Une forme d’acidose métabolique facilement inaperçue

Mind the Gap: conséquences acides sous traitement par inhibiteur du SGLT2

Case reports
Édition
2023/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2023.10636
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2023;23(05):155-157

Affiliations
Klinik für Innere Medizin, Spital Emmental, Burgdorf, Schweiz

Publié le 03.05.2023

Antécédents et consultation d’urgence

Une patiente de 66 ans, originaire d’Iran, s’est présentée dans notre service des urgences en raison d’une faiblesse générale, de nausées et d’un vomissement unique depuis la veille. Du fait de la barrière linguistique, le recueil de l’anamnèse s’est déroulé avec la fille de la patiente. Celle-ci a fait état d’un infarctus du myocarde survenu 3 mois auparavant, dont la patiente s’était largement remise. Les facteurs de risque vasculaire mentionnés comprenaient un diabète sucré de type 2 sous traitement antidiabétique par Xigduo 5/1000 mg (dapagliflozine/metformine) et Humalog mix 25, 16 UI le matin (insuline mixte), ainsi qu’une hypertension artérielle. Un asthme bronchique bien contrôlé depuis des années était également connu. Apparemment, une opération des yeux avait eu lieu la veille, mais aucun détail n’a pu être obtenu à ce sujet. Malgré une inappétence générale, la patiente a continué à prendre régulièrement ses médicaments, y compris Diamox (acétazolamide), qui lui avait été récemment prescrit en raison de son opération des yeux. L’insulinothérapie a été brièvement suspendue avant l’opération des yeux.
La patiente s’est présentée dans un état général et nutritionnel légèrement réduit accompagné d’une légère insuffisance pondérale (160 cm, 47 kg, IMC 18,36 kg/m2), avec une faiblesse générale, mais sans perte de conscience ni déficits neurologiques focaux. Elle était afébrile (35,1 °C), normocarde (60/min) avec une activité cardiaque rythmique, ainsi que normotendue avec une pression artérielle de 109/67 mm Hg. La saturation en oxygène était de 97% en air ambiant. La patiente était compensée sur le plan cardio-pulmonaire, l’auscultation cardio-pulmonaire était sans particularité, l’abdomen était souple, indolore et avec un péristaltisme intense.
L’ECG a montré un rythme sinusal normocarde sans signe d’ischémie aiguë. Les analyses de laboratoire ont uniquement révélé une légère augmentation du glucose (11 mmol/l). Les autres valeurs étaient normales, notamment les paramètres inflammatoires, les paramètres de la fonction rénale, les électrolytes, la TSH et la troponine T déterminée en série.

Commentaire

En présence de symptômes non spécifiques et d’un examen physique sans particularité, il existe un large éventail de diagnostics différentiels possibles. Une manifestation atypique d’un nouveau syndrome coronarien aigu a pu être exclue au moyen d’un ECG et de valeurs négatives de troponine déterminée en série. Il n’y avait pas d’indices évoquant un évènement infectieux compte tenu des analyses de laboratoire normales et de l’absence de fièvre et d’infection à l’anamnèse. Une gastrite serait un diagnostic différentiel possible en raison des symptômes gastro-intestinaux, mais elle n’explique pas la faiblesse générale. Un effet indésirable de l’acétazolamide nouvellement prescrit est envisageable, mais plutôt improbable en raison de la prise de courte durée. Face à un diabète sucré connu, il faudrait systématiquement envisager une hyperglycémie ou une hypoglycémie. Le glucose n’était cependant que légèrement élevé, ce qui n’explique pas les troubles.

Investigations diagnostiques approfondies et hospitalisation

Au cours du séjour aux urgences, une tachypnée discrète a été constatée alors que la saturation restait normale. Les D-dimères étant négatifs, une embolie pulmonaire était peu probable. Une gazométrie artérielle a été réalisée pour une évaluation plus approfondie. Celle-ci a révélé une acidose métabolique sévère à trou anionique élevé avec une valeur de lactate normale (cf. fig. 1). La pO2 était normale haute et la pCO2 abaissée, ce qui indiquait une hyperventilation compensatoire.
Figure 1: Gazométrie artérielle à l’admission.

Commentaire

La gazométrie artérielle est un instrument essentiel pour l’évaluation des échanges gazeux et de l’équilibre acido-basique.
L’acidose métabolique correspond à une accumulation d’acide due à une augmentation de la production ou de l’absorption d’acide, à une diminution de l’excrétion d’acide ou à une perte gastro-intestinale ou rénale de bicarbonate (HCO3).
Dans le cadre du diagnostic différentiel, une perte de HCO3 était envisageable compte tenu du traitement par acétazolamide récemment débuté, mais dans ce cas, il faudrait s’attendre à une acidose métabolique à trou anionique normal. En raison des valeurs normales de lactate et des paramètres rénaux normaux, il n’yavait pas d’indices d’une acidose lactique ou d’une acidose urémique. Après avoir exclu d’autres causes (pas d’alcool ni de surdosage d’acide acétylsalicylique dans l’anamnèse), le dernier diagnostic différentiel possible était une acidocétose diabétique (ACD) dans le cadre d’un diabète préexistant traité par un inhibiteur du SGLT2.

Pose du diagnostic et traitement

Une substitution liquidienne intraveineuse au moyen d’une solution cristalloïde (lactate de Ringer) a été administrée et l’acétazolamide, qui peut potentiellement favoriser une acidose métabolique, a été interrompu. Par la suite, les résultats urinaires sont arrivés et ont révélé une cétonurie sévère. Face à l’acidose métabolique à trou anionique élevé d’une part et à la prise continue d’un inhibiteur du SGLT2 avec restriction alimentaire et arrêt de l’insuline d’autre part, une acidocétose diabétique euglycémique a donc pu être confirmée. En raison de l’acidose sévère, la patiente a été transférée à l’unité de soins intensifs et un traitement intraveineux par insuline et glucose a été instauré. Le traitement par inhibiteur du SGLT2 a été arrêté. Sous ces mesures, l’acidose a rapidement régressé, le trou anionique a diminué et les symptômes se sont améliorés. Après 4 jours, la patiente a pu rentrer chez elle dans un bon état général, sous insulinothérapie en schéma basal-bolus.
Les examens ambulatoires complémentaires ont révélé des anticorps anti-GAD positifs, permettant ainsi de diagnostiquer un diabète sucré de type 1 d’apparition tardive, également appelé LADA (latent autoimmune diabetes of the adulthood), dans lequel les inhibiteurs du SGLT2 sont contre-indiqués.

Commentaire

D’un point de vue physiopathologique, l’ACD se caractérise par un déficit pertinent en insuline, qui entraîne non seulement une diminution de l’absorption cellulaire du glucose, mais aussi une augmentation de la lipolyse. Il en résulte une accumulation d’acides gras libres, qui sont métabolisés en corps cétoniques dans le foie. Si ce processus perdure, il aboutit à une cétonémie et, plus tard, à une cétonurie.
Les inhibiteurs du SGLT2 abaissent la glycémie en augmentant l’excrétion urinaire de glucose. Il est supposé que cela entraîne indirectement une augmentation de la réabsorption tubulaire rénale des corps cétoniques. Il est également admis que les inhibiteurs du SGLT2 contribuent à une augmentation de la sécrétion pancréatique de glucagon, ce qui favorise la cétogenèse. Ces mécanismes, associés à un manque d’insuline et à d’autres facteurs déclenchants (voir ci-dessous), peuvent conduire à une acidocétose avec une glycémie normale ou légèrement élevée (le plus souvent <14 mmol/l) – d’où le nom d’acidocétose diabétique euglycémique (ACDe) – qui peut facilement passer inaperçue en l’absence de sensibilisation (cf. fig. 2).
En cas de suspicion d’ACDe, il convient de procéder au dosage des corps cétoniques dans le sérum ou l’urine. Si le test est négatif, une ACD(e) peut être exclue avec certitude et une autre cause d’acidose métabolique doit être recherchée.
Chez les patientes et patients atteints de diabète de type 1, une ACDe survient dans 5–12% des cas sous traitement par inhibiteur du SGLT2 [1], tandis que chez les patientes et patients atteints de diabète de type 2, le risque est estimé à environ 0,1% [2, 3]. Une ACDe est souvent décrite chez les patientes et patients atteints de LADA qui ont été classés à tort comme diabétiques de type 2 et traités en conséquence. Les indices évocateurs d’un LADA sont un IMC <25 kg/m2, des antécédents personnels ou familiaux de maladies auto-immunes et un diagnostic initial de diabète avant l’âge de 50 ans [4]. En l’état actuel des connaissances, les patientes et patients atteints de diabète de type 1 ou de LADA ne devraient pas être traités par un inhibiteur du SGLT2 en raison du risque accru d’ACD [5–7].
Il existe un large éventail de facteurs favorisants qui contribuent au développement d’une ACD sous inhibiteurs du SGLT2. Il s’agit entre autres de maladies aiguës sévères (infections, infarctus du myocarde, thyrotoxicose, processus abdominaux), d’un déficit en insuline, d’une déshydratation, d’un apport réduit en glucides (jeûne), des excès d’alcool ou d’un entraînement physique excessif [1, 8].
Chez notre patiente, en plus du LADA, une diminution de l’apport calorique dans le cadre du jeûne dû à l’intervention chirurgicale et l’arrêt de l’insuline mixte en préopératoire peuvent être identifiés comme les facteurs déclenchants de l’ACDe.
La prise inchangée de l’inhibiteur du SGLT2 explique l’augmentation seulement légère de la glycémie en raison de la glycosurie et de la déshydratation.

Conclusion

L’ACDe sous traitement par inhibiteurs du SGLT2 peut facilement passer inaperçue ou être confondue avec une autre forme d’acidose métabolique, car les valeurs glycémiques sont souvent normales ou seulement légèrement élevées en raison de l’effet glycosurique du médicament. Le trou anionique élevé avec prise simultanée d’un inhibiteur du SGLT2 a permis dans notre cas de classer correctement l’acidose métabolique. Chez cette patiente, il faut supposer que la privation de nourriture ainsi que le déficit en insuline après la suspension de l’insulinothérapie dans le cadre de l’opération des yeux sont les facteurs déclenchants.
Figure 2: Rôle suspecté des inhibiteurs du SGLT2 dans l’acidocétose euglycémique.
En raison de l’utilisation croissante des inhibiteurs du SGLT2, y compris en cardiologie et en néphrologie, il est essentiel d’être sensibilisé à cet effet indésirable rare, mais potentiellement fatal. En cas de période de jeûne – comme par ex. avant une intervention chirurgicale planifiée –, le médicament devrait être interrompu pendant 2–3 jours [9]. Une ACDe peut survenir dans tous les types de diabète, mais elle est le plus souvent observée chez les patientes et patients présentant une carence absolue en insuline, comme dans le cas du diabète de type 1 ou du LADA, ainsi que dans le cas d’un diabète de type 2 de longue date nécessitant de l’insuline. L’utilisation d’inhibiteurs du SGLT2 est donc contre-indiquée en dehors des études en cas de diabète de type 1 et de LADA [5–7].

Take-home message

Même si les valeurs glycémiques sont normales ou légèrement élevées, une ACD est possible en cas de symptômes tels que nausées, vomissements et respiration de Kussmaul sous traitement par inhibiteur du SGLT2.
En cas de suspicion d’ACDe sous inhibiteurs du SGLT2, il est recommandé de doser les corps cétoniques. S’ils sont négatifs, une ACDe est dans une large mesure exclue.
Les inhibiteurs du SGLT2 doivent être temporairement arrêtés en cas de privation de nourriture et de jeûne prolongé.
En préopératoire, les inhibiteurs du SGLT2 doivent être arrêtés 2–3 jours avant l’opération. Les patientes et patients doivent être informés en conséquence.
En cas de survenue d’une ACDe chez une patiente ou un patient diabétique de type 2 sous traitement, il convient de penser à la présence d’un LADA et d’entreprendre un examen approprié (auto-anticorps).
Dr. med. Bernard Chappuis
Leitender Arzt Diabetologie/Endokrinologie
Spital Emmental
Oberburgstrasse 54
CH-3400 Burgdorf
1 Goldenberg RM, Berard LD, Cheng AY, Gilbert JD, Verma S, Woo VC, et al. SGLT2 Inhibitor-associated Diabetic Ketoacidosis: Clinical Review and Recommendations for Prevention and Diagnosis. Clin Ther. 2016 Dec;38(12):2654–2664.e1.
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