Enfants bruyants, parents désespérés: Pleurs du nourrisson et développement de la régulation sommeil/veille
Pleurs du nourrisson et développement de la régulation sommeil/veille

Enfants bruyants, parents désespérés: Pleurs du nourrisson et développement de la régulation sommeil/veille

Lernen
Édition
2016/19
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2016.01359
Prim Hosp Care (fr). 2016;16(19):362-368

Affiliations
Abteilung Entwicklungspädiatrie, Kinderspital Zürich

Publié le 12.10.2016

Le nourrisson exprime son état et ses besoins en pleurant. Il pleure lorsqu’il a faim ou que sa couche est mouillée, parce qu’il ne veut pas être seul ou bien encore lorsqu’il se trouve submergé de stimuli sensoriels. Au cours des premiers mois de la vie, les nourrissons pleurent toutefois très fréquemment sans raison apparente. Cet article présente un modèle relatif à l’apparition de ces pleurs non spécifiques et propose des stratégies pratiques de conseil.

Introduction

Il est fréquent de voir des parents désespérés se présenter aux urgences d’un hôpital avec leur nourrisson en pleurs ou bien se rendre au cabinet du médecin de famille ou du pédiatre. Des études épidémiologiques montrent qu’une famille sur cinq se trouve confrontée à cette situation de pleurs au cours des premiers mois de la vie du nourrisson [1, 2]. La mission des médecins consiste avant tout à faire la distinction, à l’aide de l’anamnèse et de l’examen clinique, entre différents types de pleurs et à envisager, si nécessaire, des mesures diagnostiques et thérapeutiques lorsqu’une cause organique se trouve à l’origine des pleurs de l’enfant.
On distingue trois types de pleurs du nourrisson:
1 Les pleurs physiologiques après la naissance, en cas de faim, de couche mouillée ou de besoins émotionnels (par ex. besoin d’attention de la part de la personne de référence).
2 Les pleurs pathologiques en raison d’une maladie ­aiguë accompagnée de douleurs ou de mal-être (par ex. œsophagite en cas de reflux gastro-œsophagien, importants ballonnements, gastro-entérite ou infection des voies respiratoires supérieures), d’une maladie chronique (par ex. allergie alimentaire ou encéphalopathie hypoxique-ischémique) ou d’un trouble génétique (par ex. syndrome du cri du chat). Les pleurs pathologiques ont toujours une cause organique.
3 Les pleurs non spécifiques, qui surviennent chez presque tous les nourrissons, et auxquels les parents et les spécialistes ne trouvent aucune cause directe.

Pleurs non spécifiques et excessifs

Lorsque l’ampleur des pleurs non spécifiques dépasse un seuil tolérable pour les parents, on utilise le terme de pleurs excessifs. Pour les études scientifiques, c’est généralement la «règle des trois» de Wessel et al. qui est utilisée comme définition des pleurs excessifs [3]:
Un nourrisson en bonne santé montre des signes d’agitation, pleurniche ou pleure pendant plus de 3 heures par jour [1], plus de 3 jours par semaine [2] et depuis plus de 3 semaines [3].
Dans cette description, l’adjectif «excessif» désigne une augmentation mesurable de la durée et de la fréquence des pleurs. Ces critères pourraient être judicieux pour une comparabilité fiable des résultats de recherche, mais ils sont d’une moindre utilité dans le quotidien clinique. Il n’est pas rare que des parents considèrent que leur enfant pleure de manière excessive alors que ­celui-ci pleure moins de 3 heures par jour et moins de 
3 jours par semaine [1]. Pour cette raison, le degré d’accablement des personnes de référence doit être pris en compte lors du diagnostic de pleurs excessifs.
Il existe d’innombrables tentatives d’explication des pleurs non spécifiques et excessifs. Wessel et al. ont ainsi introduit le terme de colique, en partant du principe que les pleurs étaient dus à un trouble gastro-intestinal associé à des spasmes et ballonnements [3]. Le terme est toujours fréquemment utilisé, et différentes études publiées récemment ont en effet montré que la flore intestinale des enfants qui pleurent excessivement est différente de celle des enfants qui ne pleurent pas. Ainsi, les enfants qui pleurent produisent plus de bactéries Escherichia coli et de protéobactéries productrices de gaz, ce qui soutient la supposition selon laquelle les ballonnements douloureux pourraient déclencher les pleurs [4]. A l’inverse, chez les enfants qui pleurent, les bifidobactéries et lactobacilles ont été observés en quantité plus réduite que chez les enfants contrôle [4]. Ces résultats indiquent que l’administration de bactéries probiotiques (par ex. Lactobacillus reuteri) pourraient réduire les pleurs excessifs [5] Toutefois, les données scientifiques actuelles sont encore insuffisantes pour une introduction générale et basée sur l’évidence de probiotiques en cas de pleurs excessifs [6].
Parmi les autres causes organiques de pleurs intensifs ­figurent une intolérance aux protéines de lait de vache, un reflux gastro-œsophagien, une gastro-entérite avec invagination, une torsion testiculaire, une otite moyenne et de nombreuses autres pathologies dans le cadre desquelles les pleurs de l’enfant sont la première expression de la douleur ressentie (pleurs pathologiques). Dans ces cas, les pleurs ne présentent pas les caractéristiques des pleurs non spécifiques du nourrisson.

Caractéristiques des pleurs non spécifiques du nourrisson

Alors que de nombreuses observations scientifiques des pleurs non spécifiques du nourrisson sont jusqu’à présent contradictoires (par ex. influence du portage ou de l’allaitement sur la durée des pleurs ou l’évolution [7]), les caractéristiques typiques suivantes ont été maintes fois confirmées dans des études [7].

Evolution développementale

Les pleurs des nourrissons présentent une évolution ­développementale typique en forme de «n» [8, 9]. Les épisodes de pleurs commencent au cours de la 2e semaine de vie, puis leur intensité augmente. Les pleurs atteignent le plus souvent leur paroxysme au cours du 2e mois (pic à 6 semaines), puis régressent à nouveau jusqu’au 3e mois (fig. 1).
Figure 1: Evolution développementale des pleurs non 
spécifiques [1].
VM = valeur moyenne; ET = écart-type.

Evolution au cours de la journée

Les pleurs possèdent une évolution typique au cours de la journée. Les épisodes de pleurs sont rares la nuit et le matin [8, 9]. Ils se manifestent avant tout en fin de journée (pic entre 16h et 22h, fig. 2).
Figure 2: Evolution des pleurs non spécifiques au cours de la journée à l’âge de 6 semaines (n = 280, [3])

Variabilité interindividuelle

La durée des pleurs varie énormément d’un enfant à l’autre [8]. A l’âge de 6 semaines, certains nourrissons pleurent à peine 1h, d’autres plus de 3h. Les enfants présentent des courbes de pleurs très différentes, certains atteignant le pic de pleurs dès la 3e semaine de vie, d’autres seulement lors de la 8e semaine. Barr a avancé que les pleurs excessifs ne diffèrent pas des pleurs non spécifiques en termes de qualité, mais qu’ils reflètent simplement une manifestation extrême de la variabilité individuelle normale [10]. En d’autres termes, les ­enfants qui pleurent excessivement ne pleurent pas différemment des autres nourrissons, ils pleurent simplement plus.

Facteurs sociodémographiques

Rang de naissance, statut socioéconomique, niveau d’étude des parents ou expérience parentale et comportement en matière de soins n’ont pas une grande influence sur les pleurs des nourrissons [7].

Les pleurs dans les cultures traditionnelles

L’évolution développementale typique des pleurs du nourrisson a été mise en évidence dans différentes cultures traditionnelles telles que celle des «•Kung» au Botswana [11], toutefois avec certaines variations (par ex. pic de pleurs atténué d’une durée moindre).
C’est en particulier l’évolution développementale et l’évolution au cours de la journée typiques dans les cultures occidentales et traditionnelles qui indiquent un phénomène biologique universel, ce qui est confirmé par la faible influence des facteurs sociodémographiques sur les pleurs. De nos jours, il est largement ­estimé que les pleurs non spécifiques sont avant tout une expression de processus physiologiques précoces d’adaptation du système nerveux central [7]. La suite de l’article présente un modèle d’explication de ces processus de développement neuronal.

Horloge interne et homéostasie du ­sommeil en interaction: la régulation sommeil/veille

Le modèle de travail de Borbély décrit deux processus biologiques qui contrôlent le sommeil et l’éveil chez l’homme (modèle à deux processus de la régulation sommeil/veille [12], fig. 3).
Figure 3: Modèle à deux processus de la régulation sommeil/veille [5]. Processus circadien et homéostasie du sommeil.
E = éveil; S = sommeil.

Le processus circadien

Le processus circadien décrit un processus régulier indépendant du sommeil qui permet à l’individu de dormir la nuit et d’être éveillé et mentalement actif le jour [13]. D’un point de vue anatomique, le processus circadien est localisé dans le noyau suprachiasmatique du diencéphale («horloge interne») et contrôle non seulement l’éveil et le sommeil, mais également de nombreux processus physiologiques tels que la température corporelle, la respiration, la pression artérielle, l’activité cardiaque, la diurèse, la production hormonale, l’attention, les performances cognitives ou l’activité génétique. L’horloge interne est synchronisée avec des facteurs environnementaux régulièrement récurrents tels que le nycthémère. La principale horloge extérieure est la ­lumière du jour. D’autres horloges telles que le bruit, les contacts sociaux ou les ingestions régulières de nourriture jouent également un rôle [13].
Les processus de contrôle de l’horloge interne sont habituellement réglés de telle manière que l’éveil est au plus faible le matin et au plus élevé le soir (fig. 3) [14]. A première vue, cette situation semble être en contradiction avec les observations personnelles. Dans des expérimentations menées en bunker sans contact avec le monde extérieur ni conscience de l’heure, il a pu être montré que les hommes dorment beaucoup particulièrement durant les premières heures du matin et sont éveillés et actifs en fin de journée [14]. Le degré d’éveil est étroitement lié à l’évolution de la température corporelle: plus on est éveillé, plus la température corporelle est élevée. Ces observations ont donné naissance au terme de «forbidden zone for sleep» au cours des premières heures de la soirée. Il semble que nous nous préparions à passer la nuit par le biais d’une phase de grande activité et d’éveil circadien au cours des premières heures de la soirée. En effet, si nous réalisions une micro-sieste lors des premières heures de la soirée, le moment d’endormissement nocturne serait repoussé tard dans la nuit et chamboulerait complètement le rythme sommeil/veille. Mais comment se fait-il que malgré une faible propension circadienne à l’endormissement au cours des premières heures de la soirée, nous soyons capables de nous endormir un peu plus tard ou que nous ne nous recouchions pas directement le matin malgré une fatigue circadienne élevée? La responsabilité incombe ici au processus homéostatique et à son ­interaction avec le système circadien.

Le processus homéostatique

L’homéostasie du sommeil est un processus dépendant du sommeil [12]. Au cours de l’éveil, une dette de sommeil s’accumule, ce qui signifie que la propension homéostatique à l’endormissement et la pression du sommeil augmentent au cours de la journée, de telle manière que nous finissons par nous endormir (fig. 3). La pression du sommeil du soir disparaît au cours de la nuit. Plus nous sommes éveillés longtemps, plus la dette de sommeil est importante, et avec elle la propension homéostatique à l’endormissement, et plus nous dormons profondément et longtemps. A ce jour, la localisation anatomique de l’homéostasie du sommeil (comme pour l’horloge interne) n’a pas été trouvée. Différents mécanismes neuronaux sont décrits, avec lesquels on tente d’expliquer la fonction de l’homéostasie du ­sommeil. Ainsi, il se pourrait qu’une «substance du sommeil» (par ex. le neurotransmetteur adénosine [15]) s’accumule dans le cerveau au cours de l’éveil et soit à nouveau éliminée au cours du sommeil. Selon une autre hypothèse, les processus neuronaux entraînent, en état d’éveil, un renforcement des connexions synaptiques dans le cerveau, et le sommeil affaiblit à nouveau ces renforcements à un niveau énergétiquement supportable, ce qui est nécessaire pour l’apprentissage et la ­mémoire (régulation homéostatique de la fonction synaptique, synaptic sleep homeostasis [16]).

Coordination des deux processus

Idéalement, les processus homéostatique et circadien sont coordonnés. Pour l’interaction des deux processus, Edgar et al. ont forgé le terme «opponent processes» [17]. La faible pression du sommeil après le lever compense la grande fatigue circadienne au cours des premières heures du matin, et la pression du sommeil augmentant au cours de la journée compense l’activité circadienne maximale et l’éveil le soir venu. La coordination optimale des deux processus est un prérequis pour un état comportemental stable et attentif au cours de la journée et un sommeil serein la nuit. Une absence de coordination ou une coordination anormale des deux processus entraîne des difficultés d’endormissement, des troubles de la continuité du sommeil, une fatigue diurne accrue ou des troubles de la régulation comportementale. Un exemple connu est celui du syndrome de décalage horaire (ou jetlag), au cours duquel, après un vol long-courrier traversant plusieurs fuseaux horaires, l’horloge interne et l’homéostasie du sommeil ne sont plus coordonnées.

Le développement de la régulation ­sommeil/veille au cours des premiers 
mois de la vie

Au cours des premiers mois de la vie, les processus circadien et homéostatique traversent des changements de maturité et coordonnent leurs fonctions [18]. Emde et al. ont qualifié ces changements développementaux de «biobehavioral shift» [19]. On peut partir du principe qu’il existe une relation causale entre le développement et l’interaction de l’horloge interne et de l’homéostasie du sommeil d’une part, et le comportement en matière de sommeil et de pleurs au cours des premiers mois de la vie d’autre part.
Lors du dernier trimestre de la grossesse, le système circadien est déjà opérationnel. Différentes études menée chez les primates et chez l’homme ont montré que déjà durant la vie intra-utérine, la fréquence cardiaque, la température corporelle et la sécrétion hormonale fonctionnent selon un cycle de 24 heures, synchronisé en fonction de l’horloge de la mère [20]. L’amplitude de ces cycles de 24 heures est en constante augmentation au cours des premières semaines de la vie, ce qui signifie que la puissance du signal circadien ne cesse de croître [21]. Ainsi, à l’âge de 6-12 semaines, l’amplitude du rythme de la température atteint déjà son maximum. Etant donné que la température corporelle est étroitement liée au degré d’activité et à l’éveil d’un individu [14], on peut partir du principe que l’activité et l’éveil (alertness) augmentent également avec l’amplitude croissante du rythme de la température au cours des premières semaines de la vie (fig. 4).
Figure 4: Modèle d’explication de la régulation sommeil/veille circadienne 
et homéostatique et des pleurs au cours des 12 premières semaines de la vie.
Des études expérimentales indiquent qu’à l’inverse du processus circadien, la régulation homéostatique sommeil/veille ne se manifeste que plus tard [22]. En d’autres termes, les nouveau-nés et les jeunes nourrissons n’accumulent pas encore de dette du sommeil lorsqu’ils sont éveillés et ne compensent pas le temps d’éveil par un sommeil plus profond ou plus long. Cette observation coïncide avec l’observation parentale selon laquelle les nouveau-nés ne dorment parfois que peu de temps après une longue période d’éveil et sont ensuite à nouveau éveillés et actifs. Il est donc vain de les maintenir éveillés plus longtemps dans l’espoir d’une phase de sommeil plus longue par la suite. La mise en place de la régulation homéostatique des phases de sommeil et d’éveil au cours du 2e mois de vie entraîne chez le nourrisson des phases d’éveil plus longues au cours de la journée et des phases prolongées de sommeil paisible la nuit. Sur le plan neurophysiologique, le développement de l’homéostasie du sommeil se reflète dans la survenue de sommeil delta et de fuseaux de sommeil entre l’âge de 6 et 12 semaines [22]. Plus les processus de maturation de l’homéostasie du sommeil progressent, moins les enfants dorment au cours de la journée et moins ils se réveillent la nuit. La capacité à maintenir de longues phases d’état d’éveil est un signe de progression de la maturation cérébrale; elle rend possible les phases de développement au cours des premiers mois de la vie (par ex. comportement explorateur et interactions ciblées avec les personnes de référence).

Pleurs du nourrisson et développement 
de la régulation sommeil/veille

Dans le contexte de la régulation sommeil/veille, les pleurs semblent refléter un degré d’éveil élevé, contrôlé par l’horloge interne et contre lequel l’homéostasie du sommeil ne peut rien en raison d’un développement de la maturation encore absent ou retardé.

Evolution au cours de la journée (pic de pleurs 
du soir)

Pourquoi les enfants pleurent-ils surtout pendant les heures du soir? Le pic de pleurs du soir peut s’expliquer par l’éveil circadien, qui augmente au cours de la journée (fig. 4). Comme chez l’adulte, la propension circadienne à l’endormissement et la fatigue des nourrissons le soir semblent être faibles («forbidden zone for sleep»). Cela se manifeste également par le fait qu’au cours des premières semaines de la vie, les nourrissons ont une activité motrice importante principalement le soir et que la fréquence cardiaque est bien plus élevée le soir que le matin [23]. Cet état d’éveil particulièrement intensif (hyperalterness) entraîne une hyperstimulation et des pleurs accrus. Les nourrissons ne peuvent pas s’arrêter, cherchent sans cesse des stimuli visuels et vestibulaires et ne sont pas en mesure de se calmer seuls. Il n’est donc pas surprenant que le pic de pleurs se trouve le soir, surtout au cours des premières semaines, lorsque l’homéostasie du sommeil (en tant que opponent process) ne s’y oppose pas encore de manière compensatoire.

Evolution développementale (pic de pleurs 
au cours du 2e mois)

L’interaction de la régulation sommeil/veille circadienne et homéostatique peut expliquer pourquoi les pleurs augmentent au cours des premières semaines avant de diminuer (fig. 4). Au cours des premières semaines de la vie, rien ne s’oppose encore aux signaux circadiens croissants. C’est seulement avec l’instauration de l’homéostasie du sommeil au cours du 2e mois de vie que le signal circadien est contrecarré et que les pleurs diminuent. L’absence de régulation homéostatique a également pour conséquence que les nourrissons qui pleurent ne compensent pas les nombreuses phases d’éveil par le sommeil et présentent donc un déficit de sommeil, en particulier pendant la journée [4].
Le pic de pleurs (en fonction des enfants, entre l’âge de 4 et 8 semaines) correspond donc à l’instauration de la régulation homéostatique de l’éveil et du sommeil. Au cours des mois qui suivent, la coordination de l’horloge interne avec le processus homéostatique finit par ­entraîner la disparition des pleurs non spécifiques du nourrisson.

Variabilité des pleurs du nourrisson

Le comportement en matières de pleurs est très différent d’un enfant à l’autre: certains ne pleurent que peu alors que d’autres pleurent beaucoup. Certains enfants atteignent le pic de pleurs dès l’âge de 4 semaines, d’autres seulement à 8 semaines. La grande variabilité interindividuelle est déterminée par la puissance du ­signal circadien, l’instauration de la régulation homéostatique et la coordination des deux processus de régulation du sommeil.

Influences sociales et culturelles

Le faible effet des influences sociales et culturelles sur les pleurs s’explique par le fait que ni le développement neuronal intrinsèque de la maturation de l’homéostasie du sommeil ni celui de l’horloge interne ne peuvent subir une influence considérable. L’horloge interne peut seulement être réglée par certaines horloges externes, les rythmes sociaux (alimentation, soins et interactions sociales) jouant probablement chez le nourrisson un rôle plus important que la lumière du jour [13]. On peut donc imaginer que les horloges sociales de la mère en cas de contact physique fréquent par le biais du portage ont un meilleur effet que lorsque l’enfant se trouve seul à la crèche. Il a en effet pu être montré qu’un contact physique constant par le biais du portage de l’enfant réduit quelque peu la durée des pleurs [24].

Quand les pleurs du nourrisson ne se normalisent pas

Chez la plupart des enfants, les pleurs se limitent aux 3 premiers mois de la vie et sont exempts de conséquences négatives à long terme. Il existe toutefois des nourrissons qui sont agités au-delà des premiers mois, pleurent énormément et ne sont pas suffisamment en mesure de se calmer seuls. Dans ces cas, le comportement en matière de pleurs est souvent associé à des troubles de la continuité du sommeil et de l’alimentation et est désigné par le terme de trouble de la régulation du nourrisson [25]. Ce terme n’est toutefois adapté que lorsque l’enfant est âgé de plus de 3 mois et que les pleurs ne se présentent pas comme un phénomène transitoire au sens de pleurs non spécifiques. Dans la mesure où les enfants qui souffrent d’un trouble de la régulation ont souvent des troubles de la continuité du sommeil, il est probable qu’il s’agisse d’un retard de développement de la régulation sommeil/veille. Sur la base du modèle à deux processus, la thèse suivante est avancée: Chez les enfants qui pleurent de manière persistante, l’homéostasie du sommeil se développe avec du retard et elle n’est pas coordonnée avec le processus circadien. Par conséquent, l’enfant montre des phases alternatives de sur-fatigue et de sur-stimulation, n’est pas en mesure de maintenir un était d’éveil attentif et se réveille plusieurs fois la nuit. La perturbation de l’homéostasie du sommeil est possiblement associée à un retard de maturation des fonctions des neurotransmetteurs ou des synapses [19, 24], ce qui se manifeste d’un point de vue clinique par de légères anomalies neurologiques [26].
Différents auteurs soupçonnent que les enfants souffrant de troubles de la régulation présentent une risque accru de problèmes de régulation comportementale à long terme et de troubles des performances cognitives [27, 28]. Si les anomalies de l’enfant en matière de régulation sommeil/veille ne sont pas compensées par des adaptations comportementales de la part des parents et que la famille n’est pas en mesure de fournir l’aide nécessaire, le risque de troubles et impacts à long terme est alors élevé. Un ajustement insuffisant (misfit) entre le comportement parental et les capacités régulatrices du nourrisson peut alors entraîner des anomalies comportementales durables ainsi que des dysfonctionnements du modèle d’interaction entre les parents et l’enfant [29].
Prof. Dr. med. Oskar Jenni
Leiter der Abteilung Entwicklungspädiatrie
Universitäts-Kinderkliniken Zürich
Steinwiesstrasse 75
CH8032 Zürich
Oskar.Jenni[at]kispi.uzh.ch