liste des spécialités (LS) et sont remboursés par la caisse-maladie avec une limitation. Si le prix n’a pas d’importance, des produits comme Xeracalm Baume (Avène) ou Lipikar AP (La Roche Posay) sont aussi recommandés. Il est judicieux de faire essayer différents produits aux parents, ce qui augmente l’observance. L’urée (comme par ex. dans Excipial U-Lipolotio) peut parfois occasionner une sensation de brûlure chez les enfants en bas âge.
Il convient de renoncer aux parfums et aux ingrédients végétaux dans les crèmes de soin en raison du risque d’allergies de contact. Un autre pilier du traitement de base consiste en de courts bains (max. 5–10 minutes)/douches à 35–37 °C, qui devraient idéalement être pris quotidiennement en cas de poussée aiguë. Le bain hydrate la peau, élimine les croûtes/squames et réduit les allergènes, les irritants et les bactéries sur la peau, qui sont des déclencheurs potentiels de l’eczéma. Après le bain, il convient de tamponner délicatement la peau et d’appliquer immédiatement la crème de soin, qui pénètre particulièrement bien sur une peau légèrement humide et ramollie. En cas de poussées aiguës d’eczéma, il faut «éteindre le feu», et dans ce cas, des traitements anti-inflammatoires sont nécessaires, le plus souvent sous forme de corticostéroïdes topiques de classe (II-)III. Ceux-ci sont appliqués 1× par jour pendant 5–7 jours (3–5 jours suffisent pour le visage), après quoi le traitement peut être soit arrêté progressivement, soit remplacé par un traitement d’entretien avec des inhibiteurs topiques de la calcineurine (Protopic 0,1/0,03% Pommade ou Elidel 1% Crème), afin d’éviter que les «braises encore incandescentes ne se ravivent». Pour les zones eczémateuses récurrentes telles que les plis des genoux et des coudes, il est recommandé d’appliquer un traitement d’entretien préventif pendant l’intervalle sans eczéma, par exemple par inhibiteur topique de la calcineurine 2–3 fois par semaine. En Suisse, Protopic 0,03% et Elidel 1% Crème sont officiellement autorisés uniquement à partir de l’âge de 2 ans, mais compte tenu de leur bon profil de sécurité, ils sont utilisés dès 3 mois («étude Petite» Pediatrics 2015: Elidel, 2400 enfants âgés de 3 à 12 mois, suivi de 5 ans). Le bénéfice des vêtements spéciaux, tels que DermaSilk ou Skinnies, est controversé. En se basant sur une étude multicentrique réalisée au Royaume-Uni, les lignes directrices actuelles n’attribuent aucun bénéfice à la DermaSilk.
En l’absence de réponse au traitement, il convient de réexaminer les points suivants:
La liste des diagnostics différentiels possibles est longue. Elle va entre autres des dermatoses inflammatoires, comme la dermatite séborrhéique ou le psoriasis, aux infections, comme la gale, l’eczéma herpétique/coxsackium ou l’impétigo. Toutefois, des maladies rares telles que le syndrome de Wiskott-Aldrich (déficit immunitaire), les ichtyoses, les histiocytoses à cellules de Langerhans, la carence en zinc ou les lymphomes cutanés à cellules T peuvent également présenter un tableau clinique similaire à celui de la DA.

Vaccinations et régimes alimentaires dans la DA

Les enfants atteints de DA peuvent être vaccinés selon le plan de vaccination suisse. Nous recommandons d’effectuer la vaccination après la disparition d’une poussée aiguë. En raison de la possibilité d’évolutions sévères chez les atopiques, la vaccination contre la varicelle est en outre recommandée à l’âge de 12 mois.
De nombreux parents pensent que l’eczéma de leur enfant est dû à une allergie alimentaire et essaient souvent de leur propre chef différents régimes d’éviction chez l’enfant ou la mère allaitante. Les allergies alimentaires sont certes plus fréquentes chez les atopiques, mais elles sont généralement surestimées en tant que facteur déclencheur de la DA. De ce fait et en raison du risque de découvertes fortuites sans pertinence clinique, nous déconseillons les tests d’allergie de routine chez les enfants atteints de DA. En cas d’indices anamnestiques ou cliniques d’allergies de type immédiat ou en cas d’eczéma sévère résistant aux traitements malgré un traitement local optimal, des prick-tests et la détermination des IgE spécifiques sont indiqués. Il en va de même lorsque les parents observent à plusieurs reprises une aggravation de l’eczéma après l’ingestion de certains aliments. Cependant, comme celle-ci peut intervenir avec un retard de 24–48 heures, il est souvent difficile d’établir un lien. La tenue d’un journal de bord dans lequel sont consignés les aliments consommés et les symptômes peut s’avérer utile. Nous attirons également l’attention des parents concernés sur les cours «Eczéma atopique» pour les parents de aha, qui ont lieu dans différentes villes suisses et sont considérés comme très utiles et précieux par les parents [1–3].

Hémangiomes infantiles (HI)

Avec une prévalence d’environ 3–10% de tous les nouveau-nés nés à terme et même 10–25% des prématurés, les hémangiomes sont également un diagnostic fréquent dans les cabinets de médecine de famille/pédiatrie. Neuf hémangiomes sur dix ne nécessitent pas de traitement. En 2020, un groupe d’experts internationaux a mis au point un outil qui aide à décider si un enfant présentant un ou plusieurs hémangiomes doit être adressé à un centre spécialisé pour un traitement ou un diagnostic plus poussé: https://www.ihscoring.com/fr/. Etant donné que la croissance la plus rapide de l’hémangiome se produit au début de la phase de prolifération, entre la 5e et la 8e semaine, un traitement doit être initié précocement, idéalement entre la 4e et la 10e semaine de vie. Les indications claires de traitement sont:

Quels hémangiomes nécessitent des examens complémentaires?

En cas d’HI segmentaires de grande taille (>5 cm), avant tout dans la région de la tête, il faut penser à des anomalies associées dans le cadre d’un syndrome PHACES. L’acronyme désigne les anomalies suivantes: Posterior fossamalformation, Hemangioma, Arterial anomalies, Cardiovascular anomalies, Eye anomalies, Sternal clefting et/ou supraumbilical raphe. En cas d’hémangiomes volumineux dans la région lombo-sacrée, il convient d’exclure un syndrome LUMBAR. Il s’agit également d’un acronyme, qui peut être associé à des malformations urogénitales/anorectales et rénales. En présence de ≥5 HI, il existe un risque d’hémangiomatose avec possibilité d’hémangiomes hépatiques et d’hypothyroïdie de consommation. Les HI affectant d’autres organes, tels que le tractus gastro-intestinal, le cerveau et les poumons, sont rares et ne sont généralement examinés qu’en cas de symptômes. Les hémangiomes dans la région de la barbe peuvent indiquer la présence d’hémangiomes associés des voies respiratoires supérieures; en cas de stridor, un examen ORL immédiat est nécessaire.

Traitement des hémangiomes:

La découverte fortuite de l’efficacité du propranolol sur les HI prolifératifs, publiée pour la première fois en 2008, a marqué le début d’une toute nouvelle ère dans le traitement des hémangiomes, et cette substance constitue depuis lors le traitement de première ligne des hémangiomes nécessitant un traitement. La première administration a eu lieu chez des enfants sans facteurs de risque supplémentaires à l’Hôpital de l’Île, en hospitalisation de jour, sous monitoring de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle pendant 4 heures. De nouvelles directives suisses concernant l’initiation du traitement sont en cours d’élaboration. La dose cible était de 2–3 mg par kg de poids corporel, répartie en 2(–3) doses journalières. Les symptômes les plus fréquents, souvent observés uniquement pendant la phase initiale, comprenaient une acrocyanose légère, une diarrhée et des troubles du sommeil légers. Des hypoglycémies symptomatiques, des bradycardies ou des hypotensions et des bronchospasmes ont été très rarement observés et ont pu être minimisés grâce à une évaluation minutieuse des patientes et patients et à une bonne instruction des personnes s’occupant des enfants. Trois messages clés essentiels en font partie: 1. Toujours administrer le médicament au moment des repas; 2. Interrompre le médicament en cas de diminution de l’apport alimentaire ou de pertes accrues, par ex. en cas de gastro-entérite et d’état général diminué lors d’infections accompagnées d’une forte fièvre; 3. Interrompre le médicament en cas de bronchite obstructive (évaluation par le pédiatre en cas de toux). Après les pauses nécessaires, le traitement peut être repris à la même dose sans nouvelle phase d’augmentation posologique progressive (Directives suisses pour le traitement par propranolol des hémangiomes infantiles). Afin d’éviter les récidives après l’arrêt du traitement, celui-ci doit en règle générale être administré jusqu’à la fin de la 1ère année de vie [4–5].
Dr. med. Stefanie Häfliger
Universitätsklinik für Dermatologie
Inselspital
Freiburgstrasse 34
CH-3010 Bern
1 Wollenberg A, Barbarot S, Bieber T, Christen-Zaech S, Deleuran M, Fink-Wagner A, et al.; European Dermatology Forum (EDF), the European Academy of Dermatology and Venereology (EADV), the European Academy of Allergy and Clinical Immunology (EAACI), the European Task Force on Atopic Dermatitis (ETFAD), European Federation of Allergy and Airways Diseases Patients’ Associations (EFA), the European Society for Dermatology and Psychiatry (ESDaP), the European Society of Pediatric Dermatology (ESPD), Global Allergy and Asthma European Network (GA2LEN) and the European Union of Medical Specialists (UEMS). Consensus-based European guidelines for treatment of atopic eczema (atopic dermatitis) in adults and children: part I. J Eur Acad Dermatol Venereol. 2018 May;32(5):657–82.
2 Silverberg JI. Public health burden and epidemiology of atopic dermatitis. Dermatol Clin. 2017 Jul;35(3):283–9.
3 Tracy A, Bhatti S, Eichenfield LF. Update on pediatric atopic dermatitis. Cutis. 2020 Sep;106(3):143–6.
4 Krowchuk DP, Frieden IJ, Mancini AJ, Darrow DH, Blei F, Greene AK, et al. Subcommittee on the management of infantile hemangiomas. Clinical Practice Guideline for the Management of Infantile Hemangiomas. Pediatrics. 2019 Jan;143(1):e20183475.
5 Diociaiuti A, Baselga E, Boon LM, Dompmartin A, Dvorakova V, El Hachem M, et al. The VASCERN-VASCA working group diagnostic and management pathways for severe and/or rare infantile hemangiomas. Eur J Med Genet. 2022 Jun;65(6):104517.